MONTRÉAL – « Shoot, Brandon! Shoot! »

Cette directive, Brandon Gignac l’a entendue et entendue au fil des trois dernières saisons. Tour à tour, entraîneurs et coéquipiers des Cataractes de Shawinigan l’ont incité à se faire plus confiance.

Refouler ses instincts ne se fait toutefois pas aussi facilement.

« J’ai tout le temps été un passeur avant d’être un tireur. C’est dans mon sang, c’est plus fort que moi », se défend l’attaquant.

« Des fois, c’est vrai qu’il peut être un peu trop généreux », confirme du bout des lèvres son capitaine Anthony Beauvillier. « Dans le fond, c’est comme si cette qualité devenait parfois un défaut. »

Pour son bien, et celui de son équipe bien sûr, Gignac a donc jugé il y a un an que le temps était venu d’être un peu plus égoïste sur la patinoire. Juste un peu. Pas trop.

« Durant mes deux premières saisons, je n’avais pas confiance en mes lancers, reconnaît-il. Mes coachs me disaient de lancer en situation de deux contre un, mais je passais toujours, même si j’avais l’occasion de tirer. »

« L’été dernier, à la fin de chaque entraînement, il fallait donc que j’améliore ma shot, enchaîne Gignac. Alors mon père nous a construit (à mon frère et moi) un gros set up dans notre cour arrière pour qu’on y pratique nos lancers. Chaque jour, j’allais y lancer une soixantaine de rondelles. »

« Ç’a été le déclic », observe-t-il en rétrospective.

L’impact a en effet a été instantané. Au terme des cinq premiers matchs du calendrier régulier 2015-2016, Gignac avait déjà quatre buts au compteur, en plus de cinq mentions d’aide.

Brandon Gignac« J’ai réalisé dès le début de l’année que j’étais capable de scorer. Tout au long de la saison, ma confiance grimpait. J’ai fini l’année avec 24 buts, alors qu’un an plus tôt, j’en avais marqué que neuf. Si je n’avais pas lancé autant au filet, j’aurais peut-être fini la saison avec 15 buts parce que j’aurais encore passé la rondelle au lieu de tirer, même avec un filet désert devant moi », ironise Gignac qui, en une seule saison, a effectué plus de tirs au but (188) qu’à ses deux premières combinées (65 et 77).

« C’est sûr que l’année prochaine, je vais lancer encore plus, promet-il. C’est le point qu’il faut que je travaille le plus. »

De là à se métamorphoser en franc-tireur? Peut-être pas.

Gignac, jusque dans ses entrailles, demeure avant tout un fabricant de jeu doté d’une polyvalence reconnue et d’un coup de patin à faire frémir bon nombre de défenseurs du circuit Courteau. Autant d’aptitudes qui n’ont pas échappé aux éclaireurs de la LNH.

« Il y a beaucoup d’intérêt pour lui de la part des clubs de la LNH. Ils aiment le fait qu’il soit un joueur assez complet. Ils apprécient surtout son intelligence sur la glace », signale Dan Marr, le directeur de la Centrale de recrutement de la LNH qui classe Gignac 98e meilleur espoir nord-américain en vue du prochain repêchage.

« Il va certainement se faire repêcher en troisième ou quatrième ronde », corrobore un recruteur d’une équipe de la LNH oeuvrant surtout au Québec.

« Quand tu joues derrière Beauvillier et (Dmytro) Timashov, ton temps de jeu offensif de qualité est réduit. Il a joué tous les rôles cette année. Je l’ai vu jouer sur le premier trio, il était bon. Je l’ai vu joué sur le troisième trio, il était bon aussi », ajoute ce même dépisteur.

« Il a un beau potentiel, sa vitesse saute aux yeux. Quand il a la rondelle et qu’il décide d’y aller vers l’extérieur, il est vite fatiguant pour les défenseurs adverses », indique un autre recruteur sondé par le RDS.ca.

« C’est un patineur exceptionnel. Déjà, il pourrait suivre le tempo de la LNH juste par sa vitesse », estime quant à lui l’ancien entraîneur-chef des Cataractes de Shawinigan, Martin Bernard, qui a dirigé Gignac pendant plus de deux ans et demi.

« En deux coups de patin, il atteint sa pleine vitesse. En même pas une seconde, il a pris son erre d’aller », renchérit Beauvillier.

Une profondeur de luxe

Dans l’ombre des Beauvillier, Timashov, Dennis Yan et Alexis D’Aoust, Gignac a donc su se faire remarquer, et surtout, se rendre utile peu importe le mandat proposé au sein de l’une des meilleures attaques de la ligue.

« Pour tout le temps de glace qu’on lui a donné cette saison, il nous a amené des résultats assez impressionnants », fait remarquer le directeur général des Cataractes, Martin Mondou.

« Ce qui fait la différence dans une équipe, c’est la profondeur, rappelle pour sa part Beauvillier. Avoir un joueur de centre comme lui, personne ne cracherait là-dessus. Tout le monde en veut. »

Utilisé au centre du deuxième trio et parfois à l’aile aux côtés de Beauvillier et de D’Aoust sur la première unité offensive, Gignac a complété la dernière campagne avec 61 points à sa fiche, avant d’en glaner 16 (7 buts et 9 passes) en 20 rencontres de séries éliminatoires.

« Il fallait que je reste constant tout le temps tellement il y avait de bons joueurs dans l’équipe. J’étais derrière eux et je me devais de les pousser à se dépasser », souligne Gignac, qui fort de ses 5 pieds 11 pouces et 173 livres, compare son style de jeu à celui de l’attaquant des Penguins de Pittsburgh Carl Hagelin.

Un jour peut-être, Gignac pourra tenter de rivaliser de vitesse avec le nouveau champion de la coupe Stanley, un choix de sixième tour en 2007 mesurant aujourd’hui 5 pi 11 po et pesant 186 livres. D’ici là, le Québécois s’attaque à son rêve avec tout le sérieux qu’on lui connaît et avec tout le soutien de son père, notamment.

« Il a joué une saison avec le Junior de Montréal avant d’attraper une mononucléose. Il n’a jamais pu revenir comme avant, il est donc allé dans l’équivalent du Junior AAA de l’époque par la suite.

« Il ne veut pas que je fasse les mêmes erreurs que lui. Il était plus sur le party, alors que moi, je ne sors jamais dans les bars. Mes amis me trouvent plate. [...] Je n’ai jamais été comme ça, je n’ai juste pas le goût d’y aller. Même si je n’avais pas reçu ce conseil de mon père, je n’irais pas. Ça ne m’attire pas. »

Cet été, Gignac compte plutôt enchaîner les parties de golf entre amis, les matchs de tennis avec son frère William, un attaquant de l’Armada de Blainville-Boisbriand, et par-dessus, les séances d’entraînement où il lance, lance et lance encore dans une cour de Repentigny près de chez vous.

« Le filet n’est pas encore installé, mais il le sera d’ici la fin de la semaine. Il faut que j’améliore ce point-là si je veux jouer pro un jour. »