La Ligue nationale de hockey et Gary Bettman n’avaient pas le choix : après avoir vu la NFL et Roger Goodell patauger au point de se noyer dans « l’affaire » Ray Rice, un affreux dossier de violence conjugale qui a fait autant, sinon plus, mal paraître la Ligue et son commissaire que le demi à l’attaque des Ravens de Baltimore lui-même, Gary Bettman avait annoncé ses couleurs le mois dernier.

« Nous avons un code de conduite par le biais duquel nous demandons à nos joueurs d’être de bons citoyens et nous les tiendrons responsables s’ils transgressent ce code », avait lancé Gary Bettman à des collègues croisés à Toronto alors que la NFL était plongée en pleine tourmente dans le dossier Rice.

Bettman a tenu parole lundi matin.

Avant même que la police et/ou les journaux à potins de Los Angeles ne lèvent le voile sur l’affaire, la LNH a annoncé qu’elle venait de suspendre pour une période indéterminée le défenseur étoile Slava Voynov des Kings de Los Angeles pour son implication alléguée dans une affaire de violence conjugale.

Cette décision respecte la menace qui était dans les faits une promesse du commissaire Bettman. Cette décision respecte aussi l’article 18-A-5 de la convention collective. Un article par le biais duquel la Ligue s’est assurée de pouvoir prendre les mesures disciplinaires jugées appropriées dès la mise au jour d’un acte répréhensible reproché à l’un de ses joueurs.

Qu’est-ce qu’on sait de l’affaire Voynov?

Pas grand-chose encore.

Le réseau TMZ (Thirty-Mile Zone), créé en 2005, se spécialise dans la mise au jour d’affaire de mœurs des vedettes d’Hollywood. Il a acquis ses lettres de noblesse en obtenant des primeurs sur plusieurs arrestations de vedettes du cinéma et de la musique, mais surtout pour avoir lancé la nouvelle du décès de Michael Jackson. TMZ soutient que Voynov aurait été impliqué dans une altercation avec une femme qui s’est retrouvée à l’hôpital à cause de blessures sérieuses. Appréhendé par les policiers, Voynov devra répondre à des accusations de violence conjugale.

Selon les dispositions de la convention collective liant la LNH à ses joueurs, Gary Bettman peut imposer une suspension d’une durée indéterminée dès la mise au jour de l’affaire. Peu importe si l’implication du joueur en question ou même son niveau d’implication est démontré ou non.

D’ici à ce que l’enquête ne permette d’en savoir plus long sur ce que le défenseur des Kings a fait, n’a pas fait, aurait dû faire ou ne devrait pas faire dans cette histoire, il est donc sous le coup d’une suspension.

Il reçoit son plein salaire. C’est vrai.

Mais en même temps, cette suspension balaie du revers de la main la présomption d’innocence dont tout citoyen, qu’il soit joueur de hockey professionnel, journaliste ou journalier, bénéficie entre le moment où il est appréhendé et celui où il reconnaît sa culpabilité ou est trouvé coupable par un juge ou un jury.

Malhotra prudent, mais d’accord

Pourquoi balayer ainsi la présomption d’innocence?

Parce que les athlètes professionnels ne font pas un travail comme les autres. Parce qu’ils ne sont pas des citoyens comme les autres.

« Il faut reconnaître que nous avons un statut particulier dans la société », a convenu le vétéran Manny Malhotra, croisé dans le vestiaire du Canadien au Centre Bell après l’entraînement lundi matin.

Ce statut particulier assure les athlètes professionnels de revenus mirobolants. Il les place aussi sous le microscope alors que leurs faits et gestes, pas seulement sur la glace, sur le terrain ou les courts, mais aussi sur la place publique, sont étroitement surveillés, voire épiés.

La suspension imposée illico à Voynov lundi matin est-elle justifiée? Plus encore : est-elle juste? Les prochaines heures, prochains jours, prochaines semaines le détermineront.

D’ici là, par souci de respecter l’image de son circuit et des autres joueurs endossant les chandails des Kings et des 29 autres formations, il faut être d’accord avec Gary Bettman et la position de la Ligue nationale de hockey.

Plongé dans le noir, comme tout le monde, en ce qui a trait aux faits reprochés au défenseur des Kings, Manny Malhotra tenait à être prudent ce matin dans les réponses à mes questions et celles de mes collègues. Après avoir écouté ma première question posée en français, une question qu’il a très bien comprise, Malhotra a demandé de répondre en anglais pour s’assurer que les mots choisis soient non seulement les bons, mais qu’ils minimisent les risques qu’ils soient mal interprétés.

« C’est un sujet délicat, mais c’est aussi un sujet sérieux. Je crois qu’il est plus important d’aller au-devant des coups dans un dossier comme celui-ci et les autres qui ont marqué le sport professionnel que de se demander ce qu’on aurait dû faire de plus après coup », a convenu Malhotra.

À sa sortie du point de presse qu’il venait de conclure, l’entraîneur-chef Michel Therrien abondait dans le même sens.

