Une marque de commerce vise la protection d’un mot, d’une phrase, d’un nom, d’un son, d’une forme, d’un design, d’un dessin ou encore d’une combinaison de tous ces éléments. Elle a le potentiel de créer un lien direct dans l'esprit du public entre un produit, un service ou un événement arborant la marque et l'organisation la possédant. Pour s’assurer qu’une marque soit forte, il faut savoir établir son identité, lui donner son sens, susciter les bonnes réactions du public et créer avec lui une relation intense. Par exemple, le Swoosh est le logo de Nike, qui est l’une des marques commerciales les plus facilement identifiables au monde, mais aussi l’une des plus fortes.

Golden Knights de Vegas

Le 22 juin 2016, la LNH a annoncé que Las Vegas deviendrait la 31e franchise du circuit à partir de la saison 2017-18. En novembre 2016, la concession de Las Vegas a dévoilé le nom de son équipe, les Golden Knights. Or, cette annonce a été très critiquée. Effectivement, le 8 décembre 2016, les autorités américaines ont refusé la marque déposée par la LNH après qu’une école américaine, le College of Saint Rose, s’y soit objectée, sous prétexte que leur nom et leur identité visuelle étaient trop similaires de ceux des Golden Knights. Il appert que les Golden Knights auraient annoncé leur nom un mois avant d'avoir l'approbation du bureau américain des brevets et des marques (USPTO), lequel a jugé que le public pourrait être confondu en pensant que le nom de l'équipe de la LNH est le même que celui du College of Saint Rose.

Pourquoi les Golden Knights continuent-ils d’utiliser le nom si la marque a été refusée?

Après cette objection, le commissaire adjoint de la LNH, Bill Daly, a répondu que ces problèmes de marque déposée ne devaient pas remettre en question la décision de l'équipe, en alléguant qu’il y a actuellement d’autres entités qui partagent un même nom. D’ailleurs, il existe plusieurs exemples d’équipes universitaires et professionnelles portant le même nom comme les Bruins d’UCLA et les Bruins de Boston ou les Hurricanes de l’Université de Miami et les Hurricanes de la Caroline. 

Un nom ou un logo n’a pas à être obligatoirement enregistré pour être valable en tant que marque de commerce et avoir certains droits limités associés à son utilisation. Il est possible qu’une marque non enregistrée soit néanmoins qualifiée de marque de commerce en raison de son utilisation commerciale et qu’elle puisse bénéficier d'une certaine protection opposable aux tiers. Les Golden Knights, ayant suffisamment de visibilité et de notoriété, pourraient justifier une protection unique malgré le fait que leur nom ne soit pas enregistré. Cette stratégie est semblable à celle exprimée par les propriétaires des Redskins de Washington lorsque l'USPTO a décidé en 2015 d’annuler leurs marques, les jugeant offensantes. 

Évolution du dossier des Redskins de Washington

Au sein de la NFL, les Redskins de Washington ont l'un des noms d'équipe les plus controversés de tous les sports professionnels. Entre 1967 et 1990, l’équipe a enregistré six marques de commerce dont : WASHINGTON REDSKINS, THE REDSKINS. En 1992, un groupe d’autochtones a demandé l’annulation des marques affiliées aux Redskins, prétextant qu’elles étaient dénigrantes au sens de la Lanham (Trademark) Act , qui interdit les marques de commerce offensantes.

En 1999, le Trademark Trial and Appeal Board of the United States Patent and Trademark Office (TTAB) a ordonné l'annulation de l'enregistrement des marques des Redskins. L’équipe a fait appel de cette décision, laquelle a été renversée par la Cour, en raison surtout d’une considération d’ordre technique. Effectivement, la Cour a estimé que les demandeurs avaient attendu trop longtemps avant d'attaquer les marques qui avaient été enregistrées entre 1967 et 1990 et qu’ils étaient trop vieux pour le faire. En 2006, un groupe d’Amérindiens âgés entre 18 et 24 ans a alors déposé une poursuite presque identique, invoquant que l’utilisation du mot Redskins était préjudiciable à la nation amérindienne et qu'il s'agissait d'une insulte raciale déshumanisante au même titre que le « nigger » (nègre) pour les Afro-américains.

Les opinions sur cette question sont nombreuses. En 2014, des représentants du Congrès américain ont contacté la franchise et le commissaire de la NFL, Roger Goodell, au sujet du nom de l'équipe. La moitié des membres du Sénat demandaient à Goodell de changer le nom de l’équipe. Or, il a défendu publiquement la marque Redskins, en soutenant qu’elle avait une portée positive distincte de tout dénigrement et qu’elle rendait hommage aux qualités de bravoure des nations autochtones. 

