Quand Guy Boucher, une fois sa carrière terminée, analysera son parcours dans le hockey professionnel, il découvrira que le chemin qui lui a été tracé n'avait probablement rien de commun avec le plan de carrière qu'il avait imaginé.

Il n'était pas destiné à devenir entraîneur.

Quand il étudiait à McGill, c'est Martin Raymond, qui pourrait fort bien le rejoindre à Ottawa, qui l'avait invité à travailler avec lui derrière le banc. Détenteur d'un bac en histoire, d'une mineure en biologie environnementale et une maîtrise en psychologie sportive, il était ailleurs dans son projet de carrière. Il a tout de suite eu la piqûre du coaching. Quand on connaît l'application qu'il met dans tout ce qu'il entreprend, faut-il vraiment s'étonner que l'élève ait dépassé le maître?

Parlons-en, justement, de son tracé. Les amateurs de hockey du Québec ont commencé à le remarquer à sa troisième saison avec les Voltigeurs de Drummondville quand son équipe a tout balayé, remportant 54 des 68 matchs du calendrier avant de mettre la main sur la coupe du Président. Quelques mois auparavant, il avait mérité l'or au championnat mondial junior dans un rôle d'adjoint à Pat Quinn avant de répéter le même exploit au championnat mondial des moins de 18 ans, en Russie.

Son nom était alors de toutes les conversations de hockey. On lui prédisait un emploi au niveau de la Ligue nationale, mais encore fallait-il qu'une équipe hors Québec lui offre un poste. Comme c'est souvent le cas pour les entraîneurs québécois, la proposition est finalement venue du Canadien quand Bob Gainey a pris la décision de lui confier les espoirs de l'organisation, à Hamilton.

Il n'en fallait pas plus pour qu'on l'imagine avec le Canadien un jour. L'organisation avait déjà permis à deux entraîneurs de sa filiale, Pat Burns et Michel Therrien, de se faire la main dans la Ligue américaine avant de se présenter à Montréal. Il a obtenu un contrat de trois ans à Hamilton, mais il a levé les feutres après sa première saison quand Steve Yzerman l'a choisi pour diriger le Lightning. Après avoir vu les Bulldogs remporter le championnat de leur division et après avoir été choisi l'entraîneur de l'année, on disait de lui qu'il était le coach de l'avenir au niveau professionnel.

À Montréal, Jacques Martin était assis sur un contrat de quatre ans. On ne pouvait pas retenir Boucher. On n'offre pas un rôle d'adjoint à un jeune entraîneur qui a déjà en mains une offre de la Ligue nationale.

Peut-être que Gainey avait des projets futurs pour lui avec le Canadien, qui sait? On était loin d'imaginer que son ascension serait aussi fulgurante.

Le jour même de son embauche à Hamilton, en juin 2009, j'ai participé à une soirée organisée par Hockey Canada, dans le cadre du centenaire du Canadien. Boucher y était pour recevoir sa médaille d'or du championnat mondial junior. Ce soir-là, d'anciennes gloires du Canadien ont défilé fièrement sur l'estrade d'honneur vêtus de leurs chandails tricolores. Guy et sa femme Marsha étaient impressionnés. Ils faisaient maintenant partie de cette grande famille. « Notre conte de fée se poursuit », m'avait dit Marsha.

Un peu comme nous tous, ils s'imaginaient peut-être avec l'organisation du Canadien pour longtemps. Après Hamilton, Tampa et la Suisse, les voilà maintenant à Ottawa, tout près de la maison. C'est le plus près qu'ils ont été de Drummondville depuis la proposition de Gainey qui a contribué à changer leur vie. On croyait à l'époque que Gainey lui avait ouvert les portes du Canadien. Il lui avait plutôt ouvert les portes de la Ligue nationale.

Des hommes qui se ressemblent

Pas étonnant que Pierre Dorion et Boucher aient mis quelques heures à peine à se comprendre. Ces deux-là se ressemblent étrangement.

Dans leur point de presse, ils nous sont apparus comme des hommes transparents qui disent les choses comme elles devraient toujours être dites. Ils ont tous les deux une vision assez claire ce qu'ils veulent réaliser. Ils ont parlé avec clarté et franchise. C'était rafraîchissant et ça faisait plutôt sympathique de voir deux dirigeants francophones des Sénateurs à l'avant-plan pour la première fois depuis que le duo Pierre Gauthier-Jacques Martin en a fait autant il y a près de 20 ans.

Les deux ont démontré un certain cran. Dorion, une recrue dans la chaise du directeur général, a retenu les services d'un homme absent de la ligue depuis trois ans et demi. Boucher, lui, a choisi un adjoint nettement plus expérimenté que lui au niveau de la Ligue nationale (15 saisons en plus d'une coupe Stanley pour Marc Crawford) pour le seconder. Une décision hasardeuse s'il en est une.

Quand les choses iront mal pour lui et quand les Sénateurs traverseront une mauvaise passe, Crawford lui soufflera dans le cou. Il fallait qu'il soit absolument sûr de la loyauté de Crawford pour prendre cette décision contenant une bonne part de risques.

Mais cette question-là est pour plus tard. L'important, c'est ce que Boucher peut apporter aux Sénateurs dans l'immédiat. Il va changer des choses, on n'en doute pas. Il a des plans. Il est impatient de les mettre à exécution. Il est aussi sûr de pouvoir faire des Sénateurs une formation améliorée que Dorion est convaincu d'avoir embauché le meilleur candidat disponible sur la planète.

Un propriétaire sans doute satisfait

J'essayais d'imaginer le propriétaire Eugene Melnyk durant ce point de presse. Il se félicitait sans doute d'avoir laissé toute la latitude requise à Dorion pour choisir son homme. Cela nécessitait aussi un certain courage de sa part. Après tout, c'était la première décision majeure de son jeune directeur général.

Un propriétaire, qui aime bien mettre son nez dans les opérations hockey quand ça ne se passe pas à son goût (l'ex-entraîneur Dave Cameron en garde un mauvais souvenir), Melnyk a probablement apprécié que Boucher dise très clairement qu'il déteste perdre son temps et que les choses vont démarrer rapidement au camp d'entraînement.

Les Sénateurs n'ont pas embauché une mauviette. Boucher ne fait pas de fausses promesses pour plaire à la galerie. Il n'y avait pas une once d'arrogance en lui quand il a prédit que les choses allaient changer. Il le croit parce qu'il est convaincu de son étoffe. Il sait aussi qu'il n'est pas le même homme qu'à ses débuts, il y a sept ans.

Dans le temps, on l'avait mis trop rapidement sur un piédestal. Il était arrivé à Tampa en bombant le torse. Il croyait que faire les choses à sa manière, sans trop tenir compte des opinions qui auraient pu lui être fort utiles, lui permettrait d'atteindre ses objectifs.

Cette fois, il tendra l'oreille. Les décisions finales seront toujours les siennes, mais les analyses de Crawford seront d'un certain poids. Sinon, pourquoi l'aurait-il choisi?

Il va obtenir l'attention de ses joueurs. Il sera autoritaire, coriace et souvent sans appel. C'est exigeant pour les joueurs un coach comme lui. Habituellement, ça dure deux ou trois ans. Néanmoins, avant que les joueurs se fatiguent de son style, Boucher aura peut-être eu le temps de les amener loin.