MONTRÉAL – Les Sergachev n’ont pas toujours été convaincus que Windsor était l’endroit tout indiqué pour permettre à leur fils d’accéder un jour à la Ligue nationale. Le directeur général des Spitfires, Warren Rychel, a dû mener une petite campagne de séduction pour finalement convaincre la famille de lui confier sa progéniture.

Une chose a toutefois déplu à Mikhaïl Sergachev dès son arrivée dans sa ville adoptive : son nouveau surnom.

« Au début, il se fâchait parce qu’on l’appelait Sergei. Il disait : "No, no. Misha!", raconte avec amusement Logan Brown, son coéquipier chez les Spitfires, en faisant sa meilleure imitation d’Ivan Drago. On avait peur de lui. Il avait l’air un peu fou. »

Mikhail SergachevSergachev est arrivé en Amérique du Nord avec les idées claires. Son problème, c’est qu’il n’était pas capable de les exprimer. Son talent était évident, mais son anglais patinait sur la bottine. La barrière de la langue est la première chose qui lui vient en tête quand il réfléchit aux ajustements qui lui ont été imposés par sa nouvelle vie en Amérique.

« Ça et la nourriture, précise-t-il. Il y avait tellement de nouvelles choses ici, comme du steak. Oh mon Dieu, du steak! Non, je rigole. À part la langue, tout était normal. »

C’est que voyez-vous, Mikhaïl Sergachev est un petit blagueur, un pince-sans-rire qui affiche une aisance désarmante devant les caméras. Aux partisans du Canadien, son attachante bonhomie pourrait rappeler celle de Nikita Scherbak, le premier choix de l’équipe il y a deux ans.

« On a dû se servir de Google à quelques reprises au début. On voyait qu’il comprenait, mais il n’était pas capable de nous le dire, se rappelle Warren Rychel. Mais dès nos premiers voyages de la saison, dans l’autobus, je l’entendais répondre aux gars et ça m’a rassuré. Non seulement son anglais était excellent, mais il maîtrisait déjà tous les jurons! »

Sergachev jure qu’il ne passait que deux heures par semaine avec un professeur d’anglais. Le reste de son apprentissage est venu de ses interactions avec les membres de sa famille de pension et ses nouveaux coéquipiers, qui ont réalisé assez vite qu’ils n’avaient aucune raison de craindre leur nouvel allié.

« Il est incroyable, s’esclaffe Logan Brown. Après trois semaines, il s’est mis à m’appeler chaque jour sur Facetime. Il me disait : "Brownie! Brownie! Allons au centre commercial! Allons voir un film! Allons retrouver les gars!" Je me considère chanceux de l’avoir eu comme coéquipier cette année. »

« Il possède un grand sens de l’humour, confirme Rychel. Tous les gars et les entraîneurs l’ont rapidement adopté. C’est vraiment un virage à 180 degrés avec l’image qu’on se faisait à l’époque du Russe triste qui arrivait ici à reculons. Mikhaïl s’est fondu à notre culture. Il s’habille bien, il s’exprime bien et il a prouvé qu’il sait où il s’en va en faisant autant de sacrifices pour venir ici. »

Un tir des ligues majeures

La peur que Sergachev inspirait chez ses coéquipiers n’a pas disparu, elle s’est seulement déplacée. Le cœur des gardiens de l’OHL s’est soudainement mis à battre un peu plus vite quand le dangereux défenseur a commencé à sortir de sa coquille. Rapidement, ses plombs de la ligne bleue lui ont conféré une réputation qui a fait le tour de la Ligue.

Le tir de Mikhaïl Sergachev fait saliver les recruteurs qui tentent de projeter comment se traduira son potentiel évident au niveau professionnel. C’est aussi la première chose que Warren Rychel a remarquée lorsqu’il l’a vu pour la première fois au Défi mondial des moins de 17 ans à Sarnia, en 2014.

« Il avait le fusil et les munitions, mais il n’appuyait jamais sur la gâchette », avait toutefois noté le DG des Spitfires, qui allait éventuellement investir le sixième choix au total du repêchage européen de la LCH pour recruter sa trouvaille.

Quand Sergachev est arrivé à Windsor, son patron l’a imploré d’arrêter de chercher le jeu parfait et d’utiliser davantage son arme. « Tue la rondelle! », qu’il lui répétait. Alors Sergachev, en bon élève, a commencé à tuer la rondelle et les victimes collatérales furent nombreuses. Il a complété sa saison recrue avec 17 buts, un sommet parmi les défenseurs de l’OHL. Trente-et-un de ses cinquante-sept points ont été glanés en avantage numérique.

C’est donc aussi comme ça que le quart-arrière de 6 pieds 2 pouces et 206 livres a abattu le rempart linguistique. Un boulet de canon à la fois.

« Ce n’est pas seulement son lancer frappé, il a aussi un excellent tir des poignets. Il possède vraiment un arsenal complet en plus de ce don pour trouver la ligne de tir. Il prend le temps de lever la tête, évaluer ses options et se débarrasser du premier obstacle devant lui. Plusieurs jeunes de son âge n’ont pas ce talent. Il me fait penser à Ryan Ellis, un autre qui est passé par Windsor. »

Le déménagement transatlantique a été payant pour Sergachev. Le jeune homme « tuait » un autre genre de cible quand il a appris qu’il avait été élu défenseur de l’année dans l’OHL.

« J’étais en train de jouer aux quilles avec ma famille de pension quand j’ai reçu un message texte de notre responsable des médias sociaux. Il m’a dit qu’il avait une bonne nouvelle à m’annoncer et je ne tenais plus en place! Il a fini par m’appeler pour me donner les détails. Je ne m’attendais pas à ça. »

Ironiquement, lors du gala de remise des trophées tenu au Temple de la renommée à Toronto, Sergachev a reçu son prix des mains de Ryan Ellis. Celui-ci avait été sélectionné au onzième rang par les Predators de Nashville en 2009. Ils sont plusieurs à croire que son successeur le devancera quand son tour viendra le 24 juin.

Déjà prêt pour la LNH?

Trois des quatre défenseurs qui sont inclus dans le top-10 du répertoire des meilleurs espoirs nord-américains de la Centrale de recrutement de la LNH proviennent de la Ligue de l’Ontario. Installé au huitième rang, Sergachev est le moins bien classé du groupe qui comprend également Jakob Chychrun et Olli Juolevi, mais selon plusieurs observateurs, c’est lui qui possède les meilleures chances de faire le saut dans le circuit Bettman dès l’an prochain.

« Il y a certains aspects de son jeu qui doivent être polis, mais disons que je suis un peu plus nerveux aujourd’hui que je l’étais à Noël », admet Warren Rychel.

Sergachev admet lui-même que sa constance a fait défaut au cours de sa saison d’initiation au hockey nord-américain, une autocritique approuvée par son directeur général. Rychel, qui a disputé près de 500 matchs dans la LNH dans les années 1990, ajoute que son poulain doit apprendre à régulariser son état d’alerte en zone défensive.

« Il me fait penser à un vieux coéquipier avec qui j’ai gagné la Coupe au Colorado en 1996. Vous vous souvenez sûrement de lui au Québec, Alexei Gusarov. À l’époque, on blaguait tout le temps en voyant à quel point "Goose" n’avait pas l’air stressé. Bien évidemment, Mikhaïl a beaucoup plus de potentiel offensif, ça ne se compare même pas. Mais il est tellement relax dans son territoire, il est si calme. Peut-être un peu trop, justement. Il devra travailler sur son intensité en zone défensive. »