MONTRÉAL – Avant le début de la saison 2011-2012, un morceau de papier est apparu au-dessus de l’urinoir du vestiaire des Admirals de Norfolk.

La découpure avait été arrachée d’une récente édition du Hockey News et stratégiquement placée de sorte qu’un joueur du club-école du Lightning de Tampa Bay qui allait se soulager n’avait nulle part d’autre où regarder. Et ce qu’il pouvait voir n’avait rien de jojo. Dans ses prévisions automnales, la réputée publication prédisait un hiver long et froid en Virginie.

Disons que cette année-là, le Hockey News s’est royalement trompé. Désignés comme des locataires potentiels de la cave du classement de la Ligue américaine, les Admirals ont plutôt passé le rouleau compresseur sur l’ensemble du circuit. Petit club honnête en début de campagne, de plus en plus solide aux Fêtes, ils ont remporté 28 matchs consécutifs pour clore leur calendrier régulier, la plus longue séquence jamais enregistrée au hockey professionnel nord-américain. Et ils n’ont pas ralenti en séries, ne perdant que trois autres rencontres en route vers un sacre que personne n’avait vu venir.  

« Ça, c’est Jon Cooper, résume Pierre-Cédric Labrie, l’un des huit Québécois à avoir contribué à la conquête des Admirals. Il prend des underdogs et fait ressortir tout le potentiel de chacun d’entre eux. »

À l’époque, le nom de Cooper n’était pas encore arrivé aux oreilles du sportif de salon moyen. Cet avocat de formation n’en était qu’à sa sixième saison à la tête d’une équipe de hockey. Il avait commencé au bas de l’échelle, passant de l’obscure North American Hockey League (NAHL) à la United States Hockey League (USHL), puis à la Ligue américaine. Il avait gagné partout où il était passé chez les amateurs et n’a eu besoin que de deux saisons pour le faire chez les pros.

« Quand on regarde ça aujourd’hui, on pourrait dire qu’on avait un club paqueté, mais quand j’ai rejoint l’équipe au tiers de la saison, ce n’était pas du tout le cas, note le défenseur Jean-Philippe Côté. Ondrej Palat était rayé de l’alignement, l’identité de notre gardien numéro un n’était pas définie et nos meilleurs joueurs au début de l’année ont tous fini sur un quatrième trio. Julien BriseBois m’avait dit que son but était d’abord de bâtir l’équipe en fonction de l’année suivante, mais en deuxième moitié de saison, personne ne pouvait nous arrêter. »

« Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte quand une équipe connaît autant de succès, précise Côté. Mais pour nous, c’est sûr que Jon était en arrière de tout ça. »

Depuis le début des présentes séries dans la LNH, pendant que son équipe faisait tour à tour tomber les Red Wings de Detroit et le Canadien de Montréal, Cooper a souvent fait allusion aux jeunes qui ont grandi à ses côtés dans la Ligue américaine. Une demi-douzaine d'entre eux se retrouvent aujourd’hui comme lui à deux victoires d’une participation à la finale de la Coupe Stanley. Les autres suivent tout ça à distance et reconnaissent fièrement l’entraîneur qui leur a fait vivre une saison de rêve il y a trois ans.  

« Il est resté le même gars, rien n’a changé », assure Labrie, qui a disputé 46 matchs dans la LNH sous les ordres de Cooper. « J’étais là pour son premier discours avec le Lightning. Il nous avait dit : ‘Je viens de rentrer dans la Ligue, je suis la personne que je suis et je ne changerai pas pour vous. Vous êtes mieux de vous habituer à moi, parce que je suis ici pour dix ans. Si ça vous tente, suivez-moi. Sinon, on va vous montrer la porte.’ Il a de la confiance, mais c’est sa marque de commerce. Les joueurs savent qu’il sait où il s’en va. »

Le charisme de Jon Cooper est indéniable. Souriant et éloquent, son « swag », comme le dit Côté, lui permet de prendre le contrôle d’une pièce aussitôt qu’il y entre. Mais il ne serait qu’une coquille vide s’il n’était pas capable de partager cette assurance. « Il aime s’entendre parler, mais coudon, les gars aiment ça l’entendre parler aussi! », ne peut que constater le natif de Québec en riant.

Labrie, lui, décrit son ancien coach comme un « distributeur de confiance ».  

« Quand je jouais au Manitoba, l’équipe était assez vieille, on avait beaucoup de vétérans et ça criait pas mal. Des fois, je sortais de l’aréna, je venais de me voir sur vidéo et je me disais ‘Calique, je suis pourri au hockey!’ », se rappelle le dur à cuire de 28 ans, qui fait aujourd’hui partie de l’organisation des Blackhawks de Chicago. 

« Mais à Norfolk, les séances de vidéo, c’était une période d’enseignement. Jon partait une séquence en nous disant de ne rien prendre personnel, qu’il n’essayait pas de nous briser le cœur. Il utilisait l’humour pour nous faire comprendre ce qu’on avait fait de mal et ça passait bien. On sortait de là en se disant qu’on savait ce qu’on avait à faire pour gagner et tous les soirs, on se présentait pour lui. »

« Les gars qu’il dirige à Tampa veulent tous passer à travers un mur pour lui, observe Côté, qui vient de finir sa quatrième saison dans l’organisation du Lightning. C’est l’effet qu’il fait. Tu veux gagner pour Coop. »

Proximité calculée

Après un entraînement, Cooper peut être aperçu dans les couloirs du Amalie Arena, le domicile du Lightning, vêtu d’un simple short d’entraînement et d’un chandail à capuchon. Sandales aux pieds, coiffé d’une casquette tournée vers l’arrière, il salue poliment quelques employés et lance quelques blagues en faisant son chemin vers la sortie de l’édifice. Enlevez-lui quelques cheveux gris et on pourrait le méprendre pour un des millionnaires à sa charge.

