MONTRÉAL – Au repêchage de 1990, les Devils du New Jersey ont sélectionné trois gardiens qui allaient, à eux trois, jouer un total de 1807 matchs dans la Ligue nationale.

En troisième ronde, ils ont mis la main sur Mike Dunham, un jeune Américain enrôlé à l’Université du Maine. Puis en dixième ronde, ils ont pris une chance avec un certain Corey Schwab, un cerbère de 19 ans qui n’était même pas titulaire chez les Thunderbirds de Seattle, son équipe de la Ligue junior de l’Ouest.

Les deux trouvailles ont connu des carrières honnêtes. Après avoir représenté son pays aux Jeux olympiques de Lillehammer, Dunham a passé quatre saisons dans l’organisation des Devils avant d’aller voler de ses propres ailes chez les Predators de Nashville et les Rangers de New York. Schwab, quant à lui, a commencé sa carrière en soulevant la coupe Calder et l’a terminée en embrassant la coupe Stanley, menant entre ces deux conquêtes un parcours de neuf saisons à différents niveaux du circuit professionnel.

Mais leurs statistiques combinées n’arrivent pas à la cheville de celles qui ont été compilées par le véritable joyau de leur cuvée.

Martin Brodeur, leur compagnon de promotion et ancien coéquipier, verra ce soir son numéro 30 hissé dans les hauteurs du Prudential Center. Le natif de St-Léonard deviendra le quatrième immortel de l’équipe avec laquelle il a remporté trois fois la coupe Stanley et quatre fois le trophée Vézina en plus de s’établir comme le gardien ayant amassé le plus de victoires et de blanchissages dans l’histoire de la Ligue nationale.

Il n’y avait pas pénurie de gardiens au New Jersey quand les Devils ont amorcé leur camp d’entraînement à l’automne 1990. En plus de deux de ses trois nouvelles recrues, l’entraîneur-chef John Cunniff comptait sur le retour des jeunes Chris Terreri et Sean Burke en plus du vétéran Roland Melanson. Craig Billington, le choix de deuxième ronde de l’équipe six ans plus tôt, y avait aussi fait une escale avant de rejoindre l’équipe nationale canadienne.

« Martin a stabilisé la défensive »

« Sans internet, à l’époque, on n’avait d’autre choix que de croire ce qu’on lisait dans le Hockey News, s’est souvenu Schwab dans un récent entretien avec RDS. J’en avais appris un peu sur Marty et je me doutais qu’il était très talentueux, mais avant de faire sa connaissance durant notre premier camp, je ne savais pratiquement rien à son sujet. Pour moi, il n’était qu’un gars avec un grand sourire et un anglais qui boitait. »

Dunham n’a rejoint le groupe que trois ans plus tard, à la fin de sa carrière dans les rangs amateurs. Brodeur et lui se sont aussitôt liés d’une sincère amitié.

« Martin a stabilisé la défensive »

« Parfois les gardiens s’entendent bien, parfois non. Nous deux, ça a cliqué instantanément. J’ai rarement vu un gars prendre autant de plaisir à jouer au hockey. Il n’avait jamais l’air nerveux, comme s’il jouait dans la rue avec d’autres enfants, et je crois que ça s’est avéré être la clé de tout le succès qu’il a connu. Jamais il ne laissait un but le déranger ou une situation négative l’affecter. C’était un jeu pour lui et plus il jouait, mieux il se sentait et meilleur il était. »

Après avoir partagé le filet avec Schwab pendant un an dans la Ligue américaine, Brodeur a fait le saut dans la LNH à 21 ans et a immédiatement pris la place qu’il n’allait pas céder pendant les 19 années suivantes. Il a obtenu 47 départs dès son année recrue et mis la main sur le trophée Calder. L’année suivante, il a aidé les Devils à remporter la première coupe Stanley de leur histoire.

Schwab est finalement venu le rejoindre l’année suivante après avoir complété sa propre saison de rêve dans les mineures.

« Le gars que j’avais connu n’avait pas changé d’un brin et comme athlète, j’étais toujours aussi impressionné par son éthique de travail. Même s’il avait connu énormément de succès à un très jeune âge, rien n’avait changé. Il aimait faire du temps supplémentaire avant et après les entraînements. Toujours avec le sourire, mais toujours avec cet esprit compétitif presque maladif. Il refusait de prendre une journée de congé. Il voulait être de tous les matchs et de toutes les pratiques. »

« Dans mon rôle d’auxiliaire à Martin, je ne faisais pratiquement rien d’autre que de m’entraîner, mais ça ne veut pas dire que ce n’était pas dur sur le corps! Et pourtant, je voyais ce gars-là qui venait de jouer dix matchs en ligne et qui était encore le premier sur la patinoire pour une petite séance matinale. C’était toute une source de motivation pour moi. D’autant plus qu’il arrêtait toutes les rondelles lancées en sa direction, alors si je ne voulais pas me faire humilier par les gars qui venaient se venger sur moi à l’autre bout de la patinoire, j’avais intérêt à être en forme! »

Un blanchissage fantôme

À l’été 1996, le directeur général des Devils, Lou Lamoriello, a échangé Schwab au Lightning de Tampa Bay pour laisser la place à Dunham, qui avait gagné ses galons dans la Ligue américaine. Comme son prédécesseur l’avait réalisé quelques années plus tôt, le nouveau venu s’est vite rendu compte que son partenaire n’avait pas laissé son statut de vedette lui monter à la tête.

