MONTRÉAL – À 33 ans, le gardien Rob Zepp est venu agrémenter la dernière saison de la Ligue nationale de hockey en venant y remporter son premier match à cet âge tardif. Derrière cette belle histoire, il y a le parcours tout aussi intrigant de Sylvain Rodrigue.

N’ayant jamais atteint la LNH durant sa carrière de joueur, l’élève du pionnier François Allaire a emprunté un chemin inusité en passant par les contrées allemandes et suisses pour se bâtir une enviable réputation d’entraîneur des gardiens le menant à un poste convoité avec les Oilers d’Edmonton.

Bien sûr, il ne s’agit pas de la première fois qu’un Québécois hérite de la mission de développer les cerbères d’une organisation de la LNH. L’aspect intéressant du parcours de Rodrigue vient du fait qu’il s’est vu confier le rôle de deuxième entraîneur des gardiens pour se consacrer aux éléments d’avenir du club.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’époque durant laquelle les gardiens devaient se débrouiller en solitaire pour parfaire leur développement est plus que révolue. Maintenant, les équipes du circuit Bettman misent sur un ou deux et même parfois trois spécialistes pour les encadrer.

Avant d’augmenter les ressources consacrées aux hommes masqués, le temps finissait par manquer et la relève écopait.

« Je ne dirais pas que c’était une lacune, mais le hockey est rendu là. Les équipes se rendaient compte que leur entraîneur allait seulement voir les gardiens d’avenir une à deux fois par année », a justifié Rodrigue en vantant le démarchage provoqué par Allaire qui a pour ainsi dire créé ce métier.

« C’est vraiment plaisant de voir l’engouement pour le développement des gardiens. Tout le monde dit que c’est le joueur le plus important de l’équipe s’il n’en est pas la pièce maîtresse donc il faut les entourer », a poursuivi Rodrigue qui a effectué la transition entre Félix Potvin et Éric Fichaud au début des années 1990 chez les Saguenéens de Chicoutimi.

Cet accent sur cette position névralgique provoque cependant une pression inévitable.

« Si les gardiens ne font pas le boulot, les entraîneurs se tournent vers toi et ils veulent que tu corriges la situation sans tarder », a admis l’homme de 42 ans dans le cadre d’un entretien avec le RDS.ca.

Sylvain RodrigueCe n’est pas un secret, les Oilers ont trop souvent éprouvé des ennuis devant le filet depuis plusieurs années. La venue de Rodrigue n’est pas étrangère à ce constat et les Oilers lui ont confié la destinée des espoirs de l’organisation. Après des années houleuses, la formation albertaine arrive à une période faste autant dans la LNH (avec Cam Talbot et Anders Nilsson) ainsi que chez la relève avec Laurent Brossoit et Ben Scrivens notamment.

« J’arrive au point où les gardiens avec lesquels j’ai travaillé à mes débuts sont prêts à grimper », s’est réjoui le volubile intervenant.

Venant du monde de l’enseignement, Rodrigue apprécie le fait de constater l’évolution de ses protégés.

« Depuis que je suis avec les Oilers, mon mandat consiste principalement à développer la relève des gardiens et on est heureux de la manière dont ça se passe. On est solide et tout le monde doit se battre pour mériter un départ. Par exemple, Laurent se retrouve à un pas de dans la LNH. On lui en a donné un petit goût avec un match en fin de saison dernière et il avait arrêté 49 lancers sur 51 », a confié l’entraîneur qui entame sa troisième année avec Edmonton.

Au cours des prochains jours, il accueillera Scrivens dans la Ligue américaine puisqu’il a été placé au ballottage en raison du brio de Nilsson – qui épaulera Talbot – au camp d’entraînement.

« C’est le côté développement que j’aime, c’est mon côté prof. J’ai remis ma démission à la commission scolaire au Saguenay il y a quatre ans et je me trouve à continuer dans ce sens. Ce n’est plus avec des jeunes dans les classes, mais avec des pros sur la glace », a ajouté Rodrigue avec le sourire dans la voix.

Heureux d'avoir survécu au grand ménage

En l’observant atteindre les plus hautes sphères de sa spécialité, on pourrait croire que Rodrigue a toujours souhaité se diriger vers cette avenue.

« Pas du tout ! C’est vraiment François qui m’a attiré vers ça. Quand je jouais encore en Europe, il organisait une école pour gardiens l’été à Ste-Thérèse et il savait que j’avais mon baccalauréat en enseignement donc il m’a invité à y collaborer. Ensuite, je suis allé en Suisse avec des professionnels et j’ai développé mon réseau là-bas. Je suis passé également à Stockholm. Bref, ce fut dix années intenses pendant lesquelles j’ai appris mon métier de François », a-t-il révélé.

Rodrigue a obtenu son premier véritable mandat avec les Sags, son ancienne équipe, où il a dirigé les gardiens pendant plus de cinq ans. Par la suite, le chemin vers l’Europe s’est dessiné devant lui et il a perfectionné son art en Allemagne et en Suisse y encadrant notamment Cristobal Huet.

