Quatre jours après l’annonce de l’entente contractuelle intervenue entre les Maple Leafs de Toronto et leur joueur vedette Auston Matthews, les structures du contrat d’une durée de cinq ans et d’une valeur globale de 58,17 millions $ soulèvent encore un mélange de questions, d’applaudissements, mais aussi de critiques.

 

Certaines de ces critiques sont d’ailleurs très sévères autant à l’endroit de la haute direction des Leafs qu’à l’endroit du nouveau multi millionnaire du hockey.

 

Ceux qui contestent le contrat sur les plans de la durée reprochent au directeur général Kyle Dubas de courir le risque de perdre son joueur de concession dans cinq ans alors que Matthews pourra profiter de son autonomie complète pour étudier les offres des équipes qui seront en mesure de s’offrir ses services tout en respectant le plafond salarial.

 

Ceux qui contestent le contrat sur la valeur moyenne annuelle de 11,634 millions $ sous le plafond considèrent que c’est bien trop cher payé pour une association de cinq ans seulement.

 

Plusieurs amateurs reprochent aussi à Matthews le fait de ne pas s’être associé aux Maple Leafs pour plus longtemps. D’avoir tourné le dos à la limite maximale de huit ans comme l’ont pourtant fait les Connor McDavid, à Edmonton, Jack Eichel, à Buffalo, Jonathan Toews et Patrick Kane, à Chicago, Sidney Crosby à Pittsburgh et les autres joueurs de concession qui se sont retrouvés dans la même situation que Matthews au fil des dernières années.

 

Ces reproches sont justifiés.

 

Car il est vrai qu’une moyenne salariale de 11,634 millions $ pour une durée de cinq ans semble démesurée dans un contexte de contraintes associées au plafond salaires.

 

Il est tout aussi vrai qu’avec un tel contrat, les Leafs s’offrent une période de cinq ans – six en fait en ajoutant les séries auxquelles ils prendront part le printemps prochain – pour gagner la coupe Stanley sans quoi ils pourraient perdre Matthews au marché des joueurs autonomes.

 

Mais c’est le prix, ou le risque si vous préférez, que les Leafs devaient accepter de courir afin de garder des millions en caisse pour mettre sous contrat Mitch Marner, qui termine son contrat d’entrée dans la LNH cette année et qui touchera un salaire comparable à celui de Matthews, payer John Tavares qui touchera en moyenne 11 millions $ encore pour les six prochaines saisons et les entourer de joueurs de qualité pour mousser les chances de victoire.

 

Auston Matthew aussi prend des risques.

 

Car en signant un contrat de cinq ans seulement, il laisse beaucoup d’argent sur la table. De l’argent qu’il retrouvera, en plus encore, s’il demeure en santé et qu’il maintient son rythme offensif alors qu’il sera toujours un « jeune joueur » lorsqu’il frappera à la porte de l’autonomie complète à 27 ans et non à 30 ans comme cela aurait été le cas s’il avait signé un pacte de huit ans.

 

Le pourcentage sur la masse prime sur les dollars

 

Dans la réalité économique de la LNH d’aujourd’hui, les salaires ne comptent pas. En fait oui ils comptent, mais les agents et les directeurs généraux ne passent pas des heures à s’obstiner sur un salaire x ou y et à s’envoyer des propositions et contrepropositions à un rythme à faire perdre le nord à leurs imprimantes sans compter le gaspillage de papier!

 

Dans le hockey d’aujourd’hui, les équipes et les agents débattent de la portion du plafond salarial que devrait toucher le joueur au centre des débats.

 

La nuance est importante.

 

Dans les paramètres actuels de la LNH, un joueur ne peut toucher plus de 20 % de la masse salariale ce qui représenterait pour la saison 2018-2019 avec le plafond actuel de 79,5 millions un salaire annuel maximum de 16,6 millions $.

 

Ce paramètre est théorique. Car le meilleur joueur de la LNH et capitaine des Oilers d’Edmonton touche un salaire annuel de 12,5 millions $ ce qui représente une portion de 15,72 % du plafond salarial.

 

Le plus haut pourcentage actuellement en vigueur dans la LNH.

 

Parce que McDavid est aujourd’hui le joueur phare de la LNH en matière de talent, d’importance au sein de sa formation et donc de pourcentage retenu sous le plafond, la portion de 15,72 % de la masse touchée par McDavid sert de référence.

 

C’est sur ce point que Matthews et les Leafs ont négocié. Ils ont échangé des propositions de durées plus courtes et plus longues que la période de cinq ans sur laquelle ils se sont finalement entendus pour que le pourcentage réservé à Matthews représente son importance réelle au sein de son équipe.

 

Matthews mise sur l’inflation

 

L’an prochain, lorsque Matthews amorcera son nouveau contrat, il touchera donc une portion de 14,02 % de la masse salariale – en établissant comme base de référence un plafond à 83 millions $ -- des Maple Leafs.

 

Parce que le plafond fluctue à la hausse chaque année depuis qu’il a été instauré, la proportion sous le plafond du salaire de Matthews, de McDavid et de tous les joueurs de la LNH baissera donc au fil des prochaines saisons.

 

C’est là où la nouvelle façon de calculer devient intéressante. C’est là où elle aide surtout à comprendre pourquoi Matthews a accepté de laisser des millions sur la table aujourd’hui pour en faire beaucoup plus dans six ans.

