Passer au contenu principal

« On est là. On existe » : le Liban « sur la mappe hockey »

La coupe Arabe 2023 La coupe Arabe 2023 - Fédération libanaise de hockey
Publié
Mise à jour

MONTRÉAL – Où est le trophée? On se l'est fait voler?

Au beau milieu des célébrations sur la patinoire du Kuwait Winter Games Club, Karl El-Mir a d'abord cru à ce scénario. La Coupe Arabe, que ses coéquipiers du Liban et lui venaient pourtant à peine de soulever à bout de bras, avait soudainement disparu.

« Ça nous a pris cinq minutes avant de la retrouver. »

Où? Dans les mains d'un fier partisan libanais qui avait emprunté la joaillerie, le temps d'immortaliser le moment en photos avec d'autres membres de sa famille venus festoyer sur la glace avec les champions.

« On n'a jamais vu des fans aussi fiers qu'on ait gagné, excuse El-Mir, un hockeyeur de 27 ans natif de Greenfield Park. C'était probablement la première game de hockey qu'ils voyaient de leur vie. Ils voulaient juste voir leur pays gagner. »

C'était le 13 mai dernier. Forte d'une victoire de 9-4 signée en finale face au pays hôte du tournoi, le Koweït, la sélection libanaise a remporté le premier titre de sa jeune existence. Depuis, le mot s'est passé. Des modestes estrades de l'aréna koweïtien, la jubilation a rapidement fait écho au pays du cèdre.

« On a la télévision libanaise ici à la maison et ça fait deux semaines qu'on passe à la télé. Ça n'arrête pas », s'émerveille toujours El-Mir. « Je reçois encore des textos de mes tantes et d'amis au Liban qui viennent juste d'en entendre parler. »

« C'est ce qu'on voulait : faire du bruit », renchérit son père, Charles El-Mir, président de la Fédération libanaise de hockey. « On voulait capter l'attention pour que le Liban, et surtout le gouvernement, réalisent qu'on est là. Qu'on existe. »

La Coupe Arabe, soulevée par les joueurs du Liban.

À 100 % libanais

La Fédération libanaise de hockey a vu le jour en 2018 à Montréal, ville autour de laquelle gravitaient et gravitent encore la majorité de ses joueurs. Après avoir obtenu l'aval du Ministère des sports libanais au cours de la même année, l'organisation a ensuite intégré la Fédération internationale de hockey sur glace (FIHG) en 2019 à titre de « membre associé ».

Ce statut ne permet pas au Liban de participer aux différents Championnats mondiaux organisés par la FIHG. Seuls les 60 membres à part entière, dont fait notamment partie le Canada, peuvent y prendre part. Pour joindre ce groupe, le Liban doit d'abord se doter d'un aréna respectant les critères imposés par la FIHG et ensuite y tenir un Championnat national opposant au moins quatre clubs.

« On n'a pas d'aréna au Liban, se désole Charles El-Mir. On essaie, mais la situation économique et politique est très mauvaise. Il y a de la corruption et on est même dans une situation de faillite. »

Sans président depuis des mois et dirigé par un gouvernement démissionnaire, le Liban est en effet empêtré à l'heure actuelle dans une crise à la fois politique, économique et sociale qui a plongé plus de 80 % de la population dans la pauvreté.

La construction d'un aréna, donc, est loin d'être une priorité. Charles El-Mir garde néanmoins espoir, revigoré par le récent sacre des siens à la Coupe Arabe, un tournoi indépendant auquel participaient également Oman, l'Algérie, le Bahreïn, la Tunisie, l'Égypte et l'Arabie saoudite.

« On a une étude de faisabilité et on a même un partenaire qui nous donne le terrain au Liban, révèle-t-il. On est prêt pour bâtir le premier aréna selon les normes de la FIHG au Liban. Donc c'était très important pour nous qu'on réussisse, qu'on gagne. »

Et c'est ce qu'ils ont fait. Avec des joueurs de descendance libanaise seulement, soulignent-ils fièrement. C'est qu'avant le début du tournoi, les nations y participant se sont entendues sur un règlement permettant à chacune d'entre elles de faire appel à un maximum de cinq joueurs étrangers.

Si certaines équipes ont attiré quelques professionnels évoluant entre autres dans des ligues mineures russes, le Liban s'est quant à lui fait un devoir de n'enrôler que des joueurs issus de sa diaspora. Des 20 joueurs sélectionnés, quatre sont établis aux États-Unis, un en France et 15 au Canada, dont six au Québec.