« On ne sait pas encore ce qui est arrivé. À mes yeux, tant que les informations ne sont pas toutes connues et analysées, il vaut mieux prendre une telle mesure pour préserver l’image de la Ligue et pour éviter que cette histoire prenne le dessus sur tout le reste. Je me range du côté de la prudence dans ce genre de situation », a indiqué l’entraîneur-chef du Canadien.

Mais si une telle prudence devait priver le Canadien et l’entraîneur-chef qu’il est d’un joueur important pour une, trois, cinq, voire dix parties avant que l’on réalise que le joueur n’avait rien à se reprocher, Michel Therrien endosserait-il autant la décision rendue?

« Je n’ai jamais vécu une expérience du genre et j’espère ne jamais avoir à en vivre une. Ce n’est pas évident pour personne, mais nous demandons à nos joueurs de respecter de très hauts standards de conduite sur la patinoire et à l’extérieur », a ajouté l’entraîneur-chef du Canadien.

Rice et Varlamov

L’intervention rapide et musclée de la LNH dès lundi matin tranche avec la valse-hésitation de la NFL dans le dossier Ray Rice.

Porteur de ballon des Ravens de Baltimore, Rice est actuellement sous le coup d’une suspension illimitée. Sa suspension initiale de deux rencontres imposée l’été dernier a soulevé l’indignation générale lorsqu’une bande vidéo a dévoilé les détails de son attaque aux dépens de sa fiancée d’alors devenue son épouse ensuite.

Sur cette bande vidéo captée par les caméras de sécurité du casino d’Atlantic City où le couple s’était rendu en février dernier, on peut voir Rice asséner un violent coup de poing au visage de sa compagne qui s’est retrouvée K.-O. sur le plancher de l’ascenseur avant d’être sortie par son agresseur une fois les portes ouvertes.

La NFL et son commissaire Roger Goodell ont toujours nié avoir eu en main cette bande vidéo au moment de la sanction initiale. Lapidés, avec raison, de critiques sur la place publique, Goodell et la NFL ont ensuite imposé une suspension indéterminée à Rice. Les Ravens, qui l’avaient défendu bec et ongles jusque-là, ont alors changé leur fusil d’épaule en mettant un terme au contrat le liant à leur joueur vedette.

La NFL a plusieurs fois été écorchée par des sanctions timides, voire des absolutions complètes, imposées à des joueurs impliqués dans des histoires de violence conjugale et autres affaires criminelles.

Cela dit, avant de réagir de façon claire et justifiée comme elle l’a fait lundi, la Ligue nationale a aussi affiché une attitude de non-intervention.

Pas plus tard que la saison dernière, le commissaire Bettman a refusé d’imposer quelque mesure disciplinaire que ce soit à l’endroit du gardien Semyon Varlomov de l’Avalanche du Colorado.

Frappée par des allégations de violence conjugale à l’endroit de son épouse, Varlamov n’a pas raté le moindre match. Il avait reçu un appui indéfectible de son entraîneur-chef Patrick Roy qui, à l’époque où il défendait la cage de l’Avalanche, avait lui aussi été aux prises avec les contrecoups d’une histoire semblable, bien que beaucoup moins sérieuse comme l’avait démontré l’enquête.

Ni Roy à l’époque, pas plus que Varlamov l’hiver dernier, n’ont finalement eu de démêlés avec la justice.

Peut-être que le dossier Voynov suivra le même parcours. Qui sait?

Mais si la LNH comme les autres circuits professionnels ont erré dans le passé en protégeant des athlètes plutôt qu’en affichant une prudence élémentaire et un respect de l’image de leur ligue sur la place publique, on ne peut qu’applaudir le changement de position, pas seulement théorique, mais aussi pratique, adopté par Gary Bettman dans le dossier Voynov.

Et si le merdier associé à l’affaire Ray Rice est en tout ou en partie responsable de ce changement de philosophie de la LNH, un changement qui pourrait dicter dorénavant la conduite des autres circuits professionnels, on pourra pour une fois tirer quelque chose de bien d’un acte hautement répréhensible que représente la violence conjugale. Un acte qui ne fait que mettre en lumière la lâcheté de ceux qui les commettent et du manque de courage de ceux qui les protègent.

Et si Voynov n’a rien fait? Si l’enquête l’absout de tout acte répréhensible?

Il retrouvera vite sa place dans le vestiaire des Kings et sa place dans le cœur des partisans des champions de la coupe Stanley. Comme il touche son plein salaire, il n’aura pas encaissé de pertes financières.

Pourrait-on alors remettre en cause la sanction initiale de la Ligue?

Certains le feront sans doute. Mais on ne peut que souhaiter que la LNH maintienne alors sa position. Car, comme l’a souligné avec justesse Manny Malhotra lundi matin, il est parfois préférable d’avoir réagi avec un brin ou deux trop de célérité dans certains dossiers, que de réaliser après coup qu’on aurait dû le faire.

« À deux maux, on choisit le moindre », soutient le proverbe. Cela justifie amplement alors le fait de suspendre, avec salaire, un athlète professionnel adulé par ses fans avant de voir plus clair, que de réaliser trop tard qu’on aurait dû le faire.