Les Sabres de Buffalo, l'autre équipe avec laquelle j'ai évolué dans la Ligue nationale, connaissent une excellente saison. Les Sabres ont bâti leur formation avec des jeunes de l'organisation, mais la comparaison avec le Canadien des années '70 s'arrête là.

Aujourd'hui, le concept est complètement différent. Aujourd'hui, les joueurs sont repêchés à 18 ans alors que nous, c'était à 20 ans. Le sentiment d'appartenance est beaucoup moins présent et l'explosion des salaires à partir des années '90 de même que l'arrivée des Européens ont complètement changé le hockey. Aujourd'hui, dans une équipe, il n'y a plus d'esprit de famille comme on en avait dans le temps.

Avec le Canadien des années '70, il y avait les Français et les Anglais. Aujourd'hui, on compte six ou sept nationalités dans une même formation, c'est très différent. Les équipes doivent aussi composer avec un plafond salarial. Le hockey, comme les autres sports, a complètement changé à partir des années '90.

L'explosion des salaires a commencé lorsqu'on a publié les salaires des joueurs dans les journaux, pas seulement au hockey mais aussi dans les autres sports comme le baseball. Les journalistes ne connaissaient pas nos salaires avant cela. Même entre joueurs, nous ne savions pas exactement combien les autres gagnaient, même si nous avions une très bonne idée.

Mais dans le vestiaire, nous ne parlions pas d'argent. Nous voulions gagner et nous détestions perdre. C'est sûr que le Canadien gagnait alors l'ambiance était incroyable. Nous avions des agents, mais ils étaient beaucoup plus modérés et pensaient aussi en fonction de l'équipe. Aujourd'hui, ce sont eux qui ont le gros bout du bâton, le joueur n'a pas souvent son mot à dire et l'agent prend les décisions finales.

Je pense à un gars comme Ryan Smyth qui a pleuré lorsqu'il a été échangé la semaine dernière. Ça faisait 12 ans qu'il était à Edmonton et pour une différence de 200 000 ou 300 000 $, il n'y est plus. Je ne pense pas que ce soit le joueur qui ait décidé, mais son agent. Que voulez-vous, ce sont les affaires aujourd'hui. Le joueur peut quand même donner ses directives s'il veut demeurer dans une ville même si le salaire offert est un peu moins élevé. Il faut aussi comprendre les équipes qui ont des contraintes.

Pour les trois derniers contrats de ma carrière, j'avais un agent, Normand Caplan, qui est malheureusement décédé à l'âge de 42 ans. Il travaillait tellement fort et il avait décidé de prendre des vacances, lui qui en avait grandement besoin. Et il est décédé en arrivant à l'aéroport à Paris. Il n'était plus mon agent à ce moment-là puisque j'avais pris ma retraite.

Après ma retraite, en 1984, les agents commençaient à être omniprésents. Même avec des agents, les joueurs avaient davantage leur mot à dire dans les négociations il y a 30 ans. Dans mon cas, j'avais une bonne collaboration avec le mien. Nous étions fiers, en tant que Canadien-français, de jouer à Montréal et on voulait y rester. L'argent passait après.

Actuellement, ce n'est plus le cas. Les parents s'impliquent plus. Ils parlent plus. Les gérants et les agents aussi. Dans mon temps, mon père ne m'a rien dit d'autre que « bonne chance ». Mon agent négociait et j'acceptais le contrat. Pour le reste, je jouais au hockey.

Mon premier contrat en était un des ligues mineures et mon agent me l'avait négocié. Je n'ai pas conservé longtemps les services de mon premier agent et j'ai engagé Normand Caplan par la suite. M. Caplan représentait plusieurs joueurs chez le Canadien. C'est sûr que des gars comme Serge Savard ou Ken Dryden devaient probablement négocier leur contrat eux-mêmes. Peut-être Jacques Lemaire au début. Quant à Guy Lafleur, il a toujours eu un agent.

Aujourd'hui, un agent a toute une équipe autour de lui. Il a son propre comptable, il a son fiscaliste et même un psychologue. Quand je jouais, c'était des salaires de 50 000, 100 000 $, mais actuellement, ce sont des millions. C'est très différent.

Masse salariale de 82 millions $

Un journaliste a fait une petite recherche il y a un an ou deux sur ce que vaudrait une équipe comme le Canadien des années '70 de nos jours.

C'est ma conjointe qui m'avait réveillé avec ça un matin. Elle m'avait demandé si je savais comment je gagnerais si je jouais aujourd'hui. Si ma mémoire est bonne, pour toute l'équipe du Canadien, le journaliste avait calculé que la masse salariale tournerait autour de 82 millions $ avec le talent qu'on avait à ce moment-là. Et je pense qu'il était conservateur. C'est sûr que le hockey d'alors était différent de celui d'aujourd'hui mais prenons la LNH d'alors où le Canadien était dominant et transposons-là en 2007.

