La prochaine question quiz amusante sur le hockey implique la plus forte surprise dans le camp des Predators de Nashville ce printemps. Quel rapprochement peut-on faire entre Frédérick Gaudreau et Maurice Richard? Les deux ont déjà marqué tous les buts de leur équipe dans un match des séries.

 

Richard a accompli l’exploit en marquant cinq buts dans une victoire de 5-1 durant une demi-finale contre Toronto en 1944, ce qui lui a valu de recevoir les trois étoiles du match. Gaudreau, qui n’était pas reconnu comme un marqueur, s’est offert une performance de cinq buts dans une victoire de 5-4 des Voltigeurs de Drummondville contre les Tigres de Victoriaville à sa dernière saison dans les rangs juniors.

Lui raconter ce lien très lointain avec le Rocket le ferait probablement sourire. Quand Gaudreau se fait complimenter sur ses exploits, il sourit timidement. Il est fier, on le sent, mais ne vous attendez pas à ce qu’il se pète les bretelles. Quand on observe les membres de sa famille dans les gradins à Nashville et qu’on écoute Frédérick en entrevue, on se dit que la pomme n’est pas tombée loin de l’arbre. Les Gaudreau ne sont pas les plus tapageurs dans la foule. On ne les imagine pas se levant en disant à leurs voisins: « Hé, c’est notre gars qui vient de marquer deux buts gagnants ».

Ils sont aussi discrets que leur fils. Quand Frédérick a marqué son but crucial en contournant le filet d’une façon spectaculaire pour battre fort habilement Matt Murray, un candidat potentiel au trophée Conn Smythe, ses coéquipiers lui sont joyeusement tombés dessus à son retour au banc. Il n’a pas jubilé; il n’a pas levé les bras. Il a souri de bonheur. Ce n’était pas un but de plombier qu’il venait de réussir. Ça prend du talent pour compléter une manoeuvre comme celle-là.

À une certaine époque, pourtant, le hockey n’a pas voulu de lui. Il a été boudé au repêchage de la Ligue junior majeur du Québec et n’a été aucunement considéré pour celui de la Ligue nationale. Quand il a subi une double fracture au bras en encaissant une mise en échec au niveau midget, plusieurs ont cru sa carrière terminée. Désarticulée à la suite de ces deux fractures, sa main pendante laissait craindre le pire. Pas pour sa vie, bien sûr, mais pour ce qui a représenté toute sa vie : le hockey.

Avant cet incident malheureux, les Cataractes de Shawinigan avaient déjà les yeux sur lui. On aimait le type de joueur qu’il représentait. On le trouvait intelligent avec la rondelle. Il démontrait une facilité à lire et à comprendre le jeu. Cette blessure sérieuse a toutefois fait reculer tout le monde. Il était admissible au repêchage junior, mais plus personne ne voulait courir le risque de le réclamer. À l’heure du repêchage, il n’était pas remis de sa blessure et rien ne permettait de croire que son bras retrouverait toute sa vigueur.

« C’est l’unique raison pour laquelle il n’a pas été repêché, aucun doute là-dessus », lance Alain Bissonnette, le recruteur des Bruins de Boston au Québec qui était à l’époque le responsable du recrutement pour les Cataractes.

Cette année-là, la ligue de développement Midget AAA a institué un nouveau règlement permettant aux joueurs de 17 ans de disputer une saison additionnelle dans ses rangs. Gaudreau a profité de ce privilège pour faire la démonstration qu’on avait tort de jeter l’éponge dans son cas.

En janvier, Bissonnette a laissé savoir à ses parents que l’organisation avait vraiment de l’intérêt pour lui. Ils n’ont pas répondu à cette invitation, sans doute parce que Frédérick avait d’autres intentions. Une ligue collégiale venait de naître et c’est dans ce circuit qu’il désirait évoluer. Il avait déjà sur la table une offre du Cégep André-Laurendeau.

