MONTRÉAL - Le Canadien vient d’échapper les quatre étapes de son voyage dans l’ouest américain. Avec une fiche de 14 matchs sous la barre de ,500, ses chances de prendre part aux séries éliminatoires sont depuis longtemps éteintes. Resté à Montréal, suivant la débâcle à distance, André Savard entre dans un restaurant de la métropole pour y terminer la journée en tête-à-tête avec son patron, le propriétaire du club George Gillett. Nous sommes le 12 mars 2001.

Quelques heures plus tôt, Savard avait pris congé de ses adjoints en leur donnant rendez-vous au Centre Molson à 9 h le lendemain matin. La nuit serait courte. Au lever du soleil s’amorcerait sa première «  date limite » des transactions dans le rôle de directeur général du Canadien, une position qu’il occupait depuis à peine quatre mois.

Le moment est gros, mais Savard ne se souvient pas de l’avoir vécu avec une nervosité particulière. Gillet, lui, est plus fébrile.

« Lui, il aimait ça l’action! Mais je l’avais préparé. Je lui avais dit qu’il n’y aurait pas de transaction », raconte Savard, qui est aujourd’hui analyste pour le compte de RDS.

À vraie dire, la porte n’est pas totalement fermée. Le Canadien forme une équipe ordinaire, mais certains de ses joueurs génèrent de l’intérêt à travers la Ligue nationale. Trevor Linden est l’un de ceux-là. Depuis deux mois, le directeur général des Canucks, Brian Burke, négocie avec Savard le rapatriement de son ancien capitaine à Vancouver. Son homologue des Capitals de Washington, George McPhee, arrive dans le portrait un peu plus tard.

« La date limite des échanges, c’est une journée où tu ne peux plus retarder certaines décisions, où tu essaies de te rendre à la limite pour conclure un marché à un prix que tu crois raisonnable. Mais c’est une journée qui se prépare longtemps à l’avance. Elle peut être l’aboutissement de plusieurs mois de discussions », fait remarquer l’ancien DG.

Rapidement, Savard développe l’impression que Burke tente de profiter de son inexpérience. En plus d’offrir des joueurs peu alléchants, il exige du Canadien qu’il continue à payer la moitié des 4,5 M$ que Linden touche annuellement. Avec McPhee, un lien de confiance s’installe plus facilement. À la demande de ce dernier, Savard accepte de garder le silence sur la nature de toutes leurs discussions et de ne pas s’en servir comme levier dans d’autres tractations. Il respectera cette condition jusqu’à la toute fin.

Savard joue franc-jeu, mais il sait où il s’en va.

« Je m’étais imposé un règlement : je n’allais pas bouger pour le simple plaisir de bouger. J’allais faire une bonne transaction ou je n’en ferais pas du tout. Mais ça, je ne l’ai pas dit à George Gillett. Ça n’aurait rien donné. C’était mon secret. »

Faux espoirs

Le 13 mars, Savard ouvre la lumière de son bureau à l’heure convenue. « Ça ne donne rien d’arriver plus tôt. Si tu es sur le téléphone à 7 h le matin et qu’on sent que tu es anxieux, ce n’est pas bon signe », précise-t-il. Éventuellement, il y est rejoint par ses hommes de confiance Martin Madden, Julien BriseBois et Pierre Mondou.

Le premier coup de fil ne se fait pas trop attendre. Une voix familière, celle de McPhee, raisonne sur la ligne et sa réticence semble avoir atteint ses limites. « Je pense que ça va fonctionner. Laisse-moi une heure. »

Pour la première fois, l’état-major du Canadien peut commencer à s’imaginer Richard Zednik en bleu, blanc et rouge.

 « C’était le joueur que je voulais depuis le début. Les discussions revenaient toujours à lui. S’il n’était pas là, c’était fini, on n’en parlait plus. C’était un deal breaker », se remémore clairement Savard 14 ans plus tard.

C’est la vitesse et l’ardeur au travail de Zednik, de cinq ans le cadet de Linden, qui avaient attiré l’attention de Savard à l’époque où il était entraîneur-adjoint chez les Sénateurs d’Ottawa. « Ce n’était pas le joueur parfait, mais il était fort et il avait une présence. Ses mains étaient ordinaires, mais je savais qu’il allait offrir une certaine production. »

Dès ce moment, le nom de Jan Bulis, 22 ans, fait aussi partie du troc.