« Il était un gars parmi tant d’autres, très facile à gérer, a remarqué Dunham. Il n’était pas du genre à se casser la tête. Avant un départ, il était très détendu et entre les périodes, il n’arrêtait pas de rire et de parler. Il n’a jamais laissé son égo devenir plus gros que l’équipe. »

« Jamais je ne l’ai vu demander quelque chose à laquelle les autres n’avaient pas accès, a aussi retenu Schwab. Il traitait tous les gars de la même façon, de la recrue au vétéran de dix saisons. »

Martin Brodeur et Mike DunhamL’histoire dit que Brodeur a brisé le regard de Terry Sawchuk en enregistrant le 104e jeu blanc de sa carrière le 21 décembre 2009 contre les Penguins de Pittsburgh. Mais n’eut été du passage de Dunham dans sa carrière, cet accomplissement aurait été célébré deux semaines plus tôt, à Buffalo.

(Martin Brodeur et Mike Dunham ont remporté le trophée Jennings lors de la saison 1996-97. Photo : Getty)

Brodeur a en effet réussi un 126e blanchissage, lors de la saison 1996-97, mais il n’a jamais été comptabilisé dans le livre des records de la LNH parce qu’il a dû le partager avec son adjoint.

« J’étais une recrue, mais à cause de mon âge, je devais prendre part à un minimum de 25 matchs pour éviter d’accéder à l’autonomie, raconte Dunham. Alors cette année-là, Jacques Lemaire m’envoyait souvent dans la mêlée pour quelques minutes, quand on avait une grosse avance. Dans un de ces matchs, on n’avait pas encore accordé de but quand il m’a donné le filet et je crois qu’on a fini par gagner 3-0, donc le blanchissage n’est allé à la fiche de personne. »

« Plusieurs années plus tard, quand il était à la poursuite du record de Sawchuk, j’en riais en disant que personne ne devait souhaiter autant que moi qu’il finisse par le battre. Je ne voulais pas qu’il soit en colère contre moi! »

Dunham a finalement fini sa première saison dans la LNH avec 26 matchs à sa fiche. L’année suivante, sa dernière au New Jersey, il n’en a disputé qu’une quinzaine. Les Devils ne l’ont pas protégé au repêchage d’expansion et il est devenu le premier gardien de confiance des Predators.

« Maintenant que je suis vieux, je peux voir les choses d’un œil positif. Ça prenait 25 matchs pour être admissible à l’obtention du trophée Jennings et on l’a gagné cette année-là. Alors grâce à Martin, j’ai mon nom sur un trophée qui se trouve au Temple de la renommée. Je ne peux pas me plaindre! »

« Grâce à Martin… »

Corey Schwab aussi peut lire son nom sur un trophée grâce à Martin Brodeur. En 2002, après une saison dans le rôle d’adjoint à Curtis Joseph chez les Maple Leafs de Toronto, le routier de la Saskatchewan est rentré au bercail pour terminer sa carrière où il l’avait débutée.

Martin Brodeur et Corey SchwabBrodeur avait alors 30 ans et venait d’enfiler cinq saisons consécutives d’au moins 70 sorties. Schwab savait fort bien qu’il ne verrait pas énormément d’action, mais ce n’était pas pourquoi il était revenu. Il savait que son histoire tirait à sa fin et souhaitait la terminer avec un point d’exclamation. Tout s’est déroulé selon le scénario qu’il s’était imaginé.

(Martin Brodeur et Corey Schwab avec les Devils d'Utica en 1993. Photo : Getty)

« Je ne crois pas que nous avions la plus talentueuse des trois éditions des Devils qui ont remporté la Coupe, mais Martin a été extraordinaire pour nous. Je lui en dois une pour ça! »

Brodeur a effectivement eu un gros mot à dire dans le sacre du printemps 2003, le dernier de sa glorieuse carrière. Sur les 16 victoires savourées par les Devils cette année-là, sept ont été acquises par jeu blanc.

La dernière est inoubliable. Dans le match précédent, Schwab était venu en relève à Brodeur en fin de troisième période après que ce dernier eut accordé cinq buts sur 22 lancers.

« Pat Burns savait ce qu’il faisait. Il savait que nos chances de revenir dans le match étaient nulles et qu’il ne risquait en rien d’affecter la confiance de Martin en le retirant du match. Au contraire! Quand Marty accordait un mauvais but, on pouvait généralement s’attendre à ce qu’il ferme la porte par la suite. Et quand il connaissait un mauvais match, on savait qu’il allait probablement réussir un blanchissage lors du match suivant. »

C’est exactement ce qui est arrivé. Deux jours après sa visite prématurée aux douches, lors du septième match de la finale de la coupe Stanley, Brodeur repoussait 24 rondelles pour dans une victoire de 3-0 des Devils.

« C’était du Marty tout craché! », s’émerveille encore Corey Schwab treize ans plus tard.