MONTRÉAL - Gary Bettman joue sur les mots lorsqu’il soutient que la LNH qu’il dirige ne tente pas de renégocier la nouvelle convention collective signée il y a quelques mois en guise de tremplin vers la relance de la saison stoppée nette le 13 mars par la COVID-19.

 

Le commissaire ne joue pas seulement sur les mots, il danse de la claquette sur ces mots qu’il a contribué à coucher sur de belles feuilles de papier blanc.

 

Je ne sais pas si le commissaire veut effacer quelques phrases qu’il n’aime pas et regrette d’avoir signées en jouant du talon sur la convention, mais ces pas de danse sont périlleux dans le contexte actuel. Ils ne font rien pour amadouer des joueurs à qui la Ligue demande de faire une croix sur de grands pans de leurs salaires. Au contraire, ces pas de danse ont de quoi rendre les joueurs – et les agents qui les conseillent – sans oublier les dirigeants de leur association plus agressifs qu’ils ne le sont déjà. Et certains le sont déjà pas mal...

Il est vrai que la LNH doit ajuster selon ses revenus annuels les perceptions en fiducie réclamées aux joueurs (ESCROW) en guise de compensations aux fluctuations à la baisse des revenus globaux des 31 équipes et de la Ligue. Il est donc vrai que Bettman ne joue pas avec la convention collective en moussant les prochaines retenues imposées sur les salaires des joueurs.

 

Mais quand la Ligue décide d’étirer les paramètres des reports salariaux – salaires différés – obtenus dans le cadre des négociations tenues le printemps dernier, elle donne réellement l’impression de rouvrir la convention à peine signée.

 

Le premier janvier de plus en plus menacé

 

En passant, en adoptant cette stratégie Gary Bettman mine lui-même les derniers espoirs d’amorcer la saison 2021-2021 dès le premier janvier.

 

Bettman joue le jeu des négociations

Une date à laquelle je n’ai jamais cru en raison de l’animosité de plusieurs joueurs et de plusieurs agents influents qui incitent leurs clients à ne pas plier trop rapidement.

 

Ça ne veut toutefois pas dire qu’ils ne plieront pas.

 

Car dans les faits, la Ligue comme ses joueurs sont condamnés à s’entendre en raison de la cascade de conséquences négatives associées à l’éventualité d’une annulation de la saison. Je ne vous défilerai pas une fois encore toutes ces conséquences que vous pouvez lire dans mes chroniques précédentes sur le sujet.

 

Et c’est pour cette raison que je ne me laisse pas étourdir par la séance de claquette que Bettman a effectuée mercredi dans le cadre de l’entrevue accordée au «Sports Business Journal». Pas plus que je ne me laisse décourager par les sorties intempestives du très volubile agent Allan Walsh qui ne ménage aucun effort dans sa quête de défendre les joueurs qu’il représente et sa guerre ouverte avec le commissaire Gary Bettman.

 

Penser au présent ou sauver le futur

 

Les joueurs ont raison de froncer les yeux et de serrer les poings face aux demandes de Bettman et de la LNH. Des demandes qu’ils jugent non seulement exagérées, mais illégales.

Les deux parties ont raison... et tort

 

L’ennui, c’est qu’ils devront accepter d’essuyer les contrecoups de ces demandes s’ils veulent revenir sur les patinoires dans quelques semaines; s’ils veulent toucher dès maintenant une partie des salaires qui leur sont dus; s’ils veulent encaisser des portions de salaires différés au fil des prochaines saisons.

 

La résolution du conflit actuel dépendra de la volonté affichée par les joueurs. Car dans un principe de partage à 50-50 des revenus avec la Ligue, les joueurs devront toujours éponger 50 % des pertes.

 

S’ils veulent maximiser leurs revenus à court terme et repousser dans un avenir plus ou moins rapproché – lorsqu’ils seront plus près ou déjà à la retraite – les ponctions majeures et une stagnation à très long terme qu’entraînerait un autre conflit, les joueurs adopteront la ligue dure.

 

Ils joueront du coude dans les coins en se fiant à leurs avocats qui pourraient poursuivre la LNH en cas d’annulation de la saison en raison de l’engagement de Gary Bettman de ne pas avoir recours à un lock-out à moins d’un cas de force majeure.

 

Bon! La pandémie actuelle représente un cas de force majeure. C’est clair. Mais comme l’Association – Allan Walsh a déjà mis cartes sur table sur Twitter en début de semaine – des joueurs se campera sur le fait que cette situation était bien connue lors de la signature de l’entente l’été dernier et qu’elle ne peut être imputée comme cas de force majeure maintenant, cela ouvrira la porte à des duels devant les tribunaux.

 

S’ils pensent aux prochains contrats qu’ils devront négocier – allô Phillip Danault! – et qu’ils refuseront de pelleter dans la cour des plus jeunes qui viennent d’arriver ou arriveront prochainement l’imposant manque à gagner – un manque à gagner qui se calculera en centaines de millions $ – qui devra être rembourser à la LNH, les joueurs ouvriront la porte à un règlement.

 

Combien de joueurs joindront le camp des durs? Combien de joueurs joindront celui des plus ouverts?

 

Le règlement du conflit et la date du retour au jeu dépend de la réponse à ces deux questions... et aux changements de vestiaire qui pourraient survenir au fil de ces négociations.

 

De la langue de bois à la langue des avocats

 

Gary Bettman est un avocat de profession et un redoutable négociateur. Il l’a prouvé plusieurs fois. Son vis-à-vis Donald Fehr est lui aussi avocat de profession. Il est lui aussi un redoutable négociateur.

 

Comme tous les avocats chèrement payés pour interpréter les mots couchés dans le cadre de l’élaboration d’une convention collective, Bettman et Fehr sont des maîtres dans l’interprétation des mots, des phrases et des principes. Et ces interprétations sont bien différentes de chaque côté de la table où ils sont assis... ou, pandémie oblige, devant l’écran qu’ils regardent.

 

Dans un monde où les joueurs et leurs entraîneurs utilisent souvent la langue de bois dans les entrevues qu’ils accordent avant – des fois pendant – et après les matchs qu’ils disputent et dirigent, Bettman et Fehr utilisent aujourd’hui la langue des avocats.

 

À bien des égards, les deux langues sont semblables en ce sens qu’il n’y a pas grand-chose à en tirer. Parfois même, pas grand-chose à y comprendre.

 

En jouant avec les mots comme il le fait présentement et en donnant l’impression d’adopter la ligne dure avec les joueurs, Gary Bettman fait plaisir à ses propriétaires les plus durs. À ceux qui préféreraient une saison annulée à une saison devant des gradins vides, car ils perdraient moins d’argent. Du moins à court terme.

 

Mais cette stratégie ne ramènera pas les joueurs sur la patinoire. Et comme le commissaire veut revoir la LNH sur la grande scène le plus vite possible, je demeure convaincu que plus on se rapprochera du point de non-retour – entre le 15 et le 20 décembre – plus il ouvrira la porte aux compromis qui ouvriront la porte au retour au jeu. Car bien qu’ils aient été un brin écorchés – mais certainement pas surpris – par les propos lancés par Gary Bettman mercredi, plusieurs membres influents dans le camp des joueurs sont toujours prêts à trouver les compromis qui assureront le retour au jeu.

 

Pourvu que ces compromis fassent mal aux deux camps et pas seulement aux joueurs.

 

Bettman veut voir plus d’eau dans le vin des joueurs