NASHVILLE - Le 9 septembre 1982, dix jours seulement après avoir obtenu son premier poste de directeur général dans la LNH avec les Capitals de Washington, David Poile a échangé son capitaine de l’époque Ryan Walter et le défenseur format géant Rick Green au Canadien de Montréal en retour de Rod Langway, Brian Endglom, Craig Laughlin et Doug Jarvis.

Fier de son coup, Poile serre la main de son homologue du Tricolore Irving Grundman et grimpe à sa chambre de l’hôtel Royal York à Toronto pour annoncer la bonne nouvelle à son patron et propriétaire des Caps, Abe Pollin.

« Quand je lui ai annoncé la transaction, il y a eu un long silence. Il ne connaissait pas beaucoup le hockey. De fait, je crois que le seul joueur qu’il connaissait vraiment était Walter parce qu’il était le capitaine. Il m’a demandé : "tu as échangé le capitaine contre qui?" J’ai répondu une fois encore Rod Langway et les autres joueurs. Il y a eu un autre long silence avant que j’entende : "tu es bien mieux de savoir ce que tu fais!" »

Désemparé par la réaction de son patron, David Poile s’est approché de la fenêtre de sa chambre. « J’ai ouvert la fenêtre, j’ai regardé en bas et j’ai crié : "tu es mieux de savoir ce que tu viens de faire" », a raconté avec un sourire évoquant une fierté évidente le directeur général qui a craint perdre son emploi dix jours seulement après l’avoir obtenu.

L’avenir lui a donné raison. Vrai que renforcé de Walter et Rick Green – et d’un jeune gardien pas vraiment connu du nom de Patrick Roy – le Canadien a soulevé la coupe Stanley en 1986. Ce que les Capitals de David Poile n’ont jamais fait. Mais Rod Langway s’est élevé au rang de super-étoile. Ses trophées Norris obtenus en 83 et 84 l’ont d’ailleurs témoigné avec éclat. Doug Jarvis et Craig Laughlin ont été des soldats très utiles et Brian Engblom, échangé 13 mois plus tard aux Kings de Los Angeles a permis au jeune directeur général des Capitals de monter un peu plus en grade alors qu’il a soutiré aux Kings l’excellent Larry Murphy qui a connu plusieurs de ses meilleures saisons à Washington.

Trente-quatre ans après avoir échangé le capitaine des Capitals au Canadien, David Poile a récidivé en acceptant d’envoyer Shea Weber à Montréal.

Mais trente-quatre ans plus tard, son patron n’a pas accueilli la transaction avec un lourd silence et un conseil ayant des allures de menaces. Il faut dire qu’en obtenant P.K. Subban, Poile s’est offert un joueur tellement électrisant sur la patinoire, un joueur qui monopolise tellement l’attention à l’extérieur de la patinoire que le directeur général des Predators a passé pour un génie en juin dernier.

Parce que P.K. Subban est sur la touche pour encore deux à trois semaines en raison de maux de dos qui l’ont chassé de la formation lors de sept derniers matchs, Poile ne pourra compter sur son nouveau défenseur pour atténuer le retour de Shea Weber à Nashville. Il ne pourra compter sur P.K. pour l’aider à sortir gagnant de la transaction qui a secoué Montréal, Nashville et le reste de la LNH en juin dernier.

Transaction imprévue

L’absence de Subban permettra toutefois à Weber d’obtenir toute l’attention lors de son retour à la maison dans le cadre de son 801e match en carrière dans la LNH.

« Ce sera très émotif pour Shea, pour plusieurs de nos joueurs qui ont grandi sous sa tutelle, pour les partisans également. Ce sera émotif pour moi également en raison de ce que Shea a représenté pour notre organisation au cours de sa carrière. Tout n’a pas été rose ici pendant les 15 premières années de notre histoire. Nous avons traversé des moments difficiles. Mais en 2003, lorsque nous avons mis la main sur le jeune Shea Weber au repêchage – les Preds l’ont obtenu en 2e ronde avec la 49e sélection du repêchage qui se tenait ironiquement à Nashville – nous avons obtenu le joueur qui a changé l’allure de notre concession », a souligné David Poile.

Pourquoi l’échanger alors?

