Lorsque Steve Yzerman a confié à son adjoint qu’il avait l’intention de quitter son poste de directeur général du Lightning de Tampa Bay, Julien BriseBois est loin d’avoir célébré cette nouvelle.

 

Remarquez qu’il aurait pu. Considéré aux quatre coins de la LNH comme le dauphin d’Yzerman qu’il épaulait depuis huit ans, BriseBois occupait depuis un bon bout de temps une place de choix parmi les candidats les plus solides pour obtenir l’un des 31 postes de directeur général dans la LNH. Que ce soit à Tampa ou ailleurs.

 

L’occasion était donc parfaite pour mousser ses chances de succéder au grand patron du Lightning. Mais BriseBois a réagi tout autrement.

 

 « Je n’avais aucune idée que Steve songeait à partir. Non seulement ne m’en avait-il jamais parlé, mais il ne m’avait pas donné la moindre indication que ça lui trottait dans la tête. Ma première réaction a donc été d’inviter Steve à revenir sur sa décision. Il était encore temps. Il ne l’avait pas rendue publique. Il n’avait pas encore contacté notre propriétaire (Jeff Vinik) et j’ai indiqué à Steve qu’il y avait moyen de revoir notre partage des tâches pour lui permettre de passer plus de temps avec sa famille, qui est demeurée dans la région de Detroit après qu’il eut accepté le poste de DG du Lightning. Mais plus je parlais avec Steve, plus je comprenais que sa décision était prise. Qu’elle était mûrie. Et surtout qu’elle était associée à une question de cœur et non de raison », raconte Julien BriseBois, que RDS a croisé à Denver mercredi où le Lightning a fait escale avant de poursuivre son voyage dans l’Ouest américain à Las Vegas et Phoenix.

 

Pourquoi avoir tenté de dissuader Steve Yzerman plutôt que de l’avoir incité à appuyer sa candidature pour lui succéder?

 

« Parce que je ne rêvais pas de succéder à Steve. À titre d’adjoint, j’étais de toutes les décisions reliées à la gestion du Lightning. J’avais le plein contrôle de notre club-école à Syracuse. Oui j’avais des ambitions, mais je ne passais pas mon temps à souhaiter que Steve annonce sa retraite ou à attendre qu’un poste s’ouvre ailleurs dans la Ligue. Je n’ai pas posé ma candidature sur tous les postes de DG qui se sont ouverts au cours des dernières années parce que j’étais très heureux professionnellement et personnellement à Tampa », a tenu à préciser BriseBois.

 

La famille d’abord

 

L’été dernier, lorsque Steve Yzerman a indiqué qu’il allait écouler, en 2018-2019, la dernière année de son contrat, Julien BriseBois a affiché le calme qui le caractérise depuis toujours. Au lieu de passer en mode « chasseur de têtes » et de mousser ses chances de devenir le nouveau DG du Lightning, il a maintenu les plans initiaux de vacances en Afrique du Sud avec son épouse et leurs enfants.

 

« La vie de famille prend un dur coup durant la saison. Tout le monde doit s’astreindre à beaucoup de sacrifices. Il était donc hors de question de mettre la famille de côté en plein été en raison de la décision de Steve », assure BriseBois.

 

Malgré l’incertitude dans laquelle il se retrouvait soudainement –  allait-il succéder à Yzerman? Allait-il garder son poste d’adjoint à un éventuel successeur avec qui il n’aurait peut-être pas la même complicité qu’avec son futur ancien patron? – Julien BriseBois affirme ne pas avoir passé les semaines suivant l’annonce de son patron à se ronger les sangs quant à son avenir avec le Lightning.

 

« Je me suis dit que les développements viendraient en temps et lieu. Surtout que rien ne pressait. Steve ne partait pas nécessairement. Il pouvait écouler sa dernière année. Notre propriétaire était très occupé et n’avait pas la possibilité de gérer rapidement ce dossier. Je savais que j’aurais le temps de signifier mon intérêt et de mousser ma candidature si cela devenait nécessaire », raconte BriseBois.

 

L’occasion s’est présentée vers la fin de la saison morte. Profitant d’une visite du nouveau centre d’entraînement dont il avait supervisé la conception et les travaux avec son propriétaire, Julien BriseBois a alors plaidé sa cause. Il a déployé son plan d’action pour maintenir la croissance de l’équipe que plusieurs considèrent parmi les sérieuses candidates à la succession des Capitals de Washington à titre de champions de la coupe Stanley.

