Quand on analyse la performance d’une équipe gagnante de la coupe Stanley, on se demande invariablement si le Canadien aurait possédé les atouts qui lui auraient permis de se livrer à une guerre de tranchées aussi exigeante. S’il aurait pu faire mieux que les Penguins de Pittsburgh ou les tenaces Predators de Nashville, qui auraient mérité un meilleur sort après avoir été privés du but qui aurait pu leur permettre de profiter d’une autre chance de gagner la coupe, à Pittsburgh.

On n’ose même pas se poser sérieusement la question. La Canadien n’a pas de Crosby et de Malkin. Sa défense ne se rapproche même pas de celle de l’équipe perdante, même si Marc Bergevin n’arrête jamais de remplumer la sienne. On y reviendra un autre jour.

Les Predators avaient aussi perdu une partie qu’ils auraient dû gagner en lever de rideau de la finale quand P.K. Subban avait été privé d’un but qui semblait bon. Aller plus loin dans l’évaluation de leurs malchances serait atténuer le crédit qui revient aux Penguins. Certes, c’est un but chanceux qui leur a assuré la coupe, mais il faut reconnaître qu’ils ont disputé un match colossal dimanche soir. Chaque fois que l’équipe s’est retrouvée en infériorité numérique, dont un double désavantage, les joueurs des Predators n’ont pu trouver le moindre espace pour menacer sérieusement le gardien Matt Murray.

Pour cette seconde conquête en autant de printemps, les Penguins ont fait les choses différemment. Ils ont gagné en utilisant brillamment deux gardiens de but, un fait plutôt rare. L’histoire nous rappelle que la coupe se gagne très souvent avec un gardien vedette qui dispute tous les matchs. À Montréal, on a vécu cela avec Ken Dryden et Patrick Roy, dont les performances exceptionnelles ne laissaient pas la moindre chance à leurs adjoints de prendre place entre les poteaux.

Murray a fait encore mieux que Dryden, une recrue qui avait remporté sa première coupe après une expérience de six parties dans la ligue. Murray l’a gagnée deux fois dans un rôle de recrue pour répéter l’exploit de Jacques Plante, le seul autre gardien à en avoir fait autant dans les 100 ans du circuit. En 1953, Plante avait disputé les deux premiers matchs de la finale avant que le gardien attitré, Gerry McNeil, reprenne sa place. Gardien avec les Royals de Montréal, Plante n’avait disputé que trois matchs avec le Canadien en saison régulière. Le printemps suivant, il était revenu à Montréal pour disputer les 17 dernières rencontres de la saison et pour commencer la finale entre les poteaux. Si Murray a remporté la coupe aux deux occasions, Plante s’est satisfait d’un trophée sur deux.

Ce cinquième choix au repêchage des Penguins, il y a cinq ans, un peu frêle avec ses 6 pieds, 4 pouces et ses 178 livres, n’a rien d’un feu de paille. Si les succès de Murray au cours des dix ou 12 prochaines années se rapprochent de la moitié des réalisations de Plante, gagnant de sept trophées Vézina, les Penguins en auront pour longtemps à menacer toute la ligue d’une participation à la finale.

Ils viennent d’accomplir un exploit qui défie toute logique. On croit généralement que pour remporter la coupe, il est obligatoire de pouvoir compter sur des généraux à la ligue bleue. Des défenseurs dans le genre de Lidstrom, Doughty, Karlsson, Keith, Letang, Subban et, plus près de nous, Markov et Weber. Du talent à ce niveau, les Predators en possèdent en abondance, mais ce sont les Penguins, avec six défenseurs qui n’ont jamais reçu un vote pour le trophée Norris, qui ont eu le dernier mot.

Gagnants du Lotto Max

Tout cela en grande partie parce qu’ils ont gagné au Lotto Max le jour où un tirage au sort leur a valu de repartir de la séance de repêchage avec Sidney Crosby. Un cadeau de la Providence. Non seulement il n’y aurait pas eu de coupes Stanley à Pittsburgh sans lui, mais les Penguins n’existeraient plus. L’équipe perdait des millions de dollars chaque année et Mario Lemieux était incapable de convaincre la ville et le gouvernement de la Pennsylvanie de débloquer les budgets permettant de construire un nouvel amphithéâtre. Le bail des Penguins se terminait en 2007 et Lemieux avait commencé à visiter des marchés susceptibles d’accueillir l’équipe.

ContentId(3.1235158):LNH : une 2e conquête consécutive encore plus satisfaisante pour les Penguins
bellmedia_rds.AxisVideo

Crosby est arrivé deux ans avant ce départ anticipé. Quand les politiciens ont constaté que les Penguins venaient de mettre la main sur un joyau possédant tous les attributs pour devenir le prochain Gretzky, ils ont compris que la ville de l’acier ne pouvait se priver d’une telle visibilité. Lemieux ne s’est plus jamais inquiété de la suite des choses.

