Tandis que la fièvre des séries s’emparera des amateurs du Canadien à partir de mercredi, les amateurs des six autres formations canadiennes ressentiront plutôt le deuil de l’élimination de la leur.

En effet, pour la première fois depuis 1973, le Canada ne sera représenté que par une seule équipe en séries éliminatoires. Heureusement pour Montréal, c’est le Canadien qui vient sauver la mise, mais le portrait du sport national ne pourrait guère être plus entaché.

Les experts accordent une dose considérable de responsabilités à l’hypothèse selon laquelle il ne s’agit que d’un malheureux amalgame de circonstances. Cependant, ils identifient aussi un répertoire de facteurs dans l’autopsie de cette débâcle.

En premier lieu, les directeurs généraux des marchés canadiens se retrouveraient en quelque sorte dans une marmite à pression compliquant la poursuite d’un plan axé sur la patience et la croissance.

Cet avis est notamment partagé par André Savard, qui a dirigé les destinées du Canadien de Montréal de novembre 2000 à juillet 2003, et François Giguère, qui a détenu des fonctions semblables avec l’Avalanche du Colorado de 2006 à 2009.

« La pression est plus forte pour ceux qui occupent ce poste au Canada. Je donne beaucoup de mérite aux réseaux de télévision comme TSN et RDS pour avoir renouvelé la base de partisans et ils permettent aux jeunes de s’identifier aux joueurs. Par contre, ça vient avec une pression sur les équipes », a avoué André Savard en ajoutant que les marchés américains subissent une pression différente, celle d’attirer des spectateurs de façon constante.

Bob Hartley

Selon Luc Robitaille, cette relation de proximité avec les amateurs empêcherait souvent les dirigeants des formations canadiennes d’entamer une reconstruction majeure qui nécessite un passage dans les profondeurs du classement. 

« Il y a de la vérité dans cela et j’ajouterais que les équipes canadiennes subissent plus de pression à la date limite des transactions pour effectuer des acquisitions. Ainsi, elles sont plus susceptibles de donner un choix de deuxième ronde pour conclure une transaction. Ça fait en sorte que tu perds des atouts et ça devient plus difficile de renflouer ta banque d’espoirs », a soutenu Giguère.                                                          

La situation décrite par Robitaille fait immédiatement penser aux Flames de Calgary qui ont fini par céder à la tentation de la reconstruction après avoir peiné à sortir la tête de l’eau autrement.

Durant ses cinq saisons avec les Flames, Matthew Lombardi a vécu le privilège de toujours accéder aux éliminatoires. Le tout s’est gâté après son départ puisque cette formation rate le tournoi printanier pour une cinquième saison d’affilée. 

« C’est difficile de décider quand arrive le bon moment pour plonger dans la reconstruction. Que tu commences ce processus rapidement ou quelques années plus tard, ce n’est pas évident à accepter pour les amateurs qui veulent gagner tout de suite et qui le méritent. Par contre, tous les clubs qui sont au sommet sont passés par là pendant des périodes variées de temps », a confié Lombardi qui poursuit sa carrière à Genève, en Suisse.

« Parfois, il faut s’attendre  à ce que ça fasse mal avant que ça fasse du bien », a enchaîné celui qui n’a pas encore décidé s’il renonçait à revenir dans la LNH. 

John TortorellaDu côté de Vancouver, les Canucks n’ont pas accepté leur chute vécue cette saison, mais elle s’est amorcée par un cafouillage qui remonte à plus loin. Ceci dit, ils n’ont pas tardé à limoger leur DG, Mike Gillis, peu de temps après la confirmation de leur élimination.

Le hic demeure de savoir si l’organisation de la Colombie-Britannique a identifié la véritable source de leurs déboires.

« En tant qu’ancien joueur, je pense qu’il faut surtout blâmer (John) Tortorella puisqu’Alain Vigneault avait le même noyau et ça fonctionnait. Sauf qu’on entend que les propriétaires voulaient embaucher Tortorella et on se lance la balle d’un côté et de l’autre sans vouloir prendre le blâme », a interprété Éric Bélanger, qui campe maintenant le rôle d’analyste à RDS, avec l’aide de ses 820 parties d’expérience dans la LNH. 

« Il y a plusieurs raisons, mais il y a sûrement eu des erreurs de la part de la direction. L’entraîneur a sûrement une part du blâme, n’ayant pas su tirer avantage du style de son équipe et faire ressortir le talent de ses joueurs », a jugé Giguère qui a aussi œuvré dans la direction avec les Stars de Dallas.

