Quand Jim Rutherford a été embauché à titre de directeur général des Penguins de Pittsburgh, en juin 2014, on n'a pas trop compris cette décision de Mario Lemieux.

Rutherford, qui avait été le DG des Hurricanes de la Caroline pendant 20 ans, entrait dans une semi-retraite. Deux mois plus tôt, il avait cédé sa place à une ancien gloire de l'équipe, Ron Francis, pour accepter un rôle de conseiller spécial à ses côtés. Il avait 65 ans. On aurait pu assez facilement imaginer un homme plus jeune pour diriger les Penguins, mais on a privilégié l'expérience. Beaucoup d'expérience.

Mais quand même. Il était de la vieille école. On ne s'attendait pas à ce qu'il débarque à Pittsburgh avec des idées révolutionnaires. Quand il a échangé Simon Després, un colosse défenseur de six pieds, quatre pouces et de 220 livres, âgé de 22 ans, et premier choix de repêchage de l'équipe, en retour d'un défenseur marginal de 30 ans, Ben Lovejoy, les doutes qu'on entretenait à son sujet semblaient confirmés. Si c'était le genre de transactions qui attendait les Penguins, l'organisation semblait plutôt dans le pétrin.

Rutherford en a fait mentir du monde. Cette saison seulement, il a ajouté 11 joueurs à la formation. En deux ans, 14 nouvelles figures ont fait leur apparition dans cet uniforme.

En décembre dernier, les Penguins se dirigeaient vers une saison désastreuse. Les choses allaient si mal que Rutherford a apporté un changement qui a fait toute la différence derrière le banc. Quand on a demandé à Sidney Crosby s'il aurait parié sur les chances de l'équipe de remporter la coupe, sa réplique nous en a dit beaucoup sur l'état de la situation. «À la mi-saison, on essayait d'entretenir l'espoir de participer aux séries», a-t-il dit.

Les nouveaux champions de la coupe Stanley sont formés de neuf choix de repêchage, autant de joueurs acquis par le biais des transactions en plus de trois joueurs autonomes.

L'un d'eux est Matt Cullen qui était sans contrat l'été dernier après avoir passé les deux saisons précédentes à Nashville. Il avait 39 ans, mais Rutherford savait ce qu'il obtenait après l'avoir eu sous ses ordres chez les Hurricanes pendant quatre saisons. À l'aube de ses 40 ans, il a disputé les 106 matchs de cette interminable saison. Il a marqué 16 buts en saison avant d'en rajouter quatre autres durant les séries. C'est ce qu'on appelle sortir un lapin de son chapeau.

En voulez-vous des transactions?

Ici, dans une ville qui n'a pas gagné la coupe Stanley depuis 23 ans, on nous dit souvent qu'il est excessivement difficile de compléter des transactions dans la Ligue nationale d'aujourd'hui. En deux ans, Rutherford a osé en compléter huit: Phil Kessel, Carl Hagelin, Nick Bonino, Patric Hornqvist, Trevor Daley, Justin Schultz, Ben Lovejoy et Ian Cole.

D'une formation en déroute, sans grands plans de matchs et marquée par le mécontentement entre l'ex-entraineur Mike Johnston et ses joueurs, les Penguins sont devenus en six mois les champions de la ligue.

Un directeur général en fin de carrière s'est comporté comme un jeune loup désireux de faire sa marque dans le hockey. Si les Penguins sont les nouveaux champions en titre, c'est parce que Rutherford n'a pas craint de commettre des erreurs. Il a foncé. Après tout, il était là pour changer les choses Peu importe les modalités un peu compliquées de la transaction avec Toronto, il a obtenu un joueur controversé qui aurait mérité le trophée Conn Smythe n'eut été du leadership exercé par Sidney Crosby qui, en cours de route, s'est offert trois buts gagnants. Phil Kessel a été le meilleur marqueur des Penguins dans les séries.

Très loin de moi l'idée de comparer Kessel à Frank Mahovlich, mais en janvier 1971, Sam Pollock savait que le Canadien avait besoin d'une étincelle après avoir raté les séries éliminatoires. Il a procédé à une transaction majeure avec Detroit pour mettre le grappin sur Frank Mahovlich. Six mois plus tard, Mahovlich a égalé le record de 27 points établi le printemps précédent par Phil Esposito en obtenant 27 points, dont 14 buts, en 20 parties. Sans lui, le Canadien n'aurait pas gagné la coupe. Sans Kessel, la ville de Pittsburgh ne serait pas en liesse aujourd'hui.

Les Penguins représentaient-ils la meilleure équipe sur papier? Pas sûr. Exception faite de la présence exceptionnelle de Kristopher Letang, elles sont sans doute assez rares les formations qui ont remporté la coupe avec une défense, disons, aussi suspecte. Mais n'a-t-on pas déjà dit que le Canadien n'était pas la meilleure équipe du circuit en 1986 et en 1993?

Néanmoins, Pittsburgh a été supérieur aux Sharks, pas de doute là-dessus. La troupe habilement dirigée par Mike Sullivan les a étourdis et les a épuisés.

Et Matt Murray dans tout cela?

N'oublions pas la contribution de Matt Murray dans cette grande victoire. On lui a parfois reproché d'être chancelant sans tenir compte que cette recrue, qui a évolué dans un climat de tension extrême pendant quatre séries, ne devait même pas être là. Le point tournant des séries a été, selon moi, l'élimination des Capitals de Washington.

Rappelons-nous que les Capitals devaient gagner la coupe. Ils étaient nettement supérieurs dans l'Est et probablement dans toute la ligue. Or, quand Marc-André Fleury, victime d'une commotion cérébrale, a été incapable de jouer, avouons franchement qu'on ne donnait pas cher de la peau des Penguins sans leur gardien numéro un.

Si Murray, soudainement investi d'un mandat de sauveur, avait craqué, les Penguins ne seraient pas allés plus loin. Il a finalement remporté 15 des 16 victoires des nouveaux champions, ce qui lui a permis d'égaler le record de 15 victoires par un gardien recrue détenu par Patrick Roy et Ron Hextall.

Les Penguins ont gagné en comptant dans leurs rangs le tout premier choix de la séance de repêchage de 2005 (Sidney Crosby) et le tout dernier (Patric Hornqvist) réclamé au 230e tour.

Hornqvist est l'une des prises les plus étonnantes de Rutherford qui a envoyé un ex-marqueur de 40 buts, James Neal, à Nashville, pour l'obtenir avec Nick Spaling. Or, ce Spaling est devenu l'une des monnaies d'échange dans la transaction pour Kessell.

Il y a une leçon à tirer dans l'exploit des Penguins. Pour changer les choses, il faut avoir le courage de ses décisions. On ne peut pas brasser la soupe en se contentant d'obtenir des joueurs de troisième ou de quatrième trios. Cette coupe Stanley a été beaucoup l'affaire d'un directeur général qu'on a sorti de la retraite parce qu'on le croyait encore assez rusé pour rivaliser avec les meilleurs directeurs généraux de la ligue. Ce qu'il a été.