L’annulation des six marques de commerce des Redskins

Le 18 juin 2014, le TTAB a ordonné l'annulation des six marques de commerce enregistrées au nom de l'équipe, argumentant que celles-ci étaient désobligeantes à l’endroit des Amérindiens. Selon la Lanham (Trademark) Act, le TTAB doit appliquer un test en deux étapes pour décider si une marque est désobligeante ou non. Dans ce cas-ci, le TTAB devait premièrement établir la signification de la marque, telle qu'enregistrée et utilisée par les Redskins. Le TTAB a conclu que les marques appartenant aux Redskins référaient directement aux Amérindiens et que l'équipe utilisait l'imagerie amérindienne dans le cadre de ses matchs tels que le port de plumes par les membres de l’orchestre et de costumes à franges par les cheerleaders. Deuxièmement, le TTAB devait déterminer si la marque était désobligeante à l'égard du groupe auquel la marque faisait référence au moment de son enregistrement. Ici, le TTAB était d’opinion que le nom Redskins avait une connotation péjorative envers une partie substantielle du peuple amérindien. 

En réponse, les Redskins ont porté cette décision en appel. Le 9 juillet 2015, un juge fédéral a confirmé la décision rendue le 18 juin 2014 par le TTAB et il a ordonné à l’USPTO de retirer toutes les inscriptions de ses registres. Bien que la franchise ait perdu les protections juridiques fournies par l’inscription fédérale d’une marque de commerce, le juge avait précisé que l’équipe pouvait malgré tout continuer à utiliser son nom. En effet, même si les marques des Redskins ont été annulées, cela ne veut pas dire qu’ils doivent changer leur nom ou cesser de vendre leurs produits dérivés. L’annulation de leur marque empêche les Redskins de bénéficier de la protection accordée aux marques de commerce enregistrées en vertu de la loi fédérale américaine. La lutte contre les contrevenants est la véritable difficulté à laquelle les Redskins pourraient faire face. 

Il est intéressant de savoir que les marques WASHINGTON REDSKINS, REDSKINS & DESIGN et le logo présentant le profil d'un Amérindien sont enregistrés au Canada. Similairement à l’article 2(a) du Lanham (Trademark) Act, l'article 9(1)(j) de la Loi sur les marques de commerce interdit d'adopter une marque de commerce composée d'un mot scandaleux, obscène ou immoral. Toutefois, les tribunaux canadiens ne se sont pas vraiment, à ce jour, penchés sur l’interprétation de ces articles.

Violation de la liberté d’expression et Premier Amendement de la Constitution

L’équipe a interjeté l’appel de cette décision devant un tribunal d’appel fédéral. Dans l’intervalle, les Redskins ont institué une requête inhabituelle auprès de la Cour suprême pour qu’elle tranche leur affaire avant même que la Cour fédérale d'appel n'ait rendu son jugement. Ils invoquaient le Premier amendement de la Constitution, celui qui protège la liberté d’expression. Le 3 octobre 2016, la Cour suprême a rejeté leur demande, mais elle a accepté d’examiner une affaire très similaire impliquant un groupe de musique « The Slants » (Les bridés). Ce groupe est formé de quatre Américains d’origine asiatique et son fondateur, Simon Tam, avait déposé une demande d’enregistrement de la marque pour son nom de groupe. Or, l’USPTO s’y est opposé au motif que le nom était péjoratif, car il référait à la forme des yeux des personnes asiatiques, qui est une caractéristique physique pouvant faire l’objet de moquerie. En défense, Tam prétendait que le nom de son groupe permettait d’honorer la culture asiatique et d’en épurer la teneur raciste, comme les rappeurs noirs utilisent à leur compte le mot « nigga » (nègre).

Jugement de la Cour suprême dans l’affaire « The Slants »

Le 19 juin 2017, la Cour suprême a jugé que l’USPTO ne pouvait pas refuser d'enregistrer le nom « The Slants » sous prétexte que l'expression était péjorative. Dans sa décision, le juge Samuel Alito a indiqué que ce refus constituait une forme de discrimination fondée sur un point de vue. Cette décision aura un grand impact, notamment pour certains clubs sportifs professionnels, car elle pourrait leur permettre de protéger leur nom et leur logo. En particulier, cette décision représente une nouvelle encourageante pour les Redskins. 

Spécifions que les Redskins ne sont pas les seuls à être soumis à des restrictions en raison de leur appellation connotée. En Amérique du Nord, des dizaines d'équipes sportives possèdent des noms et des logos faisant aussi référence au peuple amérindien comme les Blackhawks de Chicago (LNH), les Eskimos d'Edmonton (LCF) et les Chiefs de Kansas City (NFL). Sans oublier qu’au baseball majeur, les Indians de Cleveland ne font pas l’unanimité en ce que plusieurs revendiquent la disparition de leur mascotte Chief Wahoo parmi leurs logos.