Denis a fait les choses à sa manière
M18 AAA jeudi, 23 août 2018. 12:36 mardi, 10 déc. 2024. 20:53Denis Baillairgé est entré dans ma vie il y a exactement 39 ans. Il s’est présenté au Journal de Montréal en compagnie d’un citoyen de la ville de Blainville pour me proposer l’organisation d’un tournoi de golf qui porterait mon nom et dont tous les profits seraient versés aux jeunes de cette ville.
J’ai été flatté de la proposition, mais ayant déjà beaucoup de boulot, je ne croyais pas pouvoir mener à bien un événement comme celui-là. Ils ont insisté. La personne qui accompagnait Denis était remplie de bonnes intentions, mais il m’est apparu assez évident qu’elle n’avait jamais tenu un bois 1 de sa vie dans ses mains. Denis, par contre, un amant du golf, me semblait énergique, débrouillard et déjà très organisé pour un jeune de 22 ans.
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J’ai accepté de prêter mon nom à l’évènement à une seule condition: Denis devait être le maître-d’oeuvre de l’organisation. Lui et personne d’autre. En assistant à quelques réunions du comité organisateur, j’ai tôt fait de constater que c’était lui le boss autour de la table. Ce tournoi a été une réussite durant quelques années, mais plus important encore, il a fait de lui mon ami pour la vie.
Sa fin d’existence a été à l’image de ce qu’il a toujours été: un gars sûr de lui, un bagarreur dans le bon sens du terme, un gars qui a toujours fait les choses à sa manière. Quand, à bout de souffle et victime d’une toux persistante qui grugeait ses énergies, il s’est finalement résigné à consulter un médecin, il a appris d’une manière vicieusement brutale qu’il lui restait un mois à vivre.
«Il aurait été préférable pour toi d’avoir le cancer, lui a dit un vieux toubib sans manière. Un cancer, ça se soigne. Ta maladie à toi ne se soigne pas.»
Il a été si choqué de ce verdict sans appel qu’il a choisi de se battre. La fibrose pulmonaire adopathique dont il était atteint ne lui laissait pas beaucoup d’espoir, il le savait, mais il a toujours laissé croire à ses amis que les choses se passaient bien. La guérison serait lente, selon lui, mais chaque fois qu’on lui donnait un coup de fil ou qu’on lui payait une visite, il affirmait qu’il y avait des progrès alors qu’il n’y en avait pas. À ses côtés, Lyne jouait le jeu en étant courageusement de bonne humeur dans les circonstances. Elle souriait constamment en veillant sur lui comme l’épouse attentionnée qu’elle a toujours été.
Un heureux hasard a voulu que je les présente l’un à l’autre il y a une trentaine d’années. Elle était à l’emploi des Canadiens de Sherbrooke, filiale du Canadien dans la Ligue américaine. Il était déjà très impliqué dans le hockey midget. Quand j’ai appris que Denis sautait dans son véhicule pour aller luncher avec elle à Sherbrooke, j’ai compris que mon chum avait trouvé l’âme soeur. Leur attachement au hockey les a soudés.
Il devait vivre un mois. Il a fait deux ans de plus. Deux ans au cours desquels sa bonbonne d’oxygène est devenue une inséparable compagne. Deux ans au cours desquels il a continué de diriger les destinées de la Ligue midget AAA et de remplir son rôle de vice-président de la ligue de baseball junior élite du Québec en transmettant ses directives par téléphone ou via internet. Au début de sa maladie, je l’avais presque insulté en lui demandant s’il songeait à déposer le gouvernail de la ligue dans d’autres mains.
«Ça jamais, avait-il répliqué. Pas question que j’abandonne mon poste. Je me comporte avec la ligue comme s’il s’agissait de mon corps. Chaque jour, je me fixe des objectifs.»
La vie a parfois de ces injustices. Il y a trois ou quatre ans, il avait annoncé sa retraite pour pouvoir enfin se consacrer totalement à son bébé, la Ligue midget AAA, ce qu’il avait fait jusque-là en partageant son temps entre ses responsabilités dans le hockey et ses occupations à la ville de Laval. Peu de temps après, il a commencé à avoir des problèmes de santé. La maladie est l’unique pépin qu’il n’avait pas prévu. Ses poumons déjà très attaqués ont été sans pardon.
Il a fait la guerre à la maladie aussi longtemps qu’il l’a pu. Lundi soir, totalement épuisé, il a demandé à ce qu’on le laisse partir. Lyne a compris que le moment qu’ils appréhendaient depuis longtemps était arrivé. Il a attendu que son fils Marc-André arrive à son chevet avant de fermer les yeux. Cet être combatif, qui avait toujours fait les choses à sa manière, a même décidé du moment de son départ. Il est allé à l’ultime limite de ses ressources physiques. Quand il a rendu l’âme, il lui restait l’efficacité d’un huitième d’un poumon.
Le milieu du hockey québécois n’aura jamais connu un serviteur aussi énergiquement fidèle. Un dirigeant aux idées innovatrices qui vont continuer de faire leur chemin longtemps après son départ.
Mardi, à l’occasion de la réception qui a suivi le tournoi de golf du Panthéon des sports du Québec, le président de l’organisme, Jacques Baril, a souligné son départ aux convives en relevant ses précieuses réalisations, ce qui a valu au défunt de recevoir une ovation qu’il aurait méritée d’entendre. Comme il aurait bien mérité d’être là le jour où le Panthéon des sports du Québec lui fera une place parmi ses intronisés. Ce panthéon existe justement pour reconnaître la contribution sportive des gens dans son genre.