 

Cette rencontre s’est très bien déroulée. Jeff Vinik a malgré tout indiqué à BriseBois qu’il devait, ne serait-ce que par principe, rencontrer au moins un autre candidat.

 

Ce qu’il ne lui avait pas dit toutefois, c’est que sa décision était prise. Que le poste de successeur à Steve Yzerman était à lui.

 

Un seul rêve : la coupe Stanley

 

Fier de cette promotion, Julien BriseBois assure qu’il ne réalise pas un rêve en succédant à son ancien patron. « Au hockey, le seul rêve qui compte est de gagner la coupe Stanley », précise-t-il pendant que son équipe défile sur la patinoire du Pepsi Center.

 

Ça ne l’empêche pas d’être fier et heureux de passer de bras droit de Steve Yzerman à celui qui bénéficiera de la présence de Yzerman à titre de conseiller spécial.

 

Conscient de l’importance du défi qui se dresse devant lui, Julien BriseBois tient à profiter des premiers jours, premières semaines et des premiers mois de son nouveau mandat pour rassurer les gens qui l’entourent et qui dépendent de lui.

 

« Je sais que je suis en mesure de faire le travail, car je le fais comme adjoint depuis 12 ans. Quatre ans à Montréal et huit ans avec Tampa. Je me sens en confiance, car je connais tous les rouages de notre organisation. Je connais notre propriétaire. Je connais notre entraîneur-chef – Jon Cooper – parce que c’est moi qui l’ai d’abord embauché pour diriger notre club-école. Je connais ses adjoints, les responsables de l’équipement, les soigneurs et préparateurs physiques, les dépisteurs, amateurs et professionnels, les responsables du développement. Je ne tombe pas dans l’inconnu. Ma famille n’est pas déracinée non plus. C’est un facteur important. Je regarde ce que vit mon collègue – et ami – Paul Fenton qui a quitté Nashville pour devenir DG du Wild au Minnesota. Contrairement à moi, tout est nouveau pour lui. Il doit apprendre à connaître et à comprendre son propriétaire. Il doit apprendre à connaître tout le monde. C’est certainement un plus gros choc pour lui que ce l’est pour moi. J’aime le défi qui s’offre à moi. Pour le relever, j’aurai besoin de la complicité de tous ceux et celles qui m’entourent. J’ai donc entre 50 et 60 personnes à rassurer sur mes compétences et mes dispositions à maintenir le cap que Steve a tenu solidement durant toutes ses années à la tête de l’équipe. »

 

Homme de droit vs homme de hockey

 

Les compétences de Julien BriseBois sont nombreuses. Elles sont aussi reconnues aux quatre coins de la LNH.

 

Identifié pendant des années aux volets légaux et administratifs – paramètres des contrats, respect de la convention collective et du plafond salarial – Julien BriseBois s’est assuré lors de son règne d’adjoint aux directeurs généraux du Canadien – André Savard, Bob Gainey et brièvement Pierre Gauthier – et de Steve Yzerman à Tampa de démontrer que l’homme de droit était aussi un homme de hockey.

 

Ses club-écoles se sont rendus quatre fois en grande finale dans la Ligue américaine. Les Bulldogs de Hamilton et le Crunch de Syracuse ont soulevé une fois chacun la coupe Calder sous sa direction.

 

C’est aussi BriseBois qui a ouvert la porte à des jeunes jamais repêchés – Tyler Johnson, Yanni Gourde, Jonathan Marchessault pour ne nommer que ceux-là – en plus d’orchestrer le développement des choix aux repêchages qui ont d’abord fait gagner le club-école avant de faire la même chose avec le Lightning.

 

Julien BriseBois s’impose d’ailleurs comme mandat de toujours trouver les joueurs qui viendront renouveler les effectifs de son équipe.

 

« Dans le hockey d’aujourd’hui les clubs qui ont le plus de succès sont ceux dont le pipeline donne des joueurs de qualité et du personnel de qualité. Après les Gourde, les Point, les Cirelli qui se sont greffés à notre club au cours des dernières années, c’est au tour de Mathieu Joseph de brouiller les cartes et de nous obliger à la garder avec le grand club. On a aussi ajouté Jeff Halpern au sein de notre groupe d’entraîneurs. Il a fait ses classes avec Benoit (Groulx) à Syracuse pendant deux ans et est derrière le banc du Lightning cette année. La ligne directrice de l’organisation restera la même maintenant que j’ai remplacé Steve. On va simplement continuer à améliorer les standards de qualité de l’équipe afin d’obtenir les améliorations nécessaires pour assurer la croissance de l’équipe et ultimement nos chances de nous rendre la coupe Stanley. »

 

C’est cette quête d’amélioration constante qui a guidé Julien BriseBois dans sa décision de congédier le jeune défenseur Jake Dotchin qui s’est présenté avec un surpoids de 30 livres au dernier camp d’entraînement.

