C’est toujours très intéressant de jaser avec le défenseur Marc-Édouard Vlasic. Athlète articulé, intelligent et volubile, il s’exprime librement, sans détours et avec franchise. Mais en 2016, lorsque les Sharks s’étaient retrouvés en finale de la Coupe Stanley face aux Penguins, il ne nous avait donné que des grenailles de réponses ennuyantes et il avait défilé des clichés insipides pendant deux longues semaines. « Parlez-moi de mes chiens si vous voulez jaser! Mais sur les questions de hockey, vous n’aurez que des réponses plates, avait-il expliqué en souriant une fois les caméras fermées. Il n’est pas question que je dise quoi que ce soit de spécial, on est en finale de la Coupe Stanley et c’est pas le temps de faire un show. » C’est ça Marc-Édouard Vlasic, un gars franc et honnête. Ça ne faisait pas notre affaire mais on comprenait et il fallait respecter sa décision.

 

Cette discussion m’est revenue en tête après avoir parlé quelques minutes au téléphone avec le défenseur des Sharks.

 

La situation que l’on vit actuellement avec la COVID-19, c’est un peu la même histoire. Ça ne fait pas l’affaire de personne mais il faut respecter les protocoles. On nous dit des choses que l’on aimerait mieux ne pas entendre. Ça, c’est la réalité. Et à l’autre bout du vestiaire, il y a ceux qui laissent miroiter de belles choses. On peut y croire et espérer que ce qu’on nous dit est peut-être réaliste mais ça devient quand même de plus en plus difficile de penser qu’il y aura du hockey dans quelques semaines.

 

« Il y a de nouveaux scénarios qui sortent à chaque jour, dit Vlasic. Plusieurs villes sont en confinement jusqu’au 31 mai. C’est le cas de San Jose et je suis pas mal certain qu’on va repousser la date. Tant qu’on ne trouvera pas de vaccin, ça va être difficile de recommencer la saison, même si ce n’était qu’en septembre parce que 40 % de nos revenus proviennent des billets vendus. Ça, c’est si on revient sans spectateurs. Mais on fait quoi de la sécurité des joueurs? Il y aurait quand même entre soixante-quinze et cent personnes qui devraient être à l’aréna pour chaque match. Tu vas mettre tous les joueurs ensemble, c’est comme des rassemblements pour jouer au hockey et les villes ne permettent pas les rassemblements. En ce moment, ils gardent l’espoir pour que le monde soit intéressé quand ça va revenir. Je pense que c’est plus ça qu’autre chose. »

 

Pas une question d’argent

 

À l’instar de Marc-Édouard Vlasic, plusieurs joueurs ont émis des doutes sur les scénarios avancés par la LNH. Il n’est pas le seul qui s’inquiète de la santé et de la sécurité. D’ailleurs il y a deux semaines, Paul Byron, représentant des joueurs du Canadien, rappelait le danger d’exposer son coéquipier Max Domi qui vit avec le diabète.

 

Alors que la planète sort doucement de son hibernation, le retour des ligues professionnelles en Amérique du Nord est d’abord et avant tout motivé par des intérêts financiers. Pour les joueurs dont les équipes n’ont aucune chance de participer aux séries éliminatoires, il sera encore plus difficile de trouver la motivation pour revenir finir une saison inachevée.

 

« Pour nous, ça serait faire un camp pour rien. Ça serait revenir pour rien, lance Vlasic avec honnêteté. Je comprends que le but de revenir c’est pour que le monde puisse nous regarder à la télé ou qu’on puisse faire des revenus. Si j’étais en position de jouer en séries, est-ce que je dirais la même chose? Je ne sais pas. Mais je sais que ça ne sert à rien de revenir trop tôt. On devrait prendre soin de tout le monde avant de penser à revenir. Évidemment, le sport c’est rassembleur et le monde a peut-être besoin de quelque chose comme ça pour distraction? »

 

En plus de la question de la sécurité, il faudra aussi considérer l’isolement imposé aux athlètes. Les pères de famille seront difficiles à convaincre que c’est une bonne idée d’abandonner femme et enfants pour deux ou trois mois. Phillip Danault et Patrice Bergeron l’ont d’ailleurs clairement exprimé sur la place publique.

 

Reste l’aspect économique.

 

Le défenseur originaire de Montréal ne croit pas que ça soit un facteur d’influence auprès des joueurs. À tout le moins, une baisse de revenus ne devrait pas affecter personne.

 

« Je sais que je gagne plus que beaucoup de joueurs, mais le salaire minimum est de 750 000 dollars dans la Ligue nationale. Y’a pas grand monde sur la planète qui fait tellement plus que ça et les gens vivent leur vie quand même. Ça serait impossible qu’un joueur soit dans la misère. Même si on ne reçoit pas notre dernier chèque de paye et qu’on joue quarante parties la saison prochaine, tous les joueurs devraient être corrects. Si jamais il y a un joueur dans le trouble, c’est parce qu’il dépense trop pour des voitures et des trucs du genre. »  

 

Préoccupé par la situation

 

C’est clair que pour l’instant le retour au jeu n’est pas en tête de liste des préoccupations de Marc-Édouard Vlasic et sa conjointe Martine. Âgé de 62 ans, le père de cette dernière travaille dans une pharmacie et sa sœur dans un service de garde. La mère du défenseur des Sharks est de retour au travail depuis lundi comme physiothérapeute.

 

« Pour nous, les joueurs de hockey, il n’y a pas de problème. Les gens qui travaillent à l’épicerie ou dans le système de la santé se mettent en danger. Nous autres, c’est facile de rester à la maison. C’est simple comme règlement. »

 

Toujours à San Jose, le couple ne sort que rarement de la maison et profite de la pandémie avec ses trois chiens. Si la situation n’évolue pas, le retour au Québec aura lieu dans quelques semaines. Celui qui a gagné l’or à Sotchi avec Équipe Canada ne semble pas envisager la fin du confinement avec optimisme.

 

« Ici, on est en lock-down jusqu’au 31 mai. Je commence à sentir que les gens se disent qu’il faut commencer à vivre notre vie. Le monde sort un peu plus pour rien. La semaine passée, à Huntington Beach, il y a eu un gros rassemblement parce que les gens étaient frustrés que la plage soit fermée. Le 5 mai, des milliers de personnes se sont rassemblées ici pour célébrer le Cinco de Mayo (fête nationale au Mexique). On sort plus parce qu’on veut voir du monde et vivre notre vie mais c’est possible qu’il y ait une deuxième vague du virus si on fait ça trop tôt. »