Martin Brodeur affichait un calme désarmant lorsqu’il défendait la cage des Devils du New Jersey durant sa glorieuse carrière. Un calme qui l’a bien servi puisqu’il détient la très grande majorité des records significatifs associés aux noms des gardiens qui ont brillé dans la LNH.

À l’aube du septième et décisif match qui opposera St. Louis et Dallas – 20 h ce soir au American Airlines Center – un duel qui propulsera le gagnant en finale de l’Association Ouest, Brodeur sait très bien ce qui attend les joueurs des Blues. Particulièrement les gardiens Brian Elliott qui a été chassé de la rencontre de dimanche et Jake Allen qui lui est venu en relève pour la première fois depuis le début des séries.

Elliott a été ordinaire dimanche accordant trois buts sur les sept premiers tirs des Stars.

Le vétéran avait toutefois brillé jusque-là. Autant lors 12 autres parties disputées depuis le début des séries que dans le dernier droit de la saison régulière. Un dernier droit au cours duquel il s’était hissé à nouveau parmi les meilleurs gardiens de la Ligue, sans toutefois obtenir la même notoriété que les autres. De fait, Elliott a éliminé les Blackhawks en première ronde justement dans une situation de septième match. Autre facteur militant en sa faveur, il s’était imposé dans cette partie sans lendemain après avoir accordé cinq buts sur 35 tirs dans une victoire de 6-3 des Hawks qui avaient ainsi poussé la série à la limite.

Parce qu’il compte 113 victoires en séries éliminatoires (deuxième à ce chapitre derrière Patrick Roy) parce qu’il a soulevé la coupe Stanley trois fois, dont l’une au terme d’un match sept, parce qu’il a également vu cette coupe lui filer entre les jambières à deux reprises, dont une fois dans le cadre d’une septième partie – en 2001 aux mains de Roy et l’Avalanche du Colorado – Martin Brodeur comprend mieux que quiconque au sein de l’organisation des Blues le défi qui attend le gardien qui affrontera les Stars ce soir.

Il est toutefois peu probable que Brodeur descende au vestiaire pour parler à Elliott ou Allen. « C’est très rare que ça arrive. S’ils m’approchent pour me demander conseil ou simplement pour parler, je le fais toujours et le ferai. Mais je ne vais pas au-devant », assurait Martin Brodeur lorsque croisé sur la galerie de presse du Scottrade Center au premier entracte de la quatrième partie opposant les Blues et les Stars.

Il est toutefois assuré que Brodeur a été impliqué dans la sélection du gardien qui obtiendra le départ ce soir à Dallas. « Je suis très impliqué dans les discussions avec les coachs quant au travail des gardiens. C’est à ce niveau que je travaille le plus », assurait Brodeur qui affichait son calme habituel lors de la rencontre du 3 mai dernier, rencontre que les Blues ont perdu 3-2 en prolongation et qui ramenait la série à égalité 2-2.

Apprentissage intéressant

Si le stress d’un septième match est loin de ronger Martin Brodeur, il en va de même pour celui qui est associé à son après-carrière.

Depuis qu’il a annoncé sa retraite en 2014-2015 alors qu’il n’a disputé que sept matchs dans l’uniforme des Blues, Martin Brodeur occupe un poste de conseiller au directeur général Doug Armstrong. Il est l’un de ses deux principaux adjoints en fait.

Ce job, Martin Brodeur était loin d’en avoir besoin. Au cours de sa brillante carrière, le gardien québécois a pu assurer sa sécurité financière et celle de ses enfants en futurs petits enfants.

« Après deux mois à ne rien faire, j’ai réalisé que si c’était ça la retraite, que ça ne valait pas la peine. Il fallait donc que je reste dans le hockey. Tu ne peux pas y passer toute ta vie et fermer la porte comme ça. »

Si l’expérience qu’il acquiert avec les Blues le satisfait au plus haut point, Martin Brodeur assure ne pas encore savoir où cette expérience le mènera.