 

Le nouveau directeur général du Lightning est réticent à parler de ce dossier qui fait l’objet d’un duel entre la LNH et l’Association des joueurs qui a déposé un grief en marge de la décision de BriseBois. Ce dernier assure toutefois qu’il ne s’est pas servi de Dotchin pour réaliser un coup disciplinaire afin d’asseoir rapidement son autorité. De fait, s’il avait encore été l’adjoint de Steve Yzerman, c’est Julien BriseBois qui aurait mené ce dossier délicat puisqu’il était mandaté par son ancien patron de mener à bien les dossiers légaux de l’organisation.

 

« Je ne sens pas le besoin de démontrer de l’autorité. J’ai besoin de rassurer les membres de l’organisation c’est tout. Quand Steve et M. Vinik ont décidé qu’il valait mieux procéder au changement de directeur général dès cette année plutôt que d’attendre la fin de son contrat, j’ai demandé à ce que la nouvelle soit dévoilée avant le gros camp d’entraînement. Je voulais que les joueurs aient le temps d’apprendre la nouvelle, de la digérer et de tourner la page afin de se consacrer entièrement au hockey. Ce processus a pris trois jours. Je tenais à éviter les distractions en début de saison. On a réussi. On connaît un bon début. On va espérer que ça va durer. Ça m’aidera à préparer les gros dossiers qui s’en viennent tout en m’habituant à mon nouveau travail. Un travail qui au fond, n’est pas vraiment différent de celui que je faisais avant si ce n’est que c’est moi qui suis maintenant identifié comme le responsable. »

 

Au chapitre des dossiers qui se retrouveront bientôt sur le bureau de Julien BriseBois, les renégociations des contrats de Brayden Point et Yanni Gourde, ce dernier pourrait profiter de sa pleine autonomie l’été prochain, seront parmi les plus importants. Viendront ensuite ceux des joueurs autonomes sans compensation Anton Stralman, Dan Girardi et Braydon Coburn.

 

« Sans oublier que dans tout ce que nous faisons sur le plan hockey, on doit toujours jongler avec les salaires pour s’assurer de respecter le plafond salarial. D’où l’importance de bien repêcher et de bien développer nos jeunes. »

 

Bien loin de Montréal

 

Et Montréal dans tout ça? Montréal où il a amorcé sa carrière d’homme de hockey et où son nom a souvent été mentionné à titre de successeur potentiel de Marc Bergevin à la tête du Canadien.

 

Julien BriseBois ne parle pas de Montréal et du Canadien si ce n’est que pour souligner la qualité de l’apprentissage dont il a profité avec André Savard et Bob Gainey.

 

Il n’a pas à le faire non plus. D’abord, parce que le poste n’a jamais été ouvert et ne lui a jamais été offert non plus. Sans oublier que Marc Bergevin semble en voie de retrouver la faveur populaire maintenant que son équipe joue avec plus de vigueur et d’efficacité que l’an dernier.

 

Mais ensuite, mais surtout, BriseBois se retrouve à la tête d’une organisation qui n’a peut-être pas l’histoire du Canadien, mais qui est considérée parmi les organisations de tête de la LNH d’aujourd’hui.

 

Ajoutez à ça le climat de la Floride, les paramètres fiscaux qui y sont aussi favorables que la météo et le fait que sa famille file le parfait bonheur dans la région de Tampa et on comprend facilement pourquoi BriseBois n’a pas le moindre besoin de parler de Montréal et/ou du Canadien.

 

Du moins officiellement.

 

Mais en raison du fait qu’il est un petit gars de la place, qu’il est francophone et surtout qu’il est très compétent dans son travail, son nom refera surface chaque fois que les colonnes du Centre Bell vibreront en raison du mécontentement des amateurs.

 

Et lorsque cela arrivera, il faudra se souvenir des paroles prononcées par le propriétaire du Lightning de Tampa Bay lorsque Jeff Vinik a confirmé l’embauche de Julien BriseBois pour succéder à Steve Yzerman. « Nous sommes chanceux qu’aucune équipe ne soit venue nous le voler. »