Antoine Waked, un attaquant originaire de Saint-Bruno-de-Montarville élu joueur par excellence du tournoi, était le plus connu du groupe. Après avoir évolué pendant quatre saisons chez les Huskies de Rouyn-Noranda dans la LHJMQ, il a joué 122 matchs avec le Rocket de Laval entre 2017 et 2020. Son frère Gabriel, gardien par excellence de la compétition, a pour sa part fait quelques présences dans le demi-cercle de l'Armada de Blainville-Boisbriand. Karl El-Mir, un vétéran de la sélection, a quant à lui défendu les couleurs des Huskies de l'Université du Connecticut dans la NCAA avant de jouer dans la ECHL, notamment six matchs avec les Lions de Trois-Rivières cette saison.

Karl El-Mir, Gabriel Waked et Antoine Waked

« On voulait prouver qu'avec juste du sang libanais, on était capables de gagner quelque chose, lance Karl El-Mir. Le tournoi au Koweït, c'était vraiment pour nous l'occasion de lancer un message. »

En ronde préliminaire, l'énoncé n'aurait pu être plus clair. 7-1, 7-0, 15-5... l'Arabie saoudite, l'Égypte et Oman n'étaient pas de taille. Tout comme le Bahreïn d'ailleurs, qui s'est incliné 8-1 devant le Liban en demi-finale.

« C'est sûr que dans des tournois comme ça qui réunissent des pays arabes, il y a des programmes qui sont plus avancés que d'autres, reconnaît El-Mir. Nous, on est tous basés à Montréal, au Canada ou aux États-Unis et on joue tous depuis qu'on est tout petit. »

« La différence, c'est qu'on avait quatre bonnes lignes, ajoute-t-il. On pouvait rouler à quatre trios pendant que les autres équipes c'était une ou deux bonnes lignes. Quand arrivait le milieu de la deuxième période ou le début de la troisième, tu voyais qu'ils avaient un p'tit peu plus de difficultés à nous suivre. »

Cette profondeur s'est avérée particulièrement salvatrice en finale contre le Koweït. Tirant de l'arrière 4-3 en milieu de deuxième période, le Liban a alors ouvert la machine et inscrit six buts sans réplique.

« [Les joueurs] savaient qu'il fallait la médaille d'or pour mettre le Liban sur la mappe hockey », observe Charles El-Mir.

« On sort de là champion et on peut dire que nous autres, on n'avait pas besoin d'autant de renforts pour gagner le tournoi », signale Gabriel Waked, encore ébahi par le support offert sur place par de bruyants supporters.

« Ils ont fait ça pour nous, et nous on a gagné pour le Liban au complet. »

« Il était temps que tu le dises! »

Depuis ce triomphe, Karl El-Mir reçoit régulièrement des vidéos. De l'Europe, des États-Unis, du Canada et même du Liban. De jeunes joueurs aux origines libanaises lui acheminent des images d'eux s'exerçant à lancer des rondelles et lui demandant conseil.

« J'ai aussi des petits cousins au Liban qui me disent : "OK Karl, on n'a pas d'aréna ici, mais quand je vais te visiter durant l'été, est-ce qu'on peut aller patiner?" Ils veulent tous commencer. Ils ont découvert un nouveau sport là-bas et ils sont fiers. »

Des compatriotes insoupçonnés lui ont aussi fait signe dans sa messagerie.

« Après avoir publié des choses sur notre championnat sur Instagram, il y a une couple de gars avec qui j'ai joué pro qui m'ont écrit pour me dire : "Je ne te l'ai jamais dit, mais ma mère est libanaise. Est-ce que j'ai le droit de jouer dans l'équipe?". Il était temps que tu le dises! »

Karl El-Mir

La relève, donc, est là. Selon les estimations de Charles El-Mir, la Fédération compte environ 140 joueurs masculins inscrits et une quarantaine de joueuses dans son volet féminin. L'organisation projette par ailleurs de former sous peu une équipe U16 composée de joueurs du Québec et de l'Ontario.

« On a tellement de demandes, se réjouit le dirigeant. Ils viennent à nous. Avant, c'était nous qui les cherchions. On devait les contacter, les ramasser. »

La construction d'un aréna sur le territoire libanais gonflerait sans doute les rangs. D'ici à ce que l'ambitieux projet se concrétise, les membres de la sélection 2023 n'attendent que le prochain tournoi. La prochaine occasion de jouer pour les générations futures.

« En ce moment, on est en bas de l'échelle et il faut vraiment montrer que le Liban est capable de jouer au hockey, prêche Gabriel Waked. On l'a démontré pour la première fois. Là, ça peut juste aller vers le haut maintenant. »

« Je vais jouer pour le Liban jusqu'à temps que je ne sois plus capable de faire l'équipe », jure quant à lui El-Mir. Une fois tassé par la relève, il trouvera bien une autre façon de contribuer au sein de la Fédération, promet-il.

« On pourra tout le temps dire qu'on est la première équipe à avoir gagné un tournoi. »