En contribuant à trois championnats en quatre ans en Allemagne, Rodrigue a vu sa cote grimper si bien qu’il est venu épauler son ami Frédéric Chabot qui était l’entraîneur des gardiens des Oilers. Le hic, c’est que Chabot a été congédié tôt la saison dernière, mais Rodrigue n’est pas passé dans le tordeur avec son compatriote.

Quelques mois plus tard, Rodrigue aurait pu se voir indiquer la porte de sortie à une autre occasion quand les Oilers ont remanié leur direction. Sylvain Rodrigue

« Ce fut le moment le plus stressant, mon contrat se terminait et on était sur le qui-vive avec l’arrivée de Peter Chiarelli. Il a pris le temps d’observer et d’analyser les personnes en place et ils m’ont présenté une nouvelle offre de trois ans. C’est vraiment plaisant qu’ils aient reconnu tout le temps que j’ai investi », a convenu Rodrigue.

L’arrivée de Chiarelli lui a permis de constater au quotidien tout le professionnalisme qui vient avec un dirigeant de sa stature et les nouveaux hommes mis en place.

« Apprendre avec les Oilers, c’est assez extraordinaire. Tu arrives au bureau et tu es à côté de Kevin Lowe et compagnie. Au début, tu te dis, trouvez l’intrus ? Je suis un gars des ligues mineures, je n’ai jamais atteint ce niveau. C’est agréable de voir que je travaille avec eux maintenant », a fait remarquer Rodrigue.

« C’est vraiment stimulant de travailler avec Todd McLellan (le nouvel entraîneur) et ses adjoints. Oui, Connor McDavid est un joueur exceptionnel, mais le personnel d’entraîneurs impressionne aussi », a témoigné le Montréalais.

« Pendant le camp d’entraînement, on était au bureau à 6h30 tous les matins et ce n’était pas pour prendre un café ou jaser, mais pour commencer à travailler dès la première minute. L’organisation a emprunté la bonne route », a-t-il enchaîné.

Comment sortir du creux de vague pour les gardiens québécois

De son côté, Rodrigue s’est dirigé vers Bakersfield (en Californie) où évolue dorénavant le club-école des Oilers dans la Ligue américaine. C’est là-bas qu’il vaque à la plupart de ses responsabilités en faisant des sacrifices familiaux.

Même s’il ne passe que sept ou huit jours par mois à la maison, il s’assure de suivre de près le cheminement de l’un de ses fils, Olivier, qui se classe parmi les plus beaux espoirs pour la LHJMQ chez les gardiens du Midget AAA.

Anders Nilsson à l'entraînement« C’est un peu spécial parce que c’est ma job, je ne suis pas capable d’aller juste regarder un match comme les autres parents. Je vois les erreurs et les bons coups donc il a peut-être la chance de se le faire dire », a exprimé le paternel qui se préparait à regarder son fils en action, via son ordinateur, quelques heures après l’entrevue.

« Par contre, je ne veux pas jouer à l’entraîneur, je veux qu’ils vivent ses expériences. Je souhaite être le parent avant tout surtout que je ne suis pas là souvent. Je veux profiter des moments avec eux le plus possible et ne pas toujours parler de hockey », a-t-il souligné le laissant entre les mains de Nicolas Gauthier qu’il respecte au plus haut point pour son travail avec les gardiens des Élites de Jonquière.

Avec la charge de travail associée à son boulot, Rodrigue ne suit plus de près l’évolution du hockey mineur québécois. Ceci dit, il a constaté, comme d’autres intervenants, que la LHJMQ traverse un creux pour les gardiens de haut calibre. Sans connaître tous les rouages actuels des structures de développement, son œil d’expert lui permet d’avancer des hypothèses intéressantes.

« Il faut que ça reste des athlètes et je crois qu’il faudrait les laisser jouer et devenir de bons patineurs en bas âge au lieu de les diriger exclusivement vers la position de gardien dès 5-6 ans.

« Ils doivent devenir de meilleurs athlètes dont en pratiquant d’autres sports tels le soccer et le baseball », a souhaité Rodrigue qui vante tout de même les progrès fulgurants au plan technique.

En attendant que ce creux de vague se termine pour les gardiens québécois – et le brio de Carey Price pourrait y contribuer - Rodrigue sera jugé selon les performances de ses protégés. Pour le moment, il savoure les moments au sein d’un groupe tissé serré.

« On est plusieurs Québécois à travers la LNH à occuper un tel poste, c’est vraiment génial. On forme en quelque sorte une petite confrérie. Par tradition, les gardiens sont toujours un peu à part dans une équipe et c’est la même chose avec les entraîneurs des gardiens : on est dans nos affaires, dans notre monde », a conclu Rodrigue en faisant allusion au groupe incluant les frères François et Benoit Allaire, David Marcoux, Stéphane Waite, Frédéric Chabot et plusieurs autres.