TORONTO – Peter Forsberg est un hockeyeur difficile à contenter. De son propre aveu, il a rarement été pleinement satisfait de ses performances, accordant plus d’importance à une erreur commise ici ou là qu’aux nombreux jeux magistraux multipliés lors des 708 matchs de saison régulière et 151 parties de séries éliminatoires disputés dans la LNH. Huit cent cinquante-neuf matchs auxquels on doit ajouter quelques centaines d’autres parties disputées dans l’uniforme du Modo, son équipe en Suède, ou au sein de son équipe nationale.

Vendredi, lors de la rencontre de presse avec les futurs intronisés de la cohorte 2014, Forsberg a pris les journalistes par surprise lorsqu’il a lancé avoir réalisé qu’il était plus qu’un joueur de hockey ordinaire à l’âge de 27 ou 28 ans. Soit 10 ans minimum après tous ceux qui connaissent le moindrement le hockey et qui ont le moindre flair pour déceler le talent... le vrai.

Pourtant! Le troisième Suédois seulement à faire son entrée au Temple de la renommée du hockey a une feuille de route à faire rougir d’envie les plus grands joueurs de l’histoire.

Vingt-cinq hockeyeurs seulement peuvent se vanter d’avoir réalisé la triple couronne au hockey : un honneur réservé aux joueurs ayant remporté une coupe Stanley, une médaille d’or olympique et un championnat du monde. De ces 25 joueurs, Forsberg est l’un des trois – Viatcheslav Fetisov et Igor Larionov sont les autres – qui ont complété la triple couronne à deux reprises. Le Suédois compte deux conquêtes de la coupe Stanley (1996 et 2001) avec l’Avalanche du Colorado, deux médailles d’or olympiques (1994 à Albertville et 2006 à Turin) et deux Championnats du monde (1992 et 1998).

Depuis vendredi, alors qu’il répond aux questions des journalistes sur toutes les tribunes et des amateurs croisés à Toronto, Forsberg reconnaît être comblé par son intronisation au Panthéon du hockey. Un honneur qui l’aide à réaliser tout ce qu’il a accompli au cours d’une carrière qui aurait pu être plus glorieuse encore si les blessures l’avaient moins minée. Un honneur qui le satisfait pleinement. Enfin!

S’il est peu enclin à auréoler son jeu des qualités qu’il mérite amplement, Forsberg a été encensé par ses pairs samedi après-midi.

« Peter Forsberg pouvait te battre sur la patinoire dans toutes les facettes du hockey. Il était assez rapide pour contourner n’importe quel joueur. Il était capable d’endormir n’importe qui avec son maniement de la rondelle, avec ses passes de qualité et avec son tir précis et vif. Mais Peter n’était pas seulement talentueux. Il était aussi dur, fougueux et même belliqueux sur la patinoire. Je le sais, car je me suis trop souvent trouvé sur son chemin alors que les Stars de Dallas et l’Avalanche se croisaient souvent en séries », a lancé Mike Modano.

« J’ai eu la chance d’éviter Forsberg au début de ma carrière, car je jouais à Buffalo et lui au Colorado. On ne se voyait pas souvent. Il s’est repris quand je suis passé à Detroit. Je disais toujours à mes défenseurs d’avoir Forsberg à l’œil parce qu’il était un joueur imprévisible. Je leur demandais de ne pas lui donner d’espace sur la glace. De le frapper pour le contenir ou le ralentir. Ils me répondaient toujours que c’était très difficile, voire impossible de le frapper. Et lorsqu’ils arrivaient à le frapper, c’était rarement Forsberg qui écopait, mais ceux qui tentaient de le frapper qui se retrouvaient sur le dos », a ajouté Dominik Hasek.

Rob Blake, qui fait son entrée au Temple de la renommée en partie en raison de l’aspect physique de son jeu et sa capacité à « visser » des adversaires dans la bande, s’est permis d’appuyer les propos de l’ancien gardien des Sabres et des Red Wings.

« Avant d’être un coéquipier de Peter au Colorado, j’ai été son adversaire. Lors d’une visite à Denver avec les Kings, je le regardais aller et je m’étais donné comme mandat de le freiner. De lui asséner une solide mise en échec. Quelques présences plus tard, l’occasion s’est présentée. Il était dans le coin et j’ai saisi ma chance. L’ennui, c’est que c’est lui qui m’a frappé. Il m’a logé son épaule dans le creux de l’estomac. Le choc a été tel qu’il m’a complètement coupé le souffle. L’oxygène est déjà rare à Denver. Imaginez ce que ça devient avec le souffle coupé. Je n’avais jamais eu autant de difficulté à rentrer au banc de ma carrière. Pendant mes années avec Peter à Denver, je l’ai plusieurs fois vu jouer le même tour à plusieurs adversaires. Il n’est pas grand (6 pieds) pas très lourd (208 livres), mais j’ai rarement vu un gars aussi solide sur ses patins. Il était ancré dans la glace. Mais c’était d‘abord et avant tout un grand joueur de hockey. Quand la situation était corsée, c’est lui que tu voulais sur la patinoire. »

L’arbitre Bill McCreary, qui a eu quelques prises de bec avec Forsberg qui n’aimait pas beaucoup les arbitres et surtout leurs décisions, a reconnu qu’au-delà de tous ses talents, Forsberg avait la capacité de pousser les règles à l’extrême limite.

