MONTRÉAL - C’est toujours un plaisir de s’abreuver des paroles de Scotty Bowman qui, à 86 ans, est non seulement en mesure de commenter les grands moments de sa carrière, mais de partager de menus détails qui ont marqué l’histoire. La sienne comme celles des équipes qu’il a dirigées.

 

La présentation, jeudi soir, à RDS du septième match opposant le Canadien de Montréal aux Bruins de Boston en demi-finale des séries de 1979 ouvrait toute grande la porte à des « retrouvailles » avec Scotty.

 

Les images de Don Cherry debout sur la bande pour dénoncer une pénalité décernée à son équipe en fin de rencontre, le but égalisateur marqué par Guy Lafleur lors de cette pénalité et le but d’Yvon Lambert pour donner la victoire en milieu de première période de prolongation viennent vite en tête de ceux et celles qui ont été témoins de cette partie.

 

« Quelle série », a d’abord lancé l’ancien coach du Canadien dont l’équipe était sur le point de soulever la coupe Stanley pour une quatrième année consécutive. Pour la 22e fois de son histoire.

 

« Les Bruins formaient une très bonne équipe. On venait de les battre deux fois de suite en grande finale – balayage en quatre matchs en 1977 et victoire en six rencontres en 1978 – et il y avait déjà une très grande rivalité opposant les deux équipes. Mais au-delà ce match mémorable, cette série a vraiment été sensationnelle », a ajouté Bowman qui a dirigé le Canadien vers une 14e élimination consécutive des Bruins par le Tricolore en série. Une série noire qui s’est prolongée jusqu’à 18 éliminations de suite avant que les Bruins ne viennent finalement à bout du Canadien en séries... au printemps 1988.

 

Surutilisation de Lafleur

 

Pour gagner le septième match aux dépens des Bruins et avoir la chance d’aller battre les Rangers, en grande finale, le Canadien a dû revenir de l’arrière à trois reprises lors du match ultime. Il a même dû combler un recul de deux buts après que Wayne Cashman, avec deux filets en période médiane, eut donné les devants 3-1 à son équipe.

 

Comme tout entraîneur-chef qui se respecte, Scotty Bowman a donc surutiliser ses meilleurs éléments. Guy Lafleur, avec Steve Shutt et Jacques Lemaire, étaient donc sur la patinoire aussi souvent qu’ils le pouvaient.

 

C’est cette surutilisation qui a mené à la pénalité qui a coulé les Bruins en fin de match.

 

« On avait marqué deux buts en deuxième période, mais Rick Middleton avait redonné les devants (4-3) aux Bruins en troisième. On avait perdu les services de Guy Lapointe en troisième. Je ne me souviens plus si c’était avant ou après ce but de Middleton, mais les Bruins avaient profité d’une ouverture qu’on avait donnée dans notre zone pour marquer ce quatrième but », raconte Bowman.

 

C’est là que Lafleur a pris encore plus de place.

 

« Les Bruins comptaient sur Donald Marcotte qui était un très solide ailier gauche en défense. Il suivait Flower à la trace depuis le début de la série. Il compliquait beaucoup son travail et Don – Don Cherry – s’assurait de toujours envoyer Marcotte sur la glace dès que j’y envoyais Guy. Lorsque Guy est sauté en fin de match, Marcotte a bien sûr sauté lui-aussi, mais un autre ailier gauche est allé parce que c’était son trio qui devait suivre. La confusion s’est passée comme ça et c’est là que la pénalité est survenue. »

 

Les Bruins ont longtemps imputé aux « fantômes » du Forum leurs insuccès face au Tricolore en séries. Mais cette fois, le fantôme portait bel et bien un uniforme des Bruins.

 

« Surtout que les arbitres avaient été très généreux à l’endroit des Bruins », s’empresse de souligner Bowman.

 

« Bob Myers était l’arbitre, mais c’est le juge de lignes John D’Amico qui a signalé la pénalité. Et il a mis du temps à le faire. Il a permis aux Bruins de se reprendre. Mais après plusieurs secondes, quand il était évident que les six joueurs des Bruins étaient impliqués dans le jeu et que personne ne retraitait vers le banc, c’est là qu’il a stoppé le jeu. »

 

La suite, tous les partisans du Canadien, tous les fans des Bruins et tous les amateurs de hockey la connaissent et s’en souviennent comme si c’était hier. Ou avant hier.

