Quand le président du comité de sélection du Panthéon de la Renommée du hockey donne un coup de fil pour annoncer la bonne nouvelle aux nouveaux intronisés, il leur fait toujours cette suggestion amicale: « Faites de votre intronisation une affaire familiale. Assurez-vous de vivre ce moment avec tous vos proches ».

Si ces athlètes couronnent leur brillante carrière par une intronisation à ce panthéon prestigieux, ils le doivent assurément à leur talent. Toutefois, sans l’indispensable contribution d’une mère, d’un père, d’un époux, d’une épouse ou même de leurs enfants, qui ont souvent souffert de leurs absences répétées, un hommage de cette ampleur ne serait pas toujours possible.

On ne connaît pas les antécédents familiaux de Gary Bettman, de Willie O’Ree, de Jayna Hefford et d’Alexander Yakushev, mais on sait presque tout de la vie des Québécois Martin Brodeur et Martin Saint-Louis, des athlètes estimés qui nous ont fait souvent vibrer par leurs exploits. Assez pour réaliser qu’il y aura deux grands absents quand ils feront leur entrée au Panthéon, à Toronto, ce soir.

Brodeur aura une bonne pensée pour son père Denis, l’un des meilleurs photographes de sport que le Québec ait connu. Saint-Louis aura un pincement au coeur en se rappelant toutes les matinées au cours desquelles sa mère l’a conduit à la patinoire dans un aréna qui porte aujourd’hui son nom à Sainte-Dorothée, Laval.

France Saint-Louis, on s’en souvient, a été foudroyée par une crise cardiaque en mai 2014, durant la série éliminatoire que Martin disputait aux Penguins de Pittsburgh. Quelques jours plus tard, après le premier match de la finale de l’Association Est entre le Canadien et les Rangers, tous les membres de son équipe l’ont accompagné aux funérailles de sa mère dans une ambiance émotive à trancher au couteau.

C’était une femme spéciale, a-t-on raconté à l’époque. Son mari, Normand, a dit d’elle que leur union de 43 ans a représenté la plus belle signature de contrat de sa vie. Quand on a demandé à Martin ce que sa mère avait représenté pour lui, il a simplement répondu qu’il s’agissait de la personne la plus humaine qu’il ait connue.

Chez les Brodeur, Denis a été plus qu’un père pour le gardien recordman. Il a été un mentor, un chum et sans doute son allié le plus sûr. Dès ses débuts dans les rangs juniors, il lui avait mentionné la marche à suivre durant la carrière professionnelle qui s’annonçait. Il lui avait suggéré d’être courtois avec les fans et disponible pour les médias. Il l’a toujours fait.

À en juger par la remarque que le père de Saint-Louis lui a faite ces derniers jours, on présume qu’il lui a également enseigné les bonnes valeurs. « Quand tu prononceras ton boniment d’intronisation, n’oublie pas de t’exprimer en français », lui a-t-il recommandé.

Il lui avait aussi fait une remarque du même genre au début de sa carrière. « Sois respectueux envers le public, lui avait-il dit. Peut-être que tu oublieras ce que tu as fait pour les gens, mais tes admirateurs, eux, vont s’en souvenir pour toujours ».

Le plus petit parmi les grands

Je l’avoue, les deux Martin sont parmi les athlètes dont j’ai le plus apprécié la contribution et les performances. Dans le cas de Brodeur, on a toujours su qu’il atteindrait la Ligue nationale. De Saint-Louis, on savait peu de choses dans le temps, sauf que le hockey professionnel ne voulait pas de lui.

Le premier a été un choix de première ronde. Le second a été incapable de convaincre les magnats du hockey de le réclamer. Brodeur jouissait d’un talent pur. Saint-Louis, de son côté, devait se battre avec l’énergie du désespoir juste pour qu’on sache qu’il était là.

Brodeur est devenu le plus grand gagnant de l’histoire. Son record de 691 victoires sera probablement aussi intouchable que les 11 coupes Stanley d’Henri Richard. Parmi les gardiens actifs, Roberto Luongo accuse un recul de 235 victoires. Suivent Henrik Lundqvist et Marc-André Fleury avec des retards de 281 et 309 victoires respectivement. Leur carrière est déjà très avancée et ce sont ses plus proches poursuivants. Le nom de Brodeur est aussi associé à 12 records chez les gardiens de but.

Quand on s’y arrête, c’est absolument fabuleux ce que Saint-Louis a accompli. Toutes les organisations ont eu plusieurs fois l’occasion de lui offrir un contrat. Il a même frappé à la porte de l’équipe de sa ville natale, mais le Canadien lui a dit non merci.

Il a eu autant d’impact sur les joueurs de petite taille que Patrick Roy en a eu sur les jeunes gardiens du Québec. Combien de jeunes de sa stature ont cru en leurs chances d’y arriver en regardant Saint-Louis remporter deux championnats des marqueurs, un trophée Hart, un trophée Ted Lindsay, adjugé par les joueurs eux-mêmes, trois trophées Lady Bing et une coupe Stanley?

Les Flames de Calgary, après lui avoir offert un contrat à titre de joueur autonome, l’ont observé durant 69 parties réparties sur trois ans avant de lui signifier son congé. Le Lightning de Tampa Bay, qui l’a rescapé, n’a pas eu tellement de mérite dans les circonstances. Après avoir raté les séries pour la septième fois en huit ans, cette formation avait grandement besoin d’un attaquant potentiellement productif pour remplir un chandail. Il a remporté son premier titre des marqueurs en devançant Ilya Kovalchuk et Joe Sakic. À la seconde occasion, à 38 ans, il est devenu le champion marqueur le plus âgé de la ligue en coiffant ses plus proches poursuivants, Steve Stamkos, Alexander Ovechkin et Sidney Crosby. Il a ainsi battu un record vieux de 50 ans de Gordie Howe qui avait réussi l’exploit à 34 ans.

Ses 1033 points font de lui le meilleur marqueur de tous les temps parmi les Québécois qui n’ont jamais été repêchés. Mieux encore, il est l’unique athlète dans l’histoire du hockey à avoir mérité le titre des marqueurs et le trophée Hart après avoir été boudé au repêchage.

Comment ne pas témoigner un immense respect envers un joueur de cinq pieds et huit pouces qui était le seul à se croire capable de tenir son bout dans la cour des grands? Ce soir, quand son nom sera appelé, il montera sur l’estrade la tête bien haute en affichant la fierté d’un conquérant sorti de nulle part pour faire mentir ceux qui seront justement en train de l’applaudir.
Saint-Louis est aujourd’hui le plus crédible athlète de cinq pieds et huit pouces du sport professionnel. Il a parfaitement raison d’être sans complexe devant les plus grands du hockey.