« Peter avait cette façon bien à lui de lancer la rondelle dans le coin et de s’y rendre le premier. Les premières fois, je me demandais pourquoi il s’exposait comme ça à une solide mise en échec. J’ai vite compris que c’était une stratégie. Une fois dans le coin, il s’assurait de frapper ses adversaires avant d’être frappé. J’ai rarement vu un gars flirter avec des pénalités pour obstruction comme il le faisait. Mais, la plupart du temps, il s’en tirait, car on devait lui donner le bénéfice du doute. »

Se tournant vers sa droite en regardant Forsberg dans les yeux lors de la rencontre avec les partisans samedi après-midi, McCreary s’est ensuite permis une question bien directe : « Allez! Dis-le-moi aujourd’hui que tu faisais exprès et que j’aurais dû te chasser plus souvent? »

Forsberg s’est contenté de sourire en guise de réponse...

Plusieurs fans vêtus de chandails de l’Avalanche, du Modo et de l’équipe nationale de la Suède ont posé des questions à Forsberg. Des questions reliées à ses plus beaux exploits en carrière. À son plus beau moment. Malgré toutes ces questions, Forsberg a refusé d’accorder plus de valeur aux médailles olympiques qu’aux coupes Stanley ou titres de champion du monde.

« Ce sont de grands exploits qui ne se comparent pas. La coupe Stanley couronne neuf mois de travail ardu. On se vide en équipe et le fait de soulever le trophée est vraiment sensationnel. Gagner une médaille d’or ou un titre mondial pour son pays est tout aussi gratifiant. Surtout que tu le fais avec des amis d’enfance. En prime, j’ai remporté l’un de ces titres (championnat du monde en 1998) alors que me mon père (Kent) était entraîneur-chef. Au lieu de vous dire lequel de ces titres a le plus de valeur, je vais me contenter de vous dire que je me considère très chanceux d’en avoir remporté autant », a indiqué Forsberg qui a aussi placé le Tournoi Pee-Wee de Québec sur sa liste de grands moments en carrière.

Mais le plus grand moment de tous, Forsberg reconnaît que c’est son but en or, en fusillade, contre le Canada, à Albertville en 1994, but qui a donné la médaille d’or à la Suède. Un but magnifique alors que Forsberg a glissé la rondelle loin sur sa droite alors qu’il tournait vers sa gauche pour déjouer le gardien canadien Corey Hersh. Un but que la Suède a immortalisé en le commémorant sur un timbre officiel. Un but qui a depuis été mille et une fois imité. Un but que Forsberg ne croyait jamais être en mesure de marquer.

« J’étais terriblement mauvais en tirs de barrage. J’avais deux plans. C’est tout. Comme j’avais déjà utilisé le premier plus tôt lors du tournoi, j’ai tenté le deuxième. Mes chances de marquer étaient faibles, mais comme on en parle encore aujourd’hui, je dois reconnaître que c’est certainement le moment le plus marquant de ma carrière. »

Autre fait saillant de la carrière de Forsberg, il s’est retrouvé au centre de la transaction qui a envoyé Eric Lindros des Nordiques de Québec aux Flyers de Philadelphie. En plus de Forsberg, les Nordiques avaient obtenu les défenseurs Steve Duchesne, Kerry Huffman, l’attaquant Mike Ricci, le gardien Ron Hextall, un premier choix au repêchage devenu Jocelyn Thibault, des considérations futures (Chris Simon et Nolan Baumgartner) et 15 millions $. Une transaction passée à l’histoire de la LNH comme la pire jamais conclue.

Vingt-deux ans plus tard, il est permis de se demander si une transaction un pour un entre Forsberg et Lindros serait justifiée. Car 22 ans plus tard, Peter Forsberg fait son entrée au Temple de la renommée alors que le débat sur les chances de voir Eric Lindros y entrer un jour fait toujours rage.

En plus de rejoindre Borje Salming et son grand copain Mats Sundin, les deux seuls autres Suédois au Temple de la renommée, Peter Forsberg rejoindra lundi Joe Sakic, celui que « Foppa » considère toujours comme le meilleur joueur de hockey de l’histoire. Celui qui lui a servi de mentor à son arrivée avec les Nordiques à Québec. Celui qui l’a ensuite guidé vers les grands honneurs avec l’Avalanche du Colorado. « Un joueur qui m’a appris à porter l’attention nécessaire à tous les petits détails qui font la différence entre la victoire et la défaite », a conclu Forsberg.