« Je me suis donné trois ans pour apprendre, pour comprendre ce qu’est le travail et pour décider quel rôle je veux remplir. Pour le moment, j’ai le meilleur des mondes. Je suis associé au hockey directement. Je suis associé aux décisions prises par l’organisation à tous les niveaux. En même temps, je n’ai pas à composer avec la pression qui incombe à mon boss qui prend les décisions. Je ne sais pas si ça m’intéresse d’avoir à assumer cette pression. Je ne sais pas encore si je tiens vraiment à être le boss ou simplement un adjoint. J’aime bien mon rôle, car il me permet d’être impliqué, de donner mon avis en me servant de l’expérience acquise au cours de ma carrière », assurait Brodeur qui semble vraiment aimer son travail.

Pendant qu’il répondait à mes questions, Brodeur s’est d’ailleurs permis d’apostropher deux jeunes joueurs de l’équipe de réserve qui sont passés près de nous au cours de l’entracte. «N’oubliez pas que je veux vous voir demain», leur a lancé Brodeur sur un ton un brin amical, mais aussi deux brins associé à son titre d’adjoint au directeur général.

« J’aime vraiment tous les aspects du travail. Je vais en Europe, j’assiste à différents tournois pour aider dans la composition de notre liste de prospects en vue du prochain repêchage. Je rencontre les autres DG adjoints dans la LNH. C’est vraiment le fun. C’est plus qu’un désennuie. C’est une job. Une belle job aussi. Mais je veux aussi me donner le temps nécessaire pour établir si c’est la job que je veux faire tous les matins en me levant. »

Matt Murray : impressionnant

Martin Brodeur a beau être un membre de l’état-major des Blues de St. Louis, il est aussi un grand fan de hockey. S’il n’est pas cloué devant sa télé sous les soirs, Brodeur admet avoir suivi plusieurs matchs depuis le début de la vraie saison.

Il a grandement été impressionné par la qualité du jeune gardien Matt Murray avec les Penguins. « Il est vraiment solide. Techniquement et mentalement. L’autre soir, j’ai vu Ovi (Alexander Ovechkin) se rendre près de lui pour l’invectiver après un bel arrêt. Il n’a pas bronché. Il faut être solide pour rester indifférent à un joueur aussi imposant qu’Ovechkin dans une telle situation. »

De tous les gardiens encore en lice, Marc-André Fleury et Antti Niemi sont les deux seuls à revendiquer une coupe Stanley en carrière. Ils sont pour le moment confinés dans des rôles d’adjoint à Pittsburgh et Dallas.

Surprenant de voir ainsi les meilleurs gardiens déjà en vacances au profit d’autres qui ne profitent pas de leur réputation?

« Pas du tout, réplique Martin Brodeur. Ça démontre simplement à quel point les gardiens sont maintenant solides dans la LNH et à quel point les équipes sont bonnes. C’est vraiment rendu difficile de gagner aujourd’hui. Ce l’est en saison, ce l’est bien plus en séries. Regarde les match-up : Los Angeles – San Jose, nous et les Hawks en première ronde. Les Penguins et les Capitals en deuxième ronde, c’est comme une grande finale. Si Holtby perd, il restera un excellent gardien quand même », plaidait Martin Brodeur.

Lors de notre rencontre, les Caps étaient encore vivants. Ils ont été éliminés mardi soir et Matt Murray s’est une fois encore signalé aux dépens de Holtby qui a égalé cette année le record de victoires (48) en une saison de Brodeur. Un record que le gardien des Caps a d’ailleurs égalé sous les yeux de Brodeur avec un gain de 5-1 aux dépens des Blues. « J’étais content pour lui et je suis allé le féliciter dans le vestiaire des Caps après le match. Holtby a connu toute une saison et plusieurs croyaient qu’il me dépasserait tant son rythme était bon. Je me souvenais à quel point les dernières victoires avaient été difficiles à aller chercher en 2007. C’est ce qui lui est arrivé aussi. Je suis fier de mes records, mais je suis prêt à les partager ou à être battu. Car si cela arrive, ça arrivera aux dépens d’un gardien qui aura excellé. Tu n’obtiens pas des records comme ça dans la LNH par accident. Tu les mérites », a ajouté Martin Brodeur.

