Les athlètes de pointe ont beaucoup de respect les uns pour les autres. Il n’y a pas un endroit au monde où cela est plus évident qu’aux Jeux olympiques. La présence des hockeyeurs professionnels, par exemple, a parfois un impact sur les performances des athlètes qui en bavent un coup durant quatre ans dans l’espoir de bien représenter le pays dans le cadre de la plus vaste réunion sportive de la planète.

ContentId(3.1224431):Plusieurs joueurs de la Ligue nationale ont liivré leurs commentaires sur le dossier des Jeux olympiques
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On remarque au premier coup d’oeil l’interaction qui existe entre amateurs et professionnels quand les meilleurs joueurs de la Ligue nationale débarquent sur le site des Jeux. Leur arrivée crée une certaine commotion parce que ce sont des athlètes de renom, des millionnaires qui, le temps des Olympiques, se souviennent des efforts qu’ils ont eux-mêmes déployés pour se bâtir une carrière. Les « vrais » olympiens pourraient leur en vouloir de les priver d’une certaine visibilité par leur seule présence, mais ils sont plutôt heureux d’avoir la chance de les côtoyer. Je le sais parce que j’en ai été témoin durant quelques olympiades.

Dans la mesure du possible, les pros se font discrets pour éviter de perturber ceux qui n’ont souvent qu’une journée pour s’illustrer. Ils les fréquentent amicalement sans jouer les grosses têtes, car le hockey, disons-le, reste un sport où ses vedettes sont aimables et encore faciles d’approche. Dans le village olympique, il se crée des amitiés. On se prodigue des encouragements et souvent, une grande performance d’un athlète représentera à elle seule une source d’inspiration pour toute la délégation canadienne.

Aux Jeux de Salt Lake City, par exemple, le Canada tentait de remporter sa première médaille d’or au hockey masculin en 50 ans. Équipe Canada, inspirée par son directeur général Wayne Gretzky, ressentait énormément de pression pour mettre fin à cette longue disette. L’horaire des Jeux avait prévu que le hockey féminin se battrait pour la médaille d’or avant les hommes. Quand la formation dirigée par Danièle Sauvageau a remporté l’or, l’équipe masculine était présente dans les gradins pour l’applaudir. Cette victoire a constitué un stimulant incroyable pour les hommes. C’est un peu comme si les femmes leur avaient dit: « À vous de jouer maintenant. »

Le Canada était donc en mission dans le dernier match du tournoi. Il n’avait pas le droit de perdre. Il ne pouvait pas se le permettre. Martin Brodeur, qui tentait de répéter l’exploit de son père, médaillé de bronze aux Jeux olympiques de Cortina d’Ampezzo, en 1956, avait mené l’équipe à la victoire tout en donnant naissance au premier duo père-fils médaillé olympique au hockey. Dans les gradins, les filles savaient qu’elles avaient joué un rôle inspirant dans cet exploit.

C’est ce genre d’évènement que se remémorent probablement les joueurs qui manifestent actuellement leur désapprobation concernant la décision unilatérale qui a été prise de les priver de quelques autres moments du même genre. Carey Price est orgueilleux de ce qu’il a accompli à Sotchi. À cette occasion, il a grandi comme homme et comme athlète. Après avoir limité le reste du monde à trois buts en cinq matchs, grâce notamment à deux jeux blancs, on a commencé à le reconnaître comme le gardien numéro un de la planète hockey.

Âgé de 28 ans, il croyait sans doute pouvoir vivre deux autres olympiades avant la retraite. Un athlète fier de son parcours, Price rêvait d’une seconde et possiblement d’une troisième médaille d’or. Or, ils sont rares les athlètes à détenir trois médailles d’or olympiques. Quand il parle d’une des plus grandes expériences de sa vie à Sotchi, cela nous en dit gros sur la déception qui le frappe comme un direct à l’estomac, pour reprendre son expression. Ne plus pouvoir revivre l’ambiance d’un village olympique pèse lourd dans les sentiments négatifs qui le rongent.