Un Guy Lafleur commanderait un salaire comparable à Peter Forsberg au sommet de sa carrière. On avait trois super vedettes à la défensive avec Savard, Larry Robinson et Guy Lapointe, plus Dryden devant le filet. Martin Brodeur fait cinq millions $ par année alors Dryden vaudrait ça. On avait Lemaire, Steve Shutt et Lafleur. Aujourd'hui, ça coûterait cher au propriétaire. Des joueurs comme Mario Tremblay, Doug Risebrough ou moi-même commanderaient des salaires entre un ou deux millions $, mais plus proche du deux millions avec une vingtaine de buts par saison parce qu'actuellement, un joueur qui marque dix buts gagne plus d'un million $.

Il serait donc impossible de garder intacte une équipe comme ça de nos jours, surtout avec le plafond salarial. C'est pour ça aussi que dans quelques années, les Penguins de Pittsburgh ne seront plus en mesure de garder leur noyau.

Être directeur général de nos jours doit être très difficile. Un d.g. doit penser en fonction de ce que sera l'équipe dans deux ou trois ans tellement il y a de clauses dans la convention collective actuelle, notamment parce qu'un joueur qui arrive dans la LNH à 18 ans devient joueur autonome à 25 ans. Il faut en tenir compte. Il y a constamment de nouveaux règlements et ils changent à chaque convention. Pour être bon, un directeur général doit connaître tous ces règlements.

Je parle souvent avec Réjean Houle et c'est la chose qu'il avait trouvé la plus difficile lorsqu'il est arrivé directeur général avec le Canadien. Je pense que ça lui avait pris deux ans pour tout apprendre. Et en plus, il faut qu'il pense au hockey.

AMH = hausse des salaires

Lorsque l'Association mondiale de hockey a vu le jour en 1972, les salaires ont vraiment commencé à augmenter. Même moi j'avais eu une offre. Tout le monde avait eu des offres et ceux qui ont choisi d'aller dans l'AMH avaient des contrats garantis et ils avaient de bons salaires.

Réjean Houle, Marc Tardif et Jean-Claude Tremblay ont vu leur salaire passé de, peut-être, 80 000 $ dans la LNH à 200 000 $ dans l'AMH. Ils ont bien fait d'y aller.

Dans mon cas, j'étais dans la Ligue américaine, avec les Voyageurs de la Nouvelle-Écosse, et j'avais été repêché par les Screaming Eagles de Miami de l'AMH. Le premier choix des Screaming Eagles avait été Bernard Parent et j'avais été le deuxième. Phil Watson était venu me voir chez mes parents. Il m'avait fait une offre, mais comme j'avais une bonne chance de faire le saut chez le Canadien cette année-là, parce que j'avais gagné la coupe Calder à Halifax et j'étais premier marqueur de cette équipe, j'ai refusé l'offre.

Mais s'il m'avait offert un contrat à 150 000 $ alors que j'en gagnais peut-être 40 000 $, j'aurais probablement fait le saut, mais je n'avais rien de garanti et je n'avais pas encore fait mes preuves tandis que des gars comme Houle et Tardif avaient déjà fait leurs preuves. Ils avaient gagné une coupe Stanley en 1971 et Sam Pollock ne voulait pas offrir plus. Ils ont donc choisi le magot et ils ont bien fait. Des Derek Sanderson et Bobby Hull, même Gordie Howe, ont aussi fait le saut.

Les hausses de salaires dans l'AMH ont réveillé beaucoup de directeurs généraux dans la Ligue nationale et il y a eu des changements par la suite. Les joueurs et les agents ont aussi pris conscience de ce nouveau phénomène. Ça été bon pour les athlètes et ça été le commencement de la fin pour les propriétaires qui faisaient des millions $ avec leur équipe de hockey.

Pour ma part, je n'ai jamais regretté la décision de rester dans la Ligue nationale. L'équipe à laquelle j'appartenais dans l'AMH n'a jamais disputé un match à Miami et la franchise a été transférée à Philadelphie. Je ne sais même pas avec qui j'aurais joué ni dans quelle ville.

Après avoir refusé l'offre de l'AMH, j'ai disputé une autre saison dans la Ligue américaine avant de graduer chez le Canadien et j'ai gagné la coupe Stanley à quatre reprises. Réjean Houle est revenu à Montréal en 1977. Il a raté la coupe de 1976, mais a remporté les trois suivantes. Houle est revenu notamment parce que l'AMH commençait à éprouver des problèmes cette année-là. Vrai aussi que le Canadien le courtisait et, en 1977 les salaires avaient commencé à augmenter dans la LNH. On tombait régulièrement dans les six chiffres et plusieurs joueurs gagnaient plus de 200 000 $, ce qui était beaucoup à ce moment-là.

Propos recueillis par RDS.ca