« Quand je l’ai invité à un camp de 48 heures chez nous, il m’a répondu qu’il n’était pas sûr de vouloir emprunter cette voie, affirme ce recruteur d’expérience. J’ai mis un mois à le convaincre. Comme nous étions l’équipe hôtesse du tournoi de la coupe Memorial, il s’expliquait mal qu’une formation bâtie pour la gagner puisse lui faire une place. Nous le voulions comme quatrième centre. Sur notre insistance, il a participé à ce camp. Après 48 heures, il nous a révélé qu’il n’en avait pas fait suffisamment pour rester et qu’il préférait l’option de la ligue collégiale parce qu’elle lui permettait de conserver ses droits pour les collèges américains. »

« T’es pas sérieux, Frédérick? »

L’entraîneur Éric Veilleux l’a regardé droit dans les yeux en lui demandant s’il était vraiment sérieux. Il l’était, malheureusement.

Il lui a offert un contrat sur-le-champ. Gaudreau, qui n’avait pas prévu une telle marque d’intérêt, était décontenancé.

Pour lui permettre d’avoir droit à la bourse universitaire offerte par le circuit Courteau, le directeur général Martin Mondou lui a garanti un contrat de deux ans, le protégeant ainsi sur tous les plans.

« J’ai besoin de faire un appel », a-t-il répliqué.

Il a appelé sa mère pour lui raconter ce qu’il venait d’entendre. Quand il a raccroché, on a attendu impatiemment qu’il rende sa décision.

« Je dois faire un autre appel », a-t-il ajouté.

On a craint pendant un instant qu’il en discute avec une équipe concurrente. Il a plutôt dit qu’il désirait parler à son grand frère, le même qui s’est tapé près de 20 heures de voiture pour aller le voir jouer à Nashville. Au bout du fil, son frère n’a eu qu’une question : « Mais qu’est-ce que tu attends pour accepter cette proposition? »
Quelques minutes plus tard, il était officiellement un membre des Cataractes.

« Je ressens une fierté personnelle en le regardant jouer en ce moment, précise Bissonnette. Il a toujours été prêt à y mettre le temps et les efforts pour y arriver. C’est maintenant que sa belle histoire prend tout son sens. »

On ne s’est pas conté d’histoires à son sujet à Shawinigan. On avait besoin d’un joueur pour combler un besoin durant deux ans, peut-être trois. Personne ne s’attendait à ce qu’il se hisse éventuellement à un niveau supérieur, surtout pas celui de la Ligue nationale. Il pesait à peine 165 livres. On l’a placé dans un contexte pour qu’il se sente utile. Le quatrième trio était formé de trois recrues qui répondaient fort bien aux missions qu’on leur confiait. On utilisait aussi Gaudreau en désavantage numérique parce que sa lecture du jeu était supérieure à la moyenne. Aujourd’hui, l’orgueil de Bromont brille dans les séries de la coupe Stanley et les deux autres ne jouent plus au hockey.

On ne lui a pas fait de cadeaux

Son sport ne lui a jamais fait de cadeaux. Gaudreau a donc appris à ne rien tenir pour acquis. Comment le pourrait-il? Depuis sa dernière saison midget avec les Cantonniers de Magog, il a porté six chandails différents en sept ans. La Ligue américaine lui a ouvert les portes avant de le rétrograder dans la Ligue de la Côte Est des États-Unis. Il est revenu ensuite dans l’Américaine où il a participé au match des étoiles moins de deux ans plus tard.

« Il y a de beaux talents au Québec sur lesquels il faut s’attarder de plus près, mentionne Bissonnette. La Ligue nationale d’aujourd’hui s’intéresse d’abord aux joueurs de 17 ans qui en sont à leur première année d’admissibilité. Ça ne laisse pas beaucoup d’ouvertures aux jeunes se développant sur le tard. J’exerce le métier de recruteur depuis 22 ans et sincèrement, il s’agit de l’une des plus belles histoires écrites par quelqu’un qui le mérite. »

Une histoire qui connaîtrait une fin merveilleuse si elle se terminait par la présence de la coupe Stanley à Bromont cet été. Le charmant garçon, qu’on ne voyait nulle part, aurait ainsi remporté la coupe Memorial et la coupe Stanley.

Vraiment pas banal.

ContentId(3.1234582):Les parents de Frédérick Gaudreau au 5 à 7
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