Une confiance qui s’effondre parfois comme un château de cartes

Dans un environnement aussi compétitif que le sport professionnel, l’ingrédient de la confiance fait souvent pencher la balance vers un camp au lieu de l’autre. Ce phénomène pourrait avoir causé la perte des Maple Leafs de Toronto qui ont échappé neuf matchs sur dix du 11 au 29 mars.

Maple LeafsEn 2011-2012, Lombardi avait vécu une situation similaire lors de son unique saison dans l’uniforme des Leafs. En fait, l’effondrement avait été encore plus retentissant avec 15 défaites en 17 rencontres. 

« J’ai suivi la saison des Leafs et ça doit être très décevant pour les joueurs. À un certain moment, ça allait très bien, mais c’est dommage d’échapper les séries dans le dernier droit de la saison. Je me sens mal pour eux surtout car je comprends ce qu’ils ont traversé », a confié l’auteur de 262 points en 536 parties dans la LNH dont la famille s’est bien adaptée à la vie en Suisse.

À son époque dans le chandail bleu et blanc, les Leafs s’étaient effondrés pour rater les séries éliminatoires pour une septième campagne consécutive.

« Pourtant, nous avions une bonne chimie dans le vestiaire. Je ne sais pas si les joueurs ressentaient une pression extérieure, mais on s’imposait nous-mêmes de la pression parce qu’on voulait tellement bien faire et devenir l’équipe qui allait mettre fin à cette séquence », s’est-il rappelé.

Le taux d’imposition, un handicap

Fréquemment, les impôts élevés de certains marchés canadiens sont identifiés comme l’une des causes compliquant leur relance.

Bien sûr, le joueur choisit avant tout sa prochaine destination en fonction du contexte de carrière et de ses objectifs. Cependant, Bélanger confirme que les athlètes reçoivent un outil pour bien évaluer l’impact de leur choix sur leur salaire avant d’accepter un contrat.

« Tu te retrouves avec ta feuille devant toi quand tu es joueur autonome et tu vois les comparatifs avec le taux d’imposition. Au bout de quelques années, c’est une énorme différence et les joueurs pensent à cela, mais ça dépend de ta situation », a reconnu Bélanger.

« C’est la réalité et tout le monde ferait la même chose. De l’extérieur, c’est facile de critiquer un joueur qui a choisi une destination pour l’argent, mais plusieurs personnes changeraient d’avis en faisant face à un tel dilemme », a-t-il nuancé.  

Dans son rôle de directeur général, André Savard s’est parfois retrouvé dans une position plus difficile pour attirer une « grosse prise » à Montréal, mais la réalité se joue aussi parfois à l’inverse comme l’explique François Giguère.   

« Ça m’est arrivé quand j’étais avec les Stars de Dallas, où le Texas ne soustrait pas d’impôt, et ça ne jouait pas un gros avantage. Je crois que les joueurs veulent avant tout s’assurer que son comparable reçoit le même montant brut. Ça demeure un facteur, mais il se retrouve plus loin sur la liste », a-t-il raconté.

Selon son expérience, Giguère est arrivé à une conclusion qui explique parfois pourquoi le  Canadien peine à mettre sous contrat des joueurs québécois. 

« D’après ma perception, un joueur canadien-anglais de premier plan me semble plus susceptible de venir jouer dans son coin d’origine comparativement à un francophone avec le Canadien et je pense que c’est relié à la nature québécoise. Nous sommes des personnes très émotives et on se promène dans les extrêmes. Quand on aime, on aime beaucoup, et l’inverse est également vrai. Plusieurs francophones qui ont joué pour le Canadien ont vécu de grands hauts, mais aussi de grands bas comme (Patrice) Brisebois, (José) Théodore, (Patrick) Roy… », a détaillé le dirigeant de 50 ans. 

Ce contexte rehausse donc l’importance du repêchage, un domaine où le Canadien se débrouille bien depuis quelques années.

« C’est pourquoi j’ai toujours cru que c’était important pour le Canadien de repêcher des francophones. Quand ils sont élevés au sein de l’organisation, ils sont heureux de jouer pour le Canadien. Mais quand ils entament leur carrière à l’étranger, c’est plus difficile de vivre un tel changement par la suite », a conclu Giguère.

*Mardi, un deuxième article s’attardera sur les défis d’une reconstruction complète ou partielle notamment avec l’exemple raté des Oilers.