Sans franchir la ligne qui pourrait mettre en péril son autorité, Cooper est près de ses joueurs. Dans la Ligue américaine, il pouvait lui arriver de refaire le monde avec ses jeunes protégés autour d’une bière ou deux. Une défaite pouvait le rendre furieux, mais jamais il ne transportait sa colère à l’extérieur des murs de l’aréna.

« Après un mauvais match, il pouvait nous blaster dans la chambre, mais dès qu’on le croisait dans le stationnement, il nous regardait en riant et nous disait : ‘La bonne nouvelle, c’est que le soleil va se lever demain, hein les boys?’. C’était comme ça avec lui. Jamais trop haut, jamais trop bas. Direct sur la ligne », raconte Labrie.

Quand les Admirals lui ont consenti un essai de 25 matchs à l’automne 2011, après un court séjour infructueux chez le Rampage de San Antonio, Labrie n’avait jamais entendu parler de Jon Cooper. Mais avant qu’il n’ait le temps de créer des liens avec ses nouveaux coéquipiers, c’est son entraîneur qui, le premier, l’a aidé à intégrer son nouveau milieu.

« Je ne connaissais personne à Norfolk, j’habitais à l’hôtel et les deux ou trois premiers soirs, j’allais manger seul sur la rue Granby. À un moment donné, je suis passé en face d’un resto et Jon était à l’intérieur avec un de ses assistants. Ils m’ont vu passer, Jon a cogné dans la vitrine et m’a fait signe d’entrer. Je me demandais ce qu’il voulait! J’entre, il me demande où je m’en allais et m’offre de m’asseoir avec eux. ‘On vient juste de commander’, qu’il me dit... »

Le parcours atypique de Labrie, un colosse qui n’a joué qu’une seule saison complète dans la Ligue junior majeur du Québec avant de grimper les échelons du hockey professionnel, a rapidement attiré l’attention du patron. Cooper se reconnaissait dans son nouvel attaquant.

« Avant les matchs, il était vraiment toujours après moi. Il savait que je n’avais pas de contrat garanti et il me lâchait tout le temps des petites remarques pour me motiver. Il avait toujours un petit mot pour me dire ce que j’avais à faire si je voulais rester. Sur le banc, dans la chambre, il me crinquait jusque dans le tapis. J’adorais ça. Je savais qu’il était derrière moi et ça me donnait confiance. Et il savait traiter chaque joueur différemment pour obtenir exactement le même effet. D’après moi, c’était sa principale qualité. »

Côté n’aurait probablement jamais connu Cooper n’eut été de l’ouverture d’esprit de ce dernier. L’ancien choix de neuvième ronde des Maple Leafs de Toronto revenait d’un séjour de deux ans en Allemagne et s’apprêtait à refaire ses classes dans la Ligue de la Côte Est quand il a reçu l’appel des Admirals. L’équipe avait besoin d’un défenseur, Alexandre Picard avait soulevé le nom de son ami dans le vestiaire, Cooper avait intercepté la conversation et avait aussitôt relayé le tuyau à BriseBois, son directeur général.

« C’est juste pour montrer à quel point il est à l’écoute de ses joueurs, explique Côté. Son approche est différente de celle de tous les autres entraîneurs que j’ai connus. »

Le père de triplés

Tyler Johnson, Ondrej Palat et Nikita Kucherov, qu’on a surnommé les « Triplets », forment le cœur de l’attaque du Lightning. Depuis le début des séries, ils ont marqué 25 des 47 buts que l’équipe a générés en 16 parties. Johnson en a réussi douze à lui seul, dont quatre buts gagnants. S’il maintient le rythme et que le Lightning parvient à mettre la main sur la deuxième coupe Stanley de son histoire, c’est lui qui repartira avec le trophée Conn Smythe, remis au joueur par excellence des éliminatoires.

Certains disent que Cooper a la chance de diriger l’un des meilleurs trios de la Ligue nationale. D’autres vont plus loin en posant la question qui tue : cette unité explosive existerait-elle si elle n’avait pas été touchée par sa main?

« Des fois, je me demande si les trois auraient fait une aussi bonne job s’ils avaient été réunis ailleurs ou si c’est vraiment Jon Cooper qui est un magicien... », pense tout haut Pierre-Cédric Labrie.

En Johnson, Cooper a hérité d’un jeune format poche sur qui les 30 équipes de la LNH avait levé le nez au repêchage. Rapidement, il a su prendre la mesure de son talentueux attaquant.

« Il savait comment le fouetter quand il était froid, relate Côté. Je me rappelle d’un meeting où ça n’allait pas pour lui. Jon lui a souligné ses erreurs devant tout le monde. On se sentait mal, mais c’est ce qui a fait de lui un meilleur joueur. Jon n’est vraiment pas étranger aux succès de ces gars-là. »

Pour Palat, un choix de septième ronde qui a donné ses premiers coups de patins en Amérique du Nord chez les Voltigeurs de Drummondville, la recette a été un peu différente. C’est en le laissant dans les gradins que Cooper lui a fait passer son message.

« Il avait été laissé de côté une couple de fois parce qu’il n’était pas assez fort sur son bâton, se remémore Labrie. Il n’était simplement pas encore sorti de sa coquille et Jon, au lieu de lui crier après, a su comme s’y prendre pour le réveiller. Il voyait qu’il travaillait fort, qu’il avait le cœur gros comme la chambre. Aujourd’hui, tu le regardes aller Palat, c’est un animal! »

« Leur gros break, c’est Cooper qui leur a donné. C’est un autre de ses talents. Il est capable de développer un joueur super rapidement », s’émerveille Labrie.