Vice-président de la sécurité des joueurs de la Ligue nationale depuis le mois de septembre, Stéphane Quintal est, en quelque sorte, l’ange gardien des hockeyeurs. Entrevue exclusive avec le Québécois le plus haut placé du circuit Bettman.

Mi-décembre, Stéphane Quintal nous donne rendez-vous dans les bureaux de l’agence Réverbères Média, au centre-ville de Montréal. C’est elle, via Vincent Gourd, qui gère ses activités hors-LNH.

Quintal revient à peine de Columbus, où il devait se rendre pour régler les derniers détails du concours d’habiletés du Match des étoiles, qui a eu lieu les 24 et 25 janvier, au Nationwide Arena. « Les gens pensent qu’on ne fait que donner des suspensions, mais on fait tellement plus que ça », commence par dire Quintal, entre deux gorgées de cappuccino.

À 46 ans, Quintal occupe les fonctions de V.-P. de la sécurité des joueurs de la LNH depuis le 8 septembre dernier, après avoir remplacé Brendan Shanahan de façon intérimaire pendant cinq mois.

« La première chose que je me suis dite quand Gary Bettman a confirmé mon embauche, c’est que dorénavant, ça allait être moi qui allais prendre les décisions, confie Quintal. J’allais devoir vivre avec et les assumer. Les gens ne le savent peut-être pas, mais souvent, dans le comité, on est d’accord pour appeler une suspension, mais pas nécessairement pour le nombre de matchs. Maintenant, c’est moi qui tranche. Je dois donc être à l’aise avec mes décisions… »

Car, oui, Quintal a les coudées franches pour rendre ses verdicts. Contrairement à ce que plusieurs pensent, Gary Bettman, le commissaire de la LNH, et son bras droit Bill Daly, n’ont pas droit de regard sur ses sentences.

« C’est moi qui ai la décision finale, précise l’ancien défenseur. Je n’ai aucun contact avec Gary au sujet des suspensions, car si jamais la cause doit aller en appel, c’est lui qui va l’entendre. Il ne doit donc pas être influencé par mon jugement. Je parle plus souvent à Bill, mais c’est vraiment moi qui ai le dernier mot. » 

Comment impose-t-on une suspension?

Alors, si Bettman et Daly ne sont pas impliqués dans le processus des suspensions, qui l’est? Quelles sont les étapes entre le geste répréhensible d’un joueur x et l’annonce de la suspension qui y est rattachée? « Un soir donné, je peux recevoir 10 à 15 vidéos à réviser, nous explique le vice-président. C’est moi qui décide lesquels j’amène à un autre niveau, c’est-à-dire lesquels ont besoin d’être vus par mon équipe, formée de Chris Pronger, Pat Lafontaine, Patrick Burke et Damian Echevarrieta. Chacun m’envoie son avis, que je suis le seul à connaître. Il ne faut pas qu’ils s’influencent entre eux.

« Une fois que j’ai entendu le point de vue de chacun, je pense à la suspension que je veux donner. Je contacte ensuite le directeur général de l’équipe du joueur concerné, pour connaître leur horaire du lendemain et planifier une audience au téléphone ou en personne. Lors d’une audience, le joueur, son agent, le directeur général et deux avocats de l’Association des joueurs sont présents. De notre côté, à part moi, il y a Bill Daly, deux avocats de la LNH, Chris, Pat, Patrick et Damian. Je te dirais que Damian est mon gars clé. Ça fait 16 ans qu’il travaille à LNH et il connaît le livre des règlements par cœur, les arbitres et tout le monde. Moi je suis très proche de Stephen Walkom, le directeur des arbitres de la ligue, et ça peut arriver que je lui demande son opinion. Il est très bon… »

Curieusement, Quintal est rendu V.-P. à la sécurité des joueurs bien qu’il ait passé sa carrière à pratiquer un style de jeu robuste. Idem pour son prédécesseur, Brendan Shanahan, aujourd’hui président des Maple Leafs de Toronto. L’un des adjoints de Quintal, Chris Pronger, était reconnu comme l’un des joueurs les plus salauds du circuit Bettman du temps qu’il jouait.

Donc, la question qui tue : faut-il avoir été un joueur robuste pour être en mesure d’évaluer adéquatement quel geste est passible d’une suspension et lequel ne l’est pas? « Je ne crois qu’il s’agisse d’un pré-requis, mais des gars comme Brendan et Chris, qui ont déjà été suspendus souvent, me disent parfois : 'Moi, je pensais comme ça. Le geste était voulu, j’en suis certain.' Je dois donc, souvent, enlever le bénéfice du doute au joueur fautif, avoue le Bouchervillois. Mon but n’est pas de donner des suspensions à gauche et à droite, mais parfois, je n’ai pas le choix. J’aimerais que tous les gars de la ligue jouent de façon clean et fair, mais ce n’est pas le cas.

« L’autre fois, j’ai encore eu à évaluer un geste de Ryan Garbutt, des Stars de Dallas. Je ne voulais pas lui faire la morale, mais je lui ai dit : 'Ryan, ça fait 154 matchs que tu joues dans la LNH et ça fait trois fois que tu as affaire à moi. Des tas de joueurs comme toi ont réussi à avoir une longue carrière dans la LNH. Tu es un gars intelligent, tu as étudié à Brown. À toi de prendre la bonne décision et de voir si tu veux changer ton style...' » 

Le message passe…

Au moment d’écrire ces lignes, Quintal avait eu à se prononcer 13 fois depuis le début de la saison, dont deux au sujet de Garbutt. Une pour avoir glissé son patin derrière les jambes d’un adversaire pour le faire trébucher (trois matchs), le fameux slew-footing, et une autre pour avoir sorti le genou (deux matchs). Il était le seul, avec Marco Scandella, du Wild du Minnesota, à avoir été puni deux fois par Quintal, en date du 22 décembre.

Au total, on parlait de cinq matchs de suspension pour Garbutt et de 29 pour tous les autres hockeyeurs du circuit Bettman.

Quintal estime donc que le message est en train de passer aux quatre coins de la ligue ; 13 suspensions pour 34 matchs, c’est une moyenne de 2,6 rencontres par décision, donc rien de « majeur ».

En plus, Quintal n’a pas eu à rendre de décision avant le 27 octobre dernier, quand le gros John Scott a fait le bouffon une fois de plus. Jamais, en 31 ans, on avait eu à attendre aussi tard en saison avant qu’une première suspension ne soit appelée!

« Chaque soir, je regarde des matchs et je remarque que le comportement des joueurs change, estime l’ancien défenseur qui a passé la moitié de sa carrière à Montréal. Je ne peux toutefois pas t’expliquer pourquoi, une semaine, j’ai trois ou quatre suspensions à donner et que, l’autre d’après, je n’ai rien. Parfois, une équipe est sur une mauvaise séquence, alors ses joueurs de soutien tentent de fouetter leurs troupes à l’aide d’une mise en échec percutante ou peu importe. Et la vidéo de l’incident finit sur mon bureau… »

Parlant de vidéos, la Ligue nationale a visé juste quand elle a décidé, lors de la mise sur pied du département de la sécurité, en juin 2011, de filmer les explications concernant tel ou tel geste. « C’est Gary Bettman qui a eu l’idée des vidéos explicatives et Brendan l’a aidé à développer le concept, note Quintal. Il faut croire que c’était une bonne idée, car les autres ligues majeures le font toutes maintenant! Le but principal des vidéos était de justifier nos décisions, que ce soit pour une suspension ou une non-suspension. Pour que les gens comprennent bien notre point de vue. »

Et les joueurs aussi...

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