« J’aimais la vitesse, c’est ce que je voulais acquérir dans cette transaction, et Bulis en avait, se souvient Savard. Le talent était là, mais il y avait des doutes dans son cas. Je l’avais vu jouer au niveau junior et pour m’aider à me faire une idée, j’avais appelé son ancien entraîneur à Barrie. Il m’avait rassuré. Il avait encore espoir qu’il puisse débloquer chez les pros. »

Mais Savard est brusquement sorti de son rêve une heure plus tard, quand McPhee rappelle pour lui dire que l’entente ne tient plus.

Influence extérieure

La transaction majeure souhaitée par George Gillett vient donc de mourir dans l’œuf et aucun plan B ne semble se profiler à l’horizon. C’est la nature même des heures qui précèdent le point de non-retour fixé par la LNH. Ce qui est pris pour acquis peut s’envoler en fumée à tout moment, sans avertissement.

Mais l’inverse est aussi vrai. Les possibilités qu’on croit devoir oublier peuvent refaire surface à tout moment, au gré des décisions prises par ceux qui parviennent à trouver un terrain d’entente. André Savard avait fait son deuil des deux jeunes sur qui il avait l’œil lorsque McPhee réapparaît dans le portrait en début d’après-midi.

La donne a changé. Savard comprend rapidement que d’autres joueurs visés par Washington viennent de leur passer sous le nez. Keith Tkachuk, que les Blues de St. Louis viennent d’acquérir des Coyotes de Phoenix en retour de Michal Handzus, Ladislav Nagy et un choix de première ronde, était probablement l’ajout que McPhee souhaitait greffer à son club en vue des séries éliminatoires.

Soudainement, le dialogue avec Montréal est rouvert, mais les Capitals sont plus gourmands. En plus de Linden, les Capitals veulent le jeune Dainius Zubrus, un ancien choix de première ronde arrivé à Montréal deux ans plus tôt en retour de Mark Recchi.

« C’est la dernière carte qui s’est ajoutée dans l’après-midi, se rappelle vaguement Savard. Pour avoir Zednik, j’ai été obligé de donner Zubrus, mais pas avant d’avoir exigé un choix de première ronde en plus. De mon côté, j’ai donné un choix de deuxième. »

La transaction sera complétée lorsque le Canadien sélectionnera Alexander Perezhogin avec le choix obtenu des Capitals. Encore aujourd’hui, André Savard hoche la tête de gauche à droite en pensant au potentiel inachevé du jeune Russe, qui évolue dans la KHL depuis la saison 2008-09. « Lui, il en avait de la vitesse », soupire-t-il.

Le pacte conclu, Savard est fier de son coup. « Oui, j’étais content. J’avais eu ce que je voulais et je trouve que ça a été une bonne transaction pour les deux équipes. Ce que je n’ai jamais compris, c’est qu’on avait à peine eu le temps de communiquer avec la Ligue que c’était déjà à la télévision. Je me rappelle de m’être dit : ‘Coudonc, est-ce qu’il y a quelque chose sous le tapis?’ »

Savard a vécu deux autres « dates limites » à la tête du Canadien. Elles lui ont servi à conclure des marchés plus modestes qui lui ont permis de mettre la main sur Stéphane Fiset et Doug Gilmour, mais jamais à reproduire le genre de coup d’éclat qui avait caractérisé son premier rodéo. Quelques années plus tard, alors qu’il épaulait Michel Therrien derrière le banc des Penguins, son expérience avait été mise à profit par le directeur général Ray Shero dans les démarches qui lui ont permis d’amener Marian Hossa et Pascal Dupuis à Pittsburgh.

Cette année, l’homme de hockey vivra son premier blitz de transactions comme membre de la grande famille de RDS. Ce pourrait être lui qui vous apprendra le prochain bon coup de votre équipe préférée...

Pour tout savoir sur les dernières rumeurs, nous vous invitons également à suivre notre Décompte #Transactions2015 à Hockey 360.