 

Tout ça sans « Pointu »!

 

Ce que plusieurs oublient – ajoutez mon nom à la liste – mais que Scotty Bowman tient à rappeler, c’est que le Canadien s’est défendu sans un des trois piliers de sa défense en fin de rencontre et en prolongation.

 

« Je ne me souviens pas quand au juste Guy – Lapointe – a été blessé, mais il n’a pas fait une présence sur la glace après sa blessure subie en troisième période et surtout en prolongation. Guy était un élément important du Big Three et il n’était pas évident de se défendre face aux Bruins sans lui. Déjà que Serge Savard et Larry Robinson étaient très utilisés, je crois qu’ils ne sont pratiquement plus jamais sortis de la patinoire. En prolongation, j’avais décidé de les garder là tant qu’ils en seraient capables. Je ne me souviens pas combien de temps il ont passé sur la glace dans le cadre des 10 minutes – 9:33 pour être précis – de la prolongation, mais ils ne sont pas sortis souvent. J’allais gagner ou perdre avec eux », a expliqué Bowman qui s’est toujours fait un devoir de souligner l’importance de Guy Lapointe au sein de son trio d’arrières élites.

 

Quand on regarde la prolongation, on note une séquence au cours de laquelle Brian Engloom et Rick Chartraw sont sur la patinoire.

 

Le reste du temps, ce sont les numéros 18 de Serge Savard et 19 de Larry Robinson qui sautent continuellement aux yeux. C’est d’ailleurs Serge Savard qui, après avoir coupé une poussée des Bruins à l’entrée du territoire du Canadien à la gauche de Ken Dryden, qui orchestre la relance menant au but de la victoire.

 

Savard se distance de l’adversaire des Bruins à qui il vient de soutirer la rondelle, effectue une passe à Mario Tremblay qui fonce en zone ennemie avant de remettre dans l’enclave vers Yvon Lambert qui fait dévier derrière Gilles Gilbert.

 

Scotty Bowman tient aussi à rappeler aux plus jeunes que le but égalisateur marqué par Guy Lafleur était loin d’être un cadeau offert par le gardien des Bruins.

 

« Gilles Gilbert était un très bon gardien. Et je sais que dans les paramètres du hockey d’aujourd’hui, les gardiens accordent rarement des buts sur des tirs en entrée de zone. Mais quand vous regardez la séquence, Guy arrivait avec une bonne vitesse derrière Jacques Lemaire qui a eu la brillante idée de lui remettre la rondelle par derrière. La vitesse de Guy, combinée à la puissance et la précision de son tir frappé sur réception lui ont permis de marquer ce but. C’était loin d’être un cadeau et un joueur du talent de Guy pourrait encore marquer ce genre de but dans le hockey d’aujourd’hui. »

 

Cherry : bien plus qu’un « show off »

 

La pénalité pour trop d’hommes sur la patinoire et le but de Lafleur qui a suivi ont poussé Don Cherry a donné un spectacle le 10 mai 1979 dans le ô combien regretté Forum.

 

Debout sur le banc, Cherry a salué le Canadien, ses partisans, les officiels et les fantômes histoire de tourner en dérision la séquence qui avait permis au Canadien de revenir de l’arrière pour la troisième fois dans le match. Et peut-être aussi de mettre la table sur la suite qui approchait…

 

Bowman rit un peu de ce souvenir. Mais il s’empresse d’ajouter que Cherry, aussi spectaculaire était-il à cette époque et aussi spectaculaire était-il dans son rôle d’analyste à « Coach’s Corner » était bien plus qu’un guignol.