« Je ne tentais pas d’échanger Shea. Cette transaction était imprévue. Elle s’est développée après une conversation entre moi et Marc (Bergevin). Nous connaissions tous l’entrée en vigueur de la clause de non-échange du contrat de Subban. Nous avons parlé et en étudiant les pour et les contre nous avons établi que c’était une transaction qui devait être faite. On en parle encore aujourd’hui et on en parlera encore longtemps en raison de l’envergure des joueurs. C’est une transaction dont les deux organisations sortent gagnantes. À long terme, j’espère que nous en sortirons gagnants en raison des différences d’âge entre P.K. et Shea. Ce que je sais, c’est que Shea aide grandement le Canadien et que le fait de jouer dans un marché comme Montréal lui donne l’attention qui lui permettra peut-être enfin d’obtenir un trophée Norris. Un trophée qu’il devrait déjà avoir eu, mais qui lui a peut-être échappé en raison de notre marché beaucoup moins suivi que celui de Montréal. Mais P.K. nous offre exactement ce que nous espérions obtenir en faisant son acquisition. Il est électrisant sur la patinoire. Il offre à chaque partie un ou des jeux dont les partisans raffolent. Il attire l’attention sur lui et l’équipe sur la glace ce qui est bon pour notre visibilité et il est plus actif encore auprès des partisans avec ses activités hors patinoire », a plaidé Poile.

Éloges teintés d’admiration

« Shea est un joueur dans une classe à part. Il n’y a pas d’autre joueur comme lui dans la LNH. C’est une force sur la glace et hors de la patinoire. C’est le leader parfait. Le gars qui donne le ton, l’exemple », a témoigné son copain et ancien gardien Pekka Rinne.

Les éloges lancés avec passion par le gardien finlandais étaient les mêmes que celles entendues aux quatre coins du vestiaire des Predators après un entraînement suivi avec attention par plus de 500 partisans venus épier leurs favoris. Ces éloges sont habituels lorsqu’un joueur ayant marqué une formation effectue un retour attendu dans son ancienne ville, devant ses anciens partisans, face à ses anciens coéquipiers devenus adversaires.

Le retour de Shea Weber à Nashville

Mais mardi, dans le vestiaire des Predators, ces hommages étaient teintés d’une franchise aux allures d’admiration. Comme si le roi chassé de son trône en juin dernier revenait en prendre possession six mois plus tard.

« Shea a été le premier joueur de concession ici. La première super-vedette de l’équipe », a ajouté Pekka Rinne.

Plusieurs anciens coéquipiers comptaient entrer en contact avec leur ancien capitaine. Le directeur général David Poile souhaitait aussi le faire alors que sa conversation du 29 juin dernier s’était limitée à quelques mots et échanges de politesse d’usage. Le défenseur Roman Josi qui a grandi au rythme des conseils de Shea Weber espérait pouvoir aller souper avec son ancien mentor et partenaire de jeu.

Dans un autre coin du vestiaire, Mike Fisher qui a remplacé Weber comme capitaine convenait que le match de mardi, aussi important soit-il pour les deux équipes, serait également un match très émotif pour Weber. Un match difficile même.

« C’est un grand moment dans la carrière d’un athlète. Mais c’est aussi un moment difficile. Tu es envahi par toutes sortes de sentiments. Toute l’attention sera concentrée sur Shea et je suis convaincu que ça ne fera pas vraiment son affaire tant il est un joueur humble et réservé», a indiqué Fisher qui a vécu ce genre d’émotions le 9 février 2012 à son premier match face aux Sénateurs à Ottawa. Un match que Fisher et les Predators avaient perdu 4-3. «C’était aussi la soirée de Chris Phillips qui disputait son 1000e match en carrière. Je me souviens qu’il avait marqué deux buts dans cette rencontre après laquelle je lui avais reproché de m’avoir volé la vedette », a lancé en riant le capitaine des Predators. Un capitaine qui est loin d’être le genre de gars à vouloir jouer à la vedette. Un capitaine sorti du moule de Shea Weber.

P.K. parlera mardi

Demeuré loin des journalistes lundi, P.K. Subban rencontrera la presse en matinée mardi pendant que ses coéquipiers des Predators effectueront leur entraînement matinal. Bien qu’il brillera par son absence pour le retour de Weber à Nashville, Subban s’entraîne quotidiennement. Il a même chaussé les patins à quelques reprises loin de ses coéquipiers.

« Nous avons décidé de lui offrir une période de deux à trois semaines de repos. Ça nous évitera d’avoir à répondre quotidiennement aux questions reliées à son état de santé. Je suis confiant qu’une fois ce repos complété, il pourra reprendre sa place au sein de la formation », a indiqué le directeur général des Predators.

Si David Poile dit vrai et surtout que le dos de Subban tient bon après cet éventuel retour au jeu, P.K. pourra se reprendre le 2 mars prochain dans le cadre de son premier match au Centre Bell depuis la transaction qui l’a fait passer du Canadien aux Predators.

Et bien honnêtement, c’est ce rendez-vous avec ses anciens partisans bien plus que celui qu’il ratera mardi à Nashville qui représente les vraies retrouvailles de P.K. avec le Canadien.

En espérant qu’il soit remis.