Gary Bettman s’entête. La LNH ne modifiera pas son calendrier pour les prochains Jeux olympiques. René Fasel continue toutefois d’espérer une volte-face de la part des dirigeants de la ligue. La IIHF se dit prête à négocier jusqu’à la fin de juin et même jusqu’au début de juillet.

Aux yeux de bien des partisans, René Fasel semble être la voix de la raison. Le président de la IIHF a tout à fait raison lorsqu’il parle de la visibilité offerte à la LNH. Aucune finale de la coupe Stanley ne sera aussi regardée que les Jeux olympiques. Les Jeux d’hiver ont un audimat de trois milliards de spectateurs. Même le Super Bowl fait piètre figure à côté de cela.

La position de l’IIHF demeure toutefois étrange. Si Fasel négocie avec Bettman, c’est parce que la LNH n’est pas membre de la Fédération internationale de hockey sur glace. Ce n’est pourtant pas le cas de tous les circuits de hockey. En fait, la LNH est minoritaire dans ce domaine.

En Amérique du Nord, le public oublie souvent que l’IIHF ne se limite pas aux compétitions internationales. Partout dans le monde, elle est responsable du hockey mineur et elle encadre aussi le hockey professionnel outremer. Les clubs de la KHL et des autres circuits européens sont des membres en règle de la IIHF. Ces derniers n’ont pas moins besoin de visibilité que les Maple Leaf de Toronto ou les Flyers de Philadelphie. En fait, c’est tout le contraire.

En Europe, les clubs de hockey peinent à se retrouver sous les projecteurs. La création de la KHL a changé la donne pour certains clubs russes et les équipes européennes y étant affiliées. Le championnat suisse réussit encore à attirer un large public. Ailleurs, cela ne va pas aussi bien. Le championnat suédois a eu ses pires assistances en 14 ans cette année. Les clubs allemands ont de bonnes foules à leur match, mais ils sont presque absents des médias nationaux.

Tout cela est lié au cruel manque de visibilité des clubs européens. Sur la scène internationale, ils vivent dans l’ombre de la LNH. Ils sont à peine mentionnés lorsqu’ils perdent leurs joueurs aux profits du circuit Bettman. Aux Mondiaux, leurs joueurs sont écartés des équipes nationales aussi tôt qu’une vedette de la LNH se pointe le bout du nez. Localement, ils doivent mener des batailles inégales contre les clubs de soccer, un sport qui est toujours roi et maitre sur le vieux continent. Les possibilités de se faire connaître du grand public sont donc très rares.

Pour l’IIHF, ne serait-il donc pas plus avisé de prioriser ses membres lors des Jeux de Pyeongchang? La KHL et les circuits européens, eux, ne se font pas tirer l’oreille lorsque vient le temps d’ajuster leur calendrier à celui des Olympiques. Pourquoi faire des pieds et des mains pour donner ces trois milliards de cotes d’écoute à la LNH lorsque les clubs de l’IIHF essayent par tous les moyens de sortir de l’ombre? René Fasel semble trouver ce terrain très glissant lorsqu’on lui pose la question.

Stéphane Da Costa

« La LNH est la meilleure ligue au monde et les meilleurs joueurs sont en Amérique du Nord. C’est un fait. Cela dit, si la LNH ne participe pas aux Jeux, cela va donner plus de visibilité en Asie aux clubs russes et européens de la KHL. La ligue est aussi présente en Chine avec Kunlun Red Star. Nous faisons déjà la promotion du hockey en Asie sans la LNH, mais il serait mieux de travailler tous ensemble. De voir des ligues prestigieuses comme la LNH et la KHL travailler de concert en Asie, ce serait l’idéal. »

René Fasel parle de travailler de concert avec la LNH, mais cela semble demeurer un vœu pieux. En mars dernier, quelques jours avant d’annoncer la non-participation de la LNH aux Jeux olympiques, Gary Bettman a fait un saut à Beijing pour annoncer des matchs préparatoires en Chine. Personne du Kunlun Red Star n’a été invité à la cérémonie. Encore une fois, la Ligue nationale semble faire cavalier seul. Devant un tel coup de gueule, ne serait-il pas mieux, pour l’IIHF, de protéger ses membres en utilisant la visibilité des Jeux de Pyeongchang? À nouveau le Président de l’IIHF préfère rester inclusif.

« Je n’aime pas parler “d’ingérence de notre territoire.” Je crois que c’est le territoire de tout le monde. Nous, la Fédération internationale, nous voulons travailler de concert avec la LNH et la KHL pour faire la promotion du hockey en Asie. La LNH peut faire un match hors concours en Chine, mais les joueurs de la LNH vont tout de même être tristes de manquer les Jeux. Ce serait tellement mieux de travailler tous ensemble. »

Les joueurs de la LNH sont-ils nécessaires?

En traitres mots, René Fasel et la IIHF croient fermement que les joueurs de la LNH auront un impact majeur sur la visibilité du hockey en Asie. Est-ce réellement le cas? Au Canada, les vedettes de la LNH sont des Dieux vivants. L’Asie est toutefois un autre monde.

L’auteur de ces lignes a travaillé pour le journal du village Olympique lors des Jeux de Sotchi en 2014. Au centre d’accueil des athlètes, il a interviewé près de 70 athlètes de partout dans le monde pour des entrevues humoristiques. À la question « Crosby ou Ovechkin », aucun des 15 sportifs de Chine, du Japon et de la Corée n’a pu répondre. En fait, une Japonaise a même demandé si ces inconnus sont des acteurs de cinéma.