Avec le temps, les Penguins ont ajouté des éléments dont ils ont su développer le talent. Ils ont acquis des joueurs par le biais de l’autonomie et des transactions qui ont solidifié la concession avant d’en faire une puissance. Leur plus récente trouvaille, Jake Guentzel, qui a établi un record de cinq buts gagnants en séries, n’a que 22 ans.

Quand Jim Rutherford a été appelé à succéder à Ray Shero il y a trois ans, on a cru que l’organisation faisait un pas en arrière en retenant les services d’un homme de hockey de 68 ans qui venait d’abandonner son poste de directeur général en Caroline pour écouler sa fin de carrière à titre de conseiller spécial. Contre toute attente, le téléphone a sonné. C’est lui que Pittsburgh avait choisi pour assurer la continuité d’une formation qui venait de connaître une saison de 109 points. De toute évidence, ce vieux renard ne s’est pas satisfait de leurs succès. On l’a vu effectuer des changements, dont certains n’annonçaient rien de bon à première vue.

L’un de ceux-là a sûrement été l’acquisition d’un joueur controversé qui semblait incapable de se faire des amis partout où il passait, Phil Kessel. Rutherford l’a obtenu dans le cadre d’une transaction compliquée impliquant neuf joueurs, dont le premier choix des Penguins. Par la suite, il a ajouté Nick Bonino, Matt Cullen, Carl Hagelin, Trevor Daly et Patric Hornqvist à son personnel.

On s’est demandé s’il n’était pas imprudent d’échanger un marqueur naturel auteur d’une saison de 40 buts, James Neal, en retour de Hornqvist, bon marqueur lui aussi, mais dont la force de caractère et l’esprit d’équipe étaient des atouts que le nouveau directeur général recherchait.

Le repêchage de 2005 aura finalement produit deux joueurs qui ont fait la différence dans la coupe de 2017. Cette année-là, Crosby a été le tout premier choix de la ligue et Hornqvist le tout dernier: 230e choix sur 230… par les Predators de Nashville s’il vous plaît. Dimanche, le hasard a voulu qu’il casse le party et sème la tristesse dans la ville qui lui avait accordé sa chance en inscrivant le but gagnant pendant que les dernières secondes s’égrenaient au cadran.

Habituellement, les patins du dernier joueur réclamé au repêchage ne touchent pas les patinoires de la Ligue nationale. Or, Hornqvist revendique déjà deux coupes Stanley.

C’était une occasion unique

Les enfants hospitalisés de Montréal ne pourront pas toucher à la coupe Stanley. Il n’y aura pas de party à Bromont où le drapeau des Predators flottait devant l’hôtel de ville. Ainsi va la vie.

« Nous serons de retour l'an prochain »

P.K. Subban a promis que son équipe sera de retour en finale l’an prochain. Ils disent tous cela quand ils passent à un cheveu de gagner la coupe. Rien n’est moins sûr, cependant. Durant les années 2000, une seule organisation est revenue en finale après avoir perdu la saison précédente: Pittsburgh.

C’est tellement difficile de gagner dans le contexte de la parité d’aujourd’hui. C’est la première fois qu’une équipe gagne deux années de suite depuis la création du plafond salarial. C’est très onéreux de gagner une coupe. Parlez-en aux Blackhawks de Chicago qui y ont laissé plusieurs joueurs à la suite de leurs trois championnats. C’est impossible de satisfaire tous les joueurs qui tentent de monnayer pareil exploit. Les Penguins ont été l’une des rares formations à ne perdre aucun joueur important l’an dernier. Ce ne sera pas le cas cette année. Déjà, l’un des très bons gardiens de la ligue, Marc-André Fleury, est assuré de partir.

La défaite est cruelle pour les Predators. Quel spectacle totalement imprévu ils ont offert! Se vider de toute énergie pendant 22 parties et perdre sur la bévue d’un arbitre est un coup de matraque dont ils ne sont pas près de se remettre.

On leur souhaite de revenir. C’est une organisation solidement bâtie et habilement dirigée. Cette équipe enthousiaste, qui a beaucoup de couleur, a démontré à l’ensemble de la ligue comment créer une ambiance à l’occasion du spectacle le plus important de la saison.

On a tous le goût de visiter Nashville tellement ces gens-là ont du plaisir. Par leurs exploits répétés et par leur incroyable démonstration de talent et de résilience au cours des deux derniers mois, les Predators n’ont pas fait que vendre le hockey dans ce coin de pays. Ils ont mis en lumière les charmes de la ville qu’ils représentent. On ne dit pas cela souvent d’une organisation perdante.

Les jeunes Predators nous ont conquis; on a déjà hâte de les revoir. Dans le cas des Penguins, ça ne semble pas faire de doute.