Martin Brodeur a toujours eu beaucoup de fierté et d'ambition. On n'atteint pas les plus hautes sphères de son sport sans se fixer des objectifs très élevés. Sans avoir judicieusement planifié la carrière de ses rêves.

Il s'est accroché à cette carrière plus longtemps que nous l'aurions tous souhaité. Toutefois, qui sommes-nous pour adresser des reproches à celui qui s'est payé l'un des plus glorieux parcours parmi tous ceux qui ont porté les grosses jambières à travers le monde?

Il a toujours mené les choses à sa manière et cela lui a magnifiquement réussi. La décision qu'il a prise le regarde. Ce que nous aurions souhaité pour lui, c'est autre chose. Nous aurions tous aimé le voir se retirer en pleine gloire, comme le membre du Panthéon du hockey qu'il est officieusement déjà. Pour le grand soir, il faudra attendre en 2018, première année de son éligibilité.

Un athlète de cette trempe ne devrait jamais avoir à frapper aux portes pour du travail. Il ne devrait jamais avoir à faire de grandes concessions dans le but de se voir offrir un dernier contrat. Remarquez qu'il n'avait pas besoin d'argent. C'était loin d'être l'objectif recherché. Sans doute qu'il aurait bien aimé pouvoir se bercer durant ses vieux jours tout en racontant à ses petits-enfants que leur grand-père est le seul gardien au monde à avoir remporté 700 victoires. Une question d'orgueil avant tout.

Ce serait chose faite depuis longtemps si les trois conflits de travail dans lesquels il a été impliqué dans la Ligue nationale ne lui avaient pas coûté autant de parties jouées. Il estime que ces arrêts de travail, dont le lock-out qui lui a fait perdre une saison complète, l'ont privé au bas mot d’entre 100 et 150 matchs.

« Quand tu essaies de porter tes records hors de portée de tout le monde, c'est clair qu'une centaine de matchs pèsent lourd dans la balance », m'avait-t-il dit avant le lock-out de 2012. 

Bien sûr, son record de 691 victoires sera tout aussi inatteignable, mais 700 est un chiffre ultra magique. Il sera aussi difficile à effacer que les 11 coupes Stanley de Henri Richard. Ce sont des marques immortelles en quelque sorte. Comme ses 125 jeux blancs, d'ailleurs. Celui qui le suit de plus près est Roberto Luongo avec 66 blanchissages. Et que dire de ses huit saisons de plus de 40 victoires? Personne ne s'approche de cette marque parmi les gardiens actifs.

Martin est le plus grand de tous les Devils. Après son point de presse de jeudi, c'est au deuxième étage, à la droite de Lou Lamoriello, qu'il devait normalement aller s'asseoir. Il ira plutôt travailler aux côtés de Doug Armstrong avec lequel il a autant d'affinité que Patrick Roy en avait avec Dominik Hasek. Un Brodeur travaillant dans le secteur hockey des Blues de St Louis, ça sonne aussi faux qu'un gardien recordman dont la carrière s'éteint dans un chandail qui ne lui va pas du tout. Essayons juste  d'imaginer Patrick Roy effectuant un dernier tour de piste dans l'uniforme des Jets de Winnipeg. Martin aurait été le premier à dire: « Ben voyons donc? »

J'imagine qu'il y a eu une légère brisure au niveau des relations entre les Devils et leur ancien gardien pour qu'un déroulement aussi « poche », disons-le, se produise. Pas le genre de situation sans retour, mais une tournure des choses qui incite aujourd'hui Brodeur à aller préparer son après-carrière loin de la maison. Dans des conditions idéales, les quelques victoires manquantes pour le chiffre de 700, c'est sûrement au New Jersey qu'il aurait aimé les accumuler.

Une occasion ratée

ContentId(3.1113880):Brodeur accroche ses jambières
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Les Devils n'ont pas une formation pour accéder aux séries cette saison. Dans les circonstances, Lamoriello aurait pu lui permettre d'essayer d'atteindre son objectif au sein d'une organisation à laquelle il a tout donné. En négociant plusieurs ententes salariales sans l'aide d'un agent, Brodeur a volontairement accepté moins d'argent (on parle de plusieurs millions de dollars) pour s'assurer de rester un Devil à vie. Le grand patron des Devils, qui prend de plus en plus des décisions difficiles à comprendre, a préféré ne pas tenir compte de la grande générosité d'un gardien qui lui a également procuré trois coupes Stanley.

Ceux qui le connaissent plus intimement savent qu'il y a une autre raison derrière cette fin de carrière qui s'est étirée inutilement. À 42 ans, Brodeur s'amusait encore dans son sport. Son corps a été beaucoup hypothéqué au cours des 21 dernières années, mais le coeur de l'athlète est toujours resté jeune. Si le hasard lui avait permis de remporter une autre coupe Stanley ce printemps, les voisins de la résidence familiale, à Saint-Léonard, l'auraient vu jouer encore dans la rue avec ses meilleurs amis, la coupe Stanley dans le gazon, l'été prochain. Le multimillionnaire du quartier n'aurait été rien d'autre qu'un gamin toujours aussi fou de son sport.

C'est fini les coupes Stanley, les saisons de 40 victoires, les records améliorés et tout le reste. Brodeur s'en va se faire la main en vue d'un éventuel rôle de directeur général. Et qui sait si, ce jour-là, diplômé de l'école des Blues, il n'ira pas prendre place dans le fauteuil de Lamoriello qui semble avoir fait son temps et qui n'a plus rien du « Godfather » redoutable d'il y a 20 ans.