Guy Boucher a été congédié du SC Bern le 18 janvier dernier. À l’époque, l’entraineur québécois se dirigeait vers une exclusion des séries éliminatoires du championnat suisse de hockey (LNA). Son licenciement a semblé réveiller les joueurs de l’équipe, puisqu’ils ont ensuite remporté le titre quelques mois plus tard.

Malgré son congédiement, l’ancien entraineur du Lightning en a impressionné plusieurs. Klaus Zaugg, journaliste du site internet germanophone Watson.ch parle en encore des compétences de Boucher avec passion.

« Cet homme est un génie du hockey. Il est capable de démonter techniquement un match et le reconstruire au complet selon ses critères. En fait, Bern a gagné le titre grâce à son système. »

Klaus Zaugg n’est pas le seul à encenser les compétences de Boucher. Reto Kirchhofer, du quotidien bernois Berner Zeitung, a beaucoup apprécié ses méthodes. Il croit aussi qu’elles sont à la source des succès subséquents du club.

« À Berne, Guy Boucher a hérité d’un club sans système et il l’a remis sur la bonne voie. Boucher a mis de l’ordre durant les entraînements. Lorsqu’il sifflait, les joueurs devaient se présenter immédiatement au centre de la glace. Lorsqu’un gars se trainait les pieds, il était mis à l’écart. Les joueurs n’aiment pas tous ce type de direction, mais moi j’ai adoré cela. »

Certes, les joueurs ne sont pas tous enchantés lorsqu’un entraineur leur serre la vis. Pourtant, lorsqu’on parle à Simon Moser du SC Bern, on entend le même discours que celui des journalistes.

« C’est un très bon tacticien. J’ai beaucoup appris sous sa direction. Après son départ, nous avons continué à suivre la structure qu’il a implantée et nous avons remporté le championnat grâce à lui. »

Les compétences de Boucher n’ont toutefois pas fait de miracle. À la veille du congédiement, l’équipe est en voie de rater les séries. Quelles sont les causes des insuccès du Québécois? Reto Kirchhofer détient la clé de ce mystère.

« Les joueurs n’avaient aucune marge de manœuvre. Ils étouffaient dans le système de Boucher. Dans une situation donnée, par exemple, un joueur avait seulement trois options pour la première passe. Il ne pouvait pas décider d’aller de l’avant avec la rondelle. Boucher est totalement fermé à toute forme d’initiative dérogeant de son plan de match. Je crois qu’en Suisse, on ne peut pas faire preuve d’autant de rigueur »

Klaus Zaugg aborde dans le même sens. Il croit, lui aussi, que la Ligue suisse n’est pas prête pour une telle rigueur.

« Trois semaines après l’arrivée de Guy Boucher à Berne, j’ai clairement dit aux journalistes de cette ville que ça n’allait jamais fonctionner. Boucher est tellement stricte dans l’application de son système, que les joueurs ont perdu toute forme d’initiative. Ils avaient peur de sortir du carcan et ça a stérilisé l’équipe. »

Klaus Zaugg croit qu’en Suisse, un entraineur doit faire preuve de plus de flexibilité, car le bassin de joueurs disponibles est beaucoup plus petit. La Fédération de hockey suisse impose aux clubs une limite de joueurs étrangers très stricte. Sur la glace, il ne doit jamais y avoir plus de quatre joueurs de hockey licenciés comme « suisse » par la fédération. L’esprit de compétition est donc moins élevé et la discipline est plus difficile à imposer.

« Boucher ne tolère aucun écart de conduite. Les joueurs doivent s’adapter à son système, où ils doivent être mis à l’écart. Il est parfait pour diriger un club de la LNH, mais en Suisse, un entraineur n’a pas autant de marge de manœuvre. On doit faire avec les joueurs qu’on a. On ne peut pas les envoyer dans le club-école ou les échanger aussi facilement qu’en Amérique du Nord. »

Des entraineurs nord-américains ont pourtant eu du succès par le passé. Bob Hartley et Marc Crawford ont été adulés lors de leur passage à Zurich. Klaus Zaugg croit toutefois que la personnalité intransigeante de Boucher a aussi joué contre lui.

« Bob Hartley est dur avec ses joueurs, mais il est charismatique. Marc Crawford est dur, mais il est toujours capable d’un peu d’autodérision. Guy Boucher n’a aucun sens de l’humour. De toute ma vie, je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi froid dans l’approche du jeu. On avait un peu l’impression d’avoir affaire à Viktor Tikhonov. »

Et Crawford dans tout cela?

Marc Crawford a aussi été congédié en mars dernier. Le dernier entraîneur des Nordiques a pourtant une fiche gagnante dans la LNA. Comme l’a déjà expliqué Klaus Zaugg, Crawford, lui non plus, n’y va pas de main morte avec ses joueurs. Avec apathie, Patrick Geering, témoigne de la rigueur de son ancien entraineur.

« Ses entrainements sont très intenses. Derrière le banc, il est explosif. Si je peux m’exprimer ainsi, il est plus agressif que Bob Hartley. »

Malgré sa dureté, Crawford a remporté le championnat de la ligue en 2014 avec Zurich. D’où a-t-il tiré son succès? Reto Kirchhofer croit que Crawford a hérité d’un club en meilleure condition que celui de Guy Boucher.

« Zurich a toujours l’équipe la plus talentueuse de Suisse. Les joueurs y sont plus forts, plus rapides et plus talentueux que dans les autres clubs du pays. »

Klaus Zaugg, lui-même originaire de Zurich, croit que Crawford a aussi beaucoup gagné du passage de Bob Hartley. Contrairement à Guy Boucher, il n’a pas eu à tout reconstruire à partir de zéro.

« Zurich a toujours eu du succès, mais le club s’était assis sur ses lauriers. Les joueurs se sentaient à l’aise. Bob Hartley a sorti tout le club de ce marasme. Lorsque Hartley a quitté Zurich pour Calgary, Crawford a pris la relève et il a gardé les joueurs sur le qui-vive. Il ne les a pas laissés se rassoir sur leurs lauriers. »

Un régime de fer a toutefois une durée de vie limitée. Comme l’explique le journaliste zurichois, Crawford a lui aussi perdu son vestiaire même s’il a quitté la Suisse en héros.

« Il a fait progresser ce club. Il en fait une organisation encore plus compétitive. Il a été très exigeant envers ses joueurs et ça a été payant. Malheureusement, un tel régime finit par miner les relations avec les joueurs. Après quelques années, le club se devait de passer à d’autres choses. »

Boucher et Crawford n’ont laissé personne indifférent en Suisse et leurs congédiements respectifs ont fait couler beaucoup d’encre. On croyait avoir tout dit et tout entendu à leur propos chez les Helvètes. Leur réunion derrière le banc des Sénateurs d’Ottawa fait toutefois tomber les journalistes de Berne et de Zurich en bas de leur chaise. Il semble que ces deux personnages n’ont pas fini d’alimenter les conversations dans les arénas du pays!