Qualité de vie

Pendant que le gardien québécois jongle avec ses projets d’avenir à titre de dirigeant dans la LNH, John Chayka, à 26 ans, vient d’hériter du poste de directeur général des Coyotes de l’Arizona. Tout un contraste en âge et en profil de carrière si l’on oppose Brodeur au nouveau patron des Coyotes.

« Je suis surpris d’un côté, mais je trouve ça intéressant. Les statistiques prennent de plus en plus de place dans les analyses des joueurs et des équipes. Je me demande toutefois si ça ouvrira vraiment une nouvelle façon de faire ou si ça demeurera une forme de complément. Mais ne crois pas que le fait qu’un gars de 26 ans hérite d’un job de d.-g. soit de nature à me forcer à vouloir gravir les échelons plus vite. Ça n’a rien à voir. »

Surtout que son rôle de bras droit à Doug Armstrong permet à Brodeur de composer avec un horaire plus flexible. C’est d’ailleurs sur les allées d’un terrain de golf et non dans un bureau à se faire du mauvais sang avec la partie qui s’en venait que Martin Brodeur s’est rendu après les entraînements matinaux.

« La qualité de vie est importante », m’a lancé Brodeur qui avait vite perçu un brin de jalousie de ma part dans le fait qu’il avait ainsi pu disputer une ronde de golf un jour de match.

Cette qualité de vie est d’ailleurs l’un des facteurs qui l’ont incité à demeurer à St. Louis pour amorcer son après-carrière. Cette qualité de vie pourrait aussi l’inciter à s’établir dans le Missouri, peu importe le rôle définitif qu’il obtiendra avec les Blues.

« C’est bien plus facile pour moi de vivre ici que de le faire au New Jersey, à Montréal ou Toronto. Je suis reconnu un peu, mais jamais autant qu’à Jersey ou Montréal. Je peux donc travailler et vivre sans être dans la mire des journalistes et des partisans. Ça aide beaucoup. J’ai gardé ma maison au New Jersey – le nouvel entraîneur-chef des Devils John Hynes y habite à titre de locataire – et j’ai ma place à Montréal. Mais j’ai acheté ici aussi. J’y vis avec ma femme et mon plus jeune qui est un fan des Blues. Son joueur préféré est Colton Parayko et j’ai été forcé de lui acheter un chandail autographié qu’il porte tous les jours à l’école », a lancé Brodeur en riant.

Martin Brodeur sourit lorsqu’il parle de St. Louis : de l’équipe, de sa ville d’adoption, mais aussi des partisans qui sont vraiment des inconditionnels de leur club.

« Je n’en reviens pas de l’appui qu’on obtient. Les fans marchent dans les rues avec leurs chandails. La ville est Blues, même si St. Louis est une grosse ville de sports avec les Cards. Les gens ont été déçus au cours des dernières années et j’espère qu’on sera en mesure de leur donner ce qu’ils attendent », a conclu Martin Brodeur lors de notre rencontre de jeudi dernier.

Brodeur et les Blues n’ont plus le choix. Ils doivent répéter l’exploit réalisé en première ronde et remporter un deuxième septième match de suite. Sans quoi, la belle saison des Blues ira vite rejoindre les autres dans la colonne des déceptions.

Et si cela arrive, Brodeur devra peut-être oublier le golf un brin ou deux. Car la haute direction des Blues devra se mettre rapidement au travail pour établir ses plans en vue de la prochaine année. Et je ne parle pas ici seulement du repêchage, des transactions éventuelles à compléter et de la liste d’épicerie à dresser en vue de l’ouverture du marché des joueurs autonomes.

Je parle bien plus simplement des décisions associées à l’avenir des entraîneurs. Car de l’entraîneur-chef Ken Hitchcock à ses adjoints Kirk Muller, Brad Shaw, Ray Bennette et Jim Corsi qui s’occupe des gardiens, aucun n’a de contrat en poche en vue de la prochaine saison.