 

«Lorsque Matthews négociera son troisième contrat, le plafond sera rendu à combien? À 90, à 95, à 100 millions? On ne le sait pas. Mais avec le contrat de télévision qui sera à renégocier aux États-Unis, avec l’entrée en scène des revenus associés aux paris sportifs légaux et tout le développement effectué par la Ligue, il est clair que les revenus continueront à monter que le plafond – obtenu selon un partage de 50-50 des revenus de la LNH avec ses joueurs – continuera à grimper. Au lieu de toucher le même salaire pour une période de huit ans, Matthews verra donc son salaire grimper bien plus et bien plus vite puisqu’il renégociera en 2024. C’est un très bon contrat qui deviendra la référence selon moi pour l’ensemble des joueurs vedettes», m’expliquait un agent croisé au Centre Bell plus tôt cette semaine.

 

Jonglons avec des millions pour le plaisir. Surtout qu’ils ne sont pas à nous…

 

Connor McDavid et Jack Eichel ont signé des contrats de durée maximale, donc huit, ans avec les Oilers d’Edmonton et les Sabres de Buffalo. Des contrats qu’ils ont amorcés cette année.

 

McDavid et Eichel toucheront donc en moyenne 12,5  et 10 millions $ jusqu’en 2026. Ce qui veut dire qu’ils empocheront 25 et 20 millions $ lors des deux dernières années de leur contrat.

 

Auston Matthews repassera donc à la caisse alors que les deux autres joueurs auront encore deux années de contrat à écouler. S’il reste en santé et que sa carrière maintient son rythme actuel, Matthews ira certainement encore chercher entre 14 et 15 % de la masse salariale qui sera alors en vigueur. Que ce soit à Toronto ou ailleurs. Il est donc permis de croire que son salaire annuel moyen pourrait alors osciller entre 15 et 16 millions $. Ce qui lui permettrait alors de devancer McDavid et de laisser Jack Eichel loin derrière.

 

À ce titre, il est important ici de rappeler que l’an dernier, à la veille du premier match de la saison 2017-2018 entre le Canadien et les Sabres à Buffalo, le nouveau directeur général Jason Botterill avait annoncé une prolongation de contrat de huit ans d’une valeur de 80 millions $ consentie à Jack Eichel. Plusieurs de ses homologues autour de la LNH lui reprochaient alors d’avoir faussé le marché en se montrant bien trop généreux, bien trop rapidement, avec son jeune joueur vedette.

 

Un an plus tard, il est permis de croire que Botterill a été visionnaire et qu’il a sauvé des tas de millions $ à son propriétaire Terrence Pegula en retardant le plus longtemps possible le retour à la table de négociations d’Eichel. Ce dernier pourrait même représenter une «aubaine» lors des deux, voire trois dernières années de son contrat. Selon bien sûr les fluctuations à la hausse du plafond salarial d’ici 2026.

 

Parlant d’aubaine, que dire de Sidney Crosby qui est encore la pierre d’assise des Penguins de Pittsburgh et qui touche un salaire annuel de 8,7 millions $?

 

Ce salaire moyen représentait une fortune lorsqu’il a signé son contrat de 12 ans d’une valeur de 104,4 millions $ le premier juillet 2013. Mais bien qu’il soit un brin ou deux indécent de parler d’aubaine dans le cas d’un salaire de 8,7 millions $ il ne faut pas avoir peur des mots et souligner que les Penguins font vraiment une très bonne affaire aujourd’hui.

 

Deux classes de joueurs

 

S’il est clair que les modalités du contrat négocié par Jodd Moldaver l’agent d’Auston Matthews et les Maple Leafs ouvre la porte à une nouvelle façon d’établir les salaires autour de la LNH, il est important de préciser que cette nouvelle manière de faire sourit davantage aux joueurs vedettes qu’au joueur de soutien.

 

Des joueurs comme Matthews, Marner, McDavid, Laine, Eichel et tous les jeunes surdoués qui font des entrées remarquées de plus en plus jeunes dans la LNH pourront miser sur leur talent exceptionnel en signant des contrats moins longs, histoire de faire plus d’argent plus rapidement ensuite.

 

Mais les joueurs de soutien eux devront être tout aussi bien conseillés par leurs agents afin de maximiser leurs gains potentiels sur ce qui restera à partager.

 

Car il est clair que la nouvelle façon de faire qui s’annonce créera deux classes de joueurs. Les vedettes et les joueurs de soutien.

 

La «classe moyenne» devrait donc s’étioler au fil des prochaines années.

 

Pendant que leurs coéquipiers spéculeront sur les fluctuations à la hausse du plafond pour mousser leurs revenus, les joueurs de soutien auront, quant à eux, tout intérêt à mousser la durée de leur contrat au risque de toucher des salaires un brin plus timides qu’ils le souhaiteraient afin d’assurer leur place au sein de leurs vestiaires.

 

Des plombiers efficaces qui joueront pour 1 million, disons auront alors beaucoup de valeur alors que les directeurs généraux auront besoin de ces joueurs pour compléter leur formation respective tout en respectant le plafond.

 

Pendant que les vedettes lorgneront des contrats plus courts pour faire plus de millions $, leurs coéquipiers cols-bleus lorgneront de leur côté des contrats plus longs pour assurer leurs jobs et leurs revenus.

 

On peut aimer ou détester ce qui s’annonce comme une nouvelle tendance contractuelle autour de la LNH. Mais nous sommes mieux de nous y faire.

 

Car après Auston Matthews, les Mitch Marner, Patrik Laine, Mikko Rantanen et autres jeunes vedettes sur le point de passer à la caisse risquent de suivre le même sentier que les Leafs, Matthews et son agent viennent de défricher.

 

Même le Canadien pourrait avoir à composer avec ce genre de situation dans quelques saisons lorsque Jesperi Kotkaniemi, s’il maintient sa progression phénoménale, frappera à la porte du bureau de Marc Bergevin pour négocier son deuxième contrat.