Claire Wang

En fait, la machine de markéting de la LNH n’est toute puissante qu’au Canada. À ce même centre d’accueil des athlètes de Sotchi, les gardiens de sécurités ont dû gentiment disperser les bénévoles russes à l’arrivée d’Evgeni Malkin tandis que Sydney Crosby a clopiné jusqu’à son autobus dans l’indifférence des gens présents. En Russie, Malkin est surtout connu pour ses médailles d’or aux Mondiaux. Ses coupes Stanley intéressent un public beaucoup plus restreint.

En Europe, la LNH a gagné plus de terrain qu’en Russie. Les Jeux olympiques demeurent toutefois un incontournable. Même en Suède où la Fédération de hockey s’est rangée du côté de Gary Bettman dans le dossier des Jeux olympiques. Peter Forsberg a quitté son pays pour la LNH avec un statut de héros national grâce à son but en tir de barrage à Lillehammer contre le Canada. Ce but mythique a été immortalisé sur un timbre par le gouvernement suédois. Aucune victoire de la coupe Stanley n’a encore eu cet honneur.

La LNH ne peut même pas se targuer d’être une nécessité pour attirer le public américain. « Miracle on ice » demeure, encore aujourd’hui, le plus grand moment de hockey de l’histoire du pays. Dans le sud des États-Unis, où plusieurs clubs de la LNH demeurent instables, la médaille d’or olympique élève l’athlète au stade de héros national indépendamment du sport qu’il pratique. Une équipe de hockey américaine en finale des Jeux olympiques aura un impact positif sur ce sport, aux États-Unis, indépendamment de la décision de Gary Bettman.

En fait, l’intérêt pour le hockey olympique demeure élevé, car le calibre le sera lui aussi. Les clubs membres de l’IIHF ont des joueurs exceptionnels à offrir aux équipes nationales. Cela ne se le limite pas aux pays européens. Le Canada fournit des joueurs d’élite aux circuits outremer. Chris Lee, du Metallurg de Magnitogorsk, en est un bon exemple.

Chris Lee

Né à MacTier en Ontario, Lee n’a jamais joué dans la LNH. Après la NCCA, le défenseur de 36 ans a joué trois ans dans l’ECHL et trois autres dans l’AHL avant de s’envoler pour l’Europe en 2010. Il rejoindra le Metallurg de Magnitogorsk à l’automne de 2013 où il deviendra une vedette de la KHL. Jeudi soir, à Paris, il a enfilé l’uniforme de l’équipe canadienne pour la première fois.

« J’étais surpris lorsque j’ai reçu le courriel de Scott Salmond. J’ai tout de suite accepté l’invitation. En novembre dernier, j’ai joué pour Sean Burke et Dave King à la Coupe des nations en Allemagne. Ils ont défendu ma candidature au sein de l’équipe et je tiens à prouver qu’ils ont eu raison de le faire. »

Cette année, Lee a tout cassé dans la KHL. En 60 joutes, il a compté 14 buts et il a cumulé 51 passes pour produire 65 points. Il a aussi récolté 21 points en 18 joutes lors des séries éliminatoires. Son coéquipier Jan Kovar, de la République tchèque, confirme que Lee n’a pas volé son poste au sein de l’équipe canadienne.

« Je suis très fier pour lui. Lorsque j’ai su qu’il jouerait pour le Canada, j’étais tellement content. Il a été phénoménal cette saison. »

Kovar est le joueur de centre d’un des trios les plus redoutés de la KHL. À sa gauche, on trouve le capitaine de l’équipe nationale russe, Sergei Mozyakin. Le sextuple champion des marqueurs de la ligue a récolté 85 points en 60 joutes. À sa droite, Danis Zaripov est un quadruple champion de la coupe Gagarine. Aucun d’entre eux n’a joué dans la LNH et ils seront tous aux Jeux olympiques si la tendance se maintient. Chris Lee, lui, serait très fier d’y participer.

Jan Kovar

« Ce serait un grand honneur pour moi de jouer aux Jeux olympiques. Je suis convaincu que nous aurions une bonne équipe. Dans la KHL et en Suisse, nous avons beaucoup de très bons joueurs. Beaucoup d’entre eux pourraient jouer dans la LNH si on leur donnait la chance. »

À en croire ses entraîneurs, Lee fait partie de cette liste. Gerard Gallant fait partie de l’équipe d’entraîneurs du Canada cette année. Il n’a que de bons mots pour le défenseur de 36 ans.

« Contre la France, il a très bien joué. Il a un bon coup de patin et il est excellent en avantage numérique. Il contrôle parfaitement la rondelle. Chris, c’est une belle occasion pour une équipe de la LNH. Si la LNH ne libère pas ses joueurs pour Pyeongchang, voir un gars comme ça dans la KHL, ça donne de l’espoir pour les Jeux. Nous aurons une bonne équipe, c’est certain. Cela dit, je ne connais pas beaucoup les joueurs outremer pour donner plus de détails. »

Gallant n’est pas le seul à méconnaitre les joueurs et les clubs membres de la IIHF. Voilà pourquoi René Fasel devrait peut-être cesser de s’acharner à convaincre Garry Bettman. Avec trois milliards de cotes d’écoute, les Jeux de Pyeongchang pourraient enfin les faire sortir de l’ombre.