Bien fait, Monsieur Harper
Hockey dimanche, 10 nov. 2013. 12:52 mercredi, 11 déc. 2024. 14:40Si on aborde la lecture de son livre en pensant revivre la glorieuse histoire des Canadiens de Montréal, on sera extrêmement déçu. Si on le fait avec une certaine réflexion politique sur l’auteur, on perdra rapidement le véritable sens du récit qui nous est offert. Si on ne se place pas dans un contexte de calme et de concentration, il est possible de perdre le fil de ce tableau exhaustif du sport du hockey au début du 20e siècle. Mais si, comme je l’ai fait, on fait abstraction de tout et on se donne la commande de lire objectivement chaque page du livre du premier ministre Stephen Harper, qui vient tout juste d’être mis sur le marché, on sera rapidement conquis et on aura tout simplement envie de le dévorer du début à la fin.
Dans sa version française, le livre s’intitule Un sport légendaire : les Maple Leafs d’autrefois et l’essor du hockey professionnel, ce qui le dépeint parfaitement, sans même avoir lu une seule de ses pages. Car du récit de l’histoire des Maple Leafs et de celle du hockey à Toronto, en général, ressort un portrait fascinant sur une lutte idéologique féroce qui régnait au début du 20e siècle dans la capitale ontarienne et qui a retardé l’implantation du hockey professionnel, plus que n’importe où ailleurs au pays : celle qui opposait les promoteurs du professionnalisme et les défenseurs acharnés de l’amateurisme!
Le fond
Au dessus de tout, c’est assurément cet aspect fondamental qui ressort de la lecture du livre de M. Harper et qui en vient à nous apprendre une facette jusque-là plutôt méconnue de l’histoire du hockey. Car si les règles « morales » sur la pratique du sport du hockey étaient beaucoup plus libérales dans le reste du Canada (surtout à Montréal, Ottawa et au Manitoba), elles étaient extrêmement strictes à Toronto. Et elles étaient fort bien défendues par les éditeurs de trois quotidiens influents de la grande ville, qui ne se gênaient pas pour utiliser leurs pages à des fins de propagande. Mais le comble, c’est que ces trois personnages étaient aussi eux-mêmes les bonzes de l’Association de Hockey de l’Ontario, qui puisait sa raison d’être sur la protection jalouse, pour ne pas dire obsessive, d’un amateurisme puritain à l’extrême.
Ainsi, John Ross Robertson (le Telegram), W.A. (Billy) Hewitt (le Star) et Francis (Frank) Nelson (le Globe) ont régné en rois et maîtres sur la pratique du hockey d’élite à Toronto, au début du 20e siècle et la défense de leurs idéaux allait bien au-delà du sport, jusqu’à la soumission inconditionnelle à l’Empire britannique, en fait. On surnommait les trois, les « Tsars » du hockey, ce qui en disait long sur la place qu’ils occupaient mais surtout, sur la façon dont ils dirigeaient les destinées de l’AHO.
Au fil du récit du long parcours qui a mené vers la naissance du hockey professionnel à Toronto, on plonge littéralement dans la réalité de la vie nord-américaine au cours de cette période fébrile et on en vient à découvrir les différentes étapes qui ont façonné notre sport national tel qu’on le connaît aujourd’hui. Ainsi, si les matchs de hockey se déroulaient sur des patinoires naturelles, à l’intérieur même d’édifices vétustes voire même dangereux, qui pouvaient quand même abriter plusieurs milliers de personnes, on y apprend que c’est à Pittsburgh, à la même époque, qu’est apparu le premier amphithéâtre avec une glace artificielle.
Le récit de M. Harper nous fait vivre aussi le passage de sept à six joueurs sur la patinoire, l’interdiction des gardiens de s’agenouiller pour bloquer des tirs, l’interdiction des passes vers l’avant, l’apparition des lignes sur la patinoire et celle des numéros sur les chandails. On y apprend même qu’au tout début du professionnalisme, il y avait déjà des volontés de plafond salarial et de création d’un syndicat des joueurs.
Bref, sur le fond, le livre est d’une grande richesse.
Et la forme?
Quand aux éléments de forme, il y a peu à redire. Dire que M. Harper visait une intégrité absolue est presque insuffisant. Chaque passage laisse transparaître une très grande rigueur de recherche, appuyée par les références et notes afférentes et même par des photos d’articles de journaux de l’époque. Quand un doute survient (rarement du reste) sur un fait en apparence connu, l’auteur le souligne de façon claire et explicite. À la fin de son livre, M. Harper tient même à affirmer sa responsabilité totale sur le contenu de son ouvrage, y compris les erreurs ou coquilles qui auraient pu s’y glisser.
Je m’inscris en faux contre quelques critiques qui ont parlé d’un livre austère et quelque peu ennuyant. J’en déduis tout le contraire! M. Harper a eu la sagesse de s’encadrer de plusieurs personnes de calibre dont Roy McGregor, l’éditorialiste sportif du Globe and Mail et l’une des plus belles plumes au pays, et même sans toucher au texte proprement dit, on ressent la belle touche narrative et captivante de McGregor. C’est donc l’histoire, racontée comme une histoire, ce qui donne envie de passer rapidement au chapitre suivant.
Un mot en terminant sur l’adaptation française de A Great Game : The Forgotten Leafs and the Rise of Professionnal Hockey. J’ai eu récemment l’occasion de lire un véritable « navet » de traduction sur le hockey. Le livre était pourtant bien fait à la base, en racontant plusieurs drames humains qui ont marqué l’histoire de ce sport. Mais le niveau de français qu’on y retrouvait était complètement inadéquat. On ne peut pas parler de hockey ici, chez nous, en français de… France! Ce n’est pas une question de syntaxe mais bien de terminologie adéquate. Or, le travail accompli par les Éditions de l’Homme à ce niveau est irréprochable! On y parle un français impeccable tout en parlant le langage du hockey que nous connaissons tous.
Avec, en plus, plusieurs illustrations et photos, avec des tonnes de statistiques dans la dernière section du livre, on ne peut qu’apprécier la façon dont l’ouvrage a été conçu.
Bref, j’ai adoré faire la lecture de Un sport légendaire : les Maple Leafs d’autrefois et l’essor du hockey professionnel. J’ai appris, j’ai souri, j’ai été ému, j’ai été étonné.
Bien fait, Monsieur Harper.