Dans un sens, on peut comprendre la décision des propriétaires à qui une pause de trois semaines dans le calendrier de la ligue est de trop. À cette expérience unique s’ajoute le risque inévitable de blessures à des joueurs indispensables. Cependant, on ne se contera pas d’histoires, ce sont surtout des trucs de négociations visant à faire plier le mouvement olympique. Cette décision est surtout très égoïste. Gary Bettman et sa bande, qui se croient tout permis, tentent de choisir eux-mêmes le moment de leur présence aux Jeux. Si ça ne fait pas en 2018, on ira en Chine en 2022. Bettman témoigne d’une grande naïveté quand il affirme que le CIO lui est redevable pour une participation olympique. La Fédération internationale de hockey sur glace l’assure déjà d’une somme estimée à 20 millions de dollars, mais il en veut davantage. Quand il exprime le désir de pouvoir utiliser les anneaux olympiques à son avantage, il se couvre de ridicule. Personne ne s’est jamais servi des anneaux comme outils de marketing. Les anneaux représentent un logo sacré. Bettman est probablement le seul à ne pas le reconnaître.

Le commissaire a même tenté de négocier avec les joueurs leur présence aux prochains Jeux. En leur demandant de revoir le contrat collectif entre joueurs et propriétaires, Bettman leur a laissé croire que cela influencerait sa décision s’ils acceptaient d’ajouter deux années de plus à cette entente. Autrement dit, si tu veux défendre les couleurs de ton pays, achète ton laissez-passer. Heureusement, ils ne sont pas tombés dans ce traquenard.

Un manque de classe

Comme l’a fait remarquer Ray Lalonde, à l’Antichambre, lundi soir, en affaires, les seuls intervenants qui ont toujours raison sont ceux qui payent. Dans le sport professionnel, c’est toujours le public qui paie. Pas de spectateurs dans les gradins, pas d’achat de produits dérivés, pas de gens pour boire de la bière et manger des hot-dogs à des tarifs qui provoquent l’indigestion et donc, pas de concessions sportives.

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Les propriétaires se sont comportés comme s’ils étaient les seuls à faire les frais du spectacle dans la ligue et comme si le partenariat 50-50 avec les joueurs n’était que de la frime. Ils ont agi avec arrogance en ne tenant pas compte de l’opinion des amateurs qui, aux Olympiques comme ailleurs, ont le droit d’exiger le meilleur spectacle possible parce que c’est eux qui achètent le produit. Ils ont également manqué de respect envers le réseau NBC avec lequel ils ont signé une entente de 10 ans leur rapportant 200 millions par année. En versant au CIO la somme astronomique de 973 millions américains pour obtenir les droits de retransmission des Jeux de Pyeongchang, NBC comptait énormément sur le tournoi de hockey pour hausser ses cotes d’écoute. Appelons cela un manque de classe et de fidélité en affaires.

Je me demande ce qu’en pense Geoff Molson quand il voit son meilleur joueur, Carey Price, et son capitaine, Max Pacioretty, critiquer haut et fort la décision des propriétaires qui les prive de participer à cet autre moment historique dans leur carrière. Molson n’a personnellement rien à craindre, car aucun de ses joueurs ne le menacera d’un ultimatum dans le genre de celui qu’Alexander Ovechkin a servi à son équipe et à l’ensemble de la ligue. Le Russe sera peut-être le seul à passer outre aux règles qui régissent la ligue, ce qui devrait lui valoir une volée de bois vert des amateurs et une perte de respect dans son propre vestiaire.

Chez le Canadien, il serait très étonnant que la situation cause un froid entre les joueurs et le grand patron. J’espère néanmoins que ce dernier prendra le temps, le moment venu, de s’asseoir avec eux afin de leur expliquer clairement et honnêtement son point de vue.

Si la direction de la ligue a manqué de classe envers l’Association des joueurs en la gardant à l’écart de son processus de décision, rien n’empêche le propriétaire du Canadien d’en démontrer avec ses employés. Cela ne fait pas partie de ses priorités actuellement parce que l’équipe, qui se comporte d’une façon étonnante, a déjà la tête aux séries. Cependant, les Price, Pacioretty, Markov, Weber, Radulov, Emelin et Plekanec, qui sont privés de ces Jeux, ont droit à plus de considération de leur employeur que Bettman leur en a donnée.