 

« Don était un très bon coach de hockey. Je l’avais connu trois ans plus tôt (1976) dans le cadre d’une Coupe Canada. Il s’était joint à moi, Bobby Kromm et Al McNeil au sein du groupe d’entraîneurs. Don suivait les matchs de la passerelle. En grande finale, contre la Tchécoslovaquie – le pays s’est scindé en Tchéquie et Slovaquie en 1992 dans la foulée de la chute du Rideau de fer et du Mur de Berlin – on faisait face à Vladimir Dzurilla qui était un excellent gardien. Don avait remarqué qu’il sortait très loin de son but pour stopper les échappées. Avant la prolongation, il avait avisé l’équipe de songer à la contourner au lieu de le défier dans l’éventualité d’une échappée. Et c’est en suivant ce conseil que Darryl Sittler a marqué le but gagnant en prolongation. Nous sommes devenus de bons amis Don et moi au fil des ans. Il avait un style particulier, mais il connaissait ses joueurs et son hockey. » 

 

Changement de cap surprise

 

Après une quatrième conquête consécutive de la coupe Stanley, l’avenir de Scotty Bowman derrière le banc du Canadien était déjà assuré.

 

Contesté par ses joueurs qui le trouvaient dur, parfois même tortionnaire, Bowman était adulé par les fans du Canadien. Il avait déjà un statut de demi-dieu dans le monde du hockey.

 

Alors que les partisans se demandaient si Bowman serait en mesure de guider l’équipe vers une cinquième coupe consécutive l’année suivante, la nouvelle du départ du coach des coachs prit tout le monde par surprise.

 

À commencer par le principal.

 

« Je n’avais jamais préparé ce départ vers Buffalo. On a gagné la coupe et quelques semaines plus tard l’option s’est présentée à moi. Les Sabres me proposaient de devenir entraîneur-chef et directeur général de l’équipe. Le défi m’emballait et je suis parti », raconte simplement Scotty.

 

L’aventure à Buffalo n’a pas été des plus réussies. En plus d’assumer le rôle de DG, Bowman a dû passer plus de temps qu’il ne l’aurait voulu derrière le banc alors qu’il a remplacé son bon ami Jim Roberts et Jim Scheonfeld à qui il avait confié l’équipe.

 

Après un séjour de huit ans à Buffalo, Scotty Bowman s’est retrouvé à Pittsburgh où il a pu consolider sa place de plus grand coach de l’histoire de la LNH en aidant Mario Lemieux et les Penguins à gagner une deuxième coupe Stanley consécutive en 1992.

 

Il en a ensuite ajouté trois autres avec les Red Wings de Detroit portant à neuf sa récolte de coupe Stanley.

 

Ses 1244 victoires et 2141 parties dirigées dans la LNH sont des records qui ne seront jamais dépassés. Pas même approchés.

 

Joint en Floride où il passe ses hivers, Scotty Bowman compose comme il peut avec les contrecoups de la COVID-19.

 

Le respect des règles de prévention, l’oblige à demeurer le plus loin possible de l’action. Il s’ennuie donc beaucoup des matchs du Lightning qu’il suit du haut de la galerie de presse du Amalie Arena à Tampa.

 

Mais il se reprendra. Car oui, Scotty Bowman est convaincu que la LNH trouvera une façon de relancer la saison mise en pause le 12 mars dernier. Il n’ose pas avancer une date ou adopter un scénario dictant la manière donc le hockey reprendra, mais Scotty est sûr que ça recommencera.

 

« Je suivrai sans doute les matchs à la télé seulement, mais je vais suivre la fin de la saison c’est certain », a assuré Bowman qui devrait bientôt migrer vers le nord.

 

« Nous remontons rarement vers Buffalo avant le début du mois de mai. Nous ne sommes donc pas beaucoup en retard sur notre horaire habituel. Mais nous aimons mieux être en Floride qu’à Buffalo. Même si la ville est au nord, l’État de New York a été très touché et nous préférons demeurer prudents », a lancé Bowman qui s’est assuré de prendre des nouvelles de Montréal.

 

« La ville semble avoir été pas mal touchée. Ce ne doit pas être évident avec tout le monde qui se déplace en métro. »

 

Quand je lui ai fait remarquer que le métro était pour le moment assez peu achalandé en raison des fermetures imposées par le gouvernement et que le centre-ville avait des allures de ville fantôme, le bon vieux Scotty n’a pu s’empêcher de ramener la conversation au hockey.

 

« Ça prendra juste un match du Canadien en ville pour relancer l’activité. »

 

Bowman a sans doute raison. Une fois encore. Mais ce n’est pas demain, ou après-demain, que le Canadien disputera son prochain match au Centre Bell.