Ovationné une dernière fois
Hockey samedi, 21 avr. 2012. 17:06 vendredi, 13 déc. 2024. 13:56
Maurice Richard fils s'est avancé vers Marie-Claire Bouchard pour lui offrir ses condoléances. D'un geste spontané, elle l'a serré dans ses bras. « Mon fils adoptif », a-t-elle dit en affichant un sourire maternel.
Les yeux de ce gros gaillard, aujourd'hui âgé de 67 ans, se sont embués. Toutes sortes d'images ont probablement défilé dans sa tête. Quand l'épouse du Rocket est décédée, il avait dit à Marie-Claire qu'il l'adoptait comme mère. Elle n'a jamais oublié le compliment.
Les Bouchard et les Richard étaient très liés. Ils étaient des inséparables sur la patinoire et à l'extérieur. Le gros Butch ne ratait jamais une occasion de se porter à la défense de Richard qui lui en a toujours été reconnaissant. Dans le temps, le même esprit d'équipe existait chez les femmes. Le Canadien, c'était plus qu'une équipe de hockey. C'était une famille. Et très souvent, par leur leadership et leur charisme, les chefs de ce groupe très uni étaient Butch et le Rocket.
C'est Marie-Claire, la belle Marie-Claire comme on l'appelle affectueusement depuis tant d'années, qui aurait dû avoir les yeux humides dans les circonstances. Elle a tellement de peine depuis que ce pan de mur de l'histoire du Canadien l'a quittée, il y a une semaine. Dans cinq jours, ils auraient célébré leur 65e anniversaire de mariage.
« Nos avons eu des hauts et des bas, comme c'est le cas dans tous les couples, mais depuis qu'il n'est plus là, je m'alimente uniquement des bons moments. J'ai souvent entendu des femmes parler de leurs défunts maris d'une façon vraiment élogieuse. Je me disais qu'elles en mettaient sans doute un peu trop. Aujourd'hui, je les comprends. On dirait que nous, les veuves, perdons la mémoire pour certaines choses », raconte-t-elle, un sourire en coin.
Ce qui lui manque le plus d'Émile, ce sont ses yeux. Des yeux d'un bleu éclatant qui, malgré ses 92 ans, lui faisaient encore de l'effet. « Quand il me tenait les mains en me regardant droit dans les yeux, je ne voyais que la couleur de ses yeux », dit-elle.
Marie-Claire Bouchard reçoit les condoléances de Dickie Moore (Photo PC)
Il était quatre heures du matin, samedi dernier, quand Émile Bouchard a sonné pour de l'aide dans la résidence pour personnes en manque d'autonomie qu'il habitait. L'infirmière est arrivée prestement. Il avait du mal à respirer. Il lui a dit simplement : « Je pense que je suis en train de mourir. »
On a fait appel à un médecin qui n'a malheureusement pu étirer l'heure de son départ. Cette force de la nature était arrivée au bout de sa route. On a appelé sa femme qui est arrivée à temps pour recueillir son dernier souffle. Son visage était calme, détendu. Il est parti tout doucement.
« Il n'a pas ouvert les yeux; j'aurais bien aimé qu'il le fasse », souligne-t-elle. Cela explique peut-être pourquoi ses yeux lui manquent tant en ce moment.
Pas porté sur les compliments
Émile Bouchard a été un homme de peu de mots qui, cependant, n'y allait pas par quatre chemins pour refiler des messages. Il était à la fois franc et direct. Par contre, il n'était pas très porté sur les compliments. Il avait l'habitude de dire que si tu complimentes quelqu'un, il va s'endormir.
Un jour, alors qu'il était sur la route avec l'équipe, il s'est risqué à lancer une fleur à Marie-Claire au bout du fil. « Ton absence me manque, lui a-t-il dit.
Elle a rigolé. « Tu veux sans doute dire que ma présence te manque », a-t-elle répliqué.
Bizarrement, elle n'était même pas là quand, dans sa façon particulière de s'exprimer, il y était allé d'un commentaire entre amis qui témoignait du respect et de l'amour qu'il ressentait pour elle. Ça se passait dans une soirée mondaine. Deux très jolies filles étaient passées devant le groupe. Ses amis s'étaient tous levés pour les suivre des yeux. Bouchard n'avait pas bougé.
« Hé Butch, ces belles filles ne t'intéressent pas », lui avait lancé les autres à la blague.
« Dites-moi pourquoi je reluquerais des sandwiches quand un banquet m'attend à la maison », avait-il répliqué.
C'est son fils Pierre qui me raconte cette anecdote. Pierre est le seul des quatre garçons qui ait patiné dans les traces du désormais célèbre numéro 3. Michel s'est intéressé au cinéma. Jean a évolué au centre. Émile junior était défenseur. Les deux auraient pu se tirer d'affaire au hockey, mais Pierre est le seul qui ait persévéré. Il ne l'a pas fait pour imiter son père. Il n'a jamais pensé lui faire plaisir en choisissant le hockey.
Il parle plutôt d'un concours de circonstances. Il était l'aîné. Il dit avoir eu l'occasion de jouer très souvent. Quand il est arrivé avec le Canadien, l'équipe était à la recherche d'un homme fort, comme cela s'était produit dans le cas de son père. « Si cinq ou six joueurs de l'équipe avaient été en mesure d'effectuer le même boulot, je serais probablement passé à côté de ma carrière », précise-t-il.
Butch Bouchard n'était pas du genre à faire des passe-droits. Ce n'est pas parce qu'un deuxième Bouchard se destinait vers une carrière de hockeyeur qu'il allait se permettre du favoritisme à son endroit. Un jour, parce qu'il n'était pas satisfait de ses résultats scolaires au Collège de Rigaud, il lui a retiré ses patins. Il a fallu que Pierre emprunte des patins à un ami et qu'il se camoufle sous une cagoule pour pouvoir continuer à jouer.
Les enfants de Marie-Claire et d'Émile semblent tirés d'un même moule. Les parents leur ont transmis leurs valeurs. Ils sont solides, respectueux, affables et polis avec les gens qu'ils côtoient.
« Mon père était un homme strict, mais pas particulièrement sévère, dit Pierre. Il nous laissait libre de nos choix, mais une fois qu'on l'avait fait, il fallait qu'on se grouille. Il insistait aussi pour qu'on soit de retour à la maison avant minuit. Il disait toujours qu'après minuit, il ne pouvait rien nous arriver de bon dans la rue. »
Le moment des adieux
Il faisait un temps maussade, mais ça ne manquait pas de chaleur dans cette belle église à proximité du fleuve, au coeur du vieux Longueuil. Comme c'est souvent le cas quand un grand Glorieux disparaît après avoir contribué à faire du Canadien l'équipe légendaire qu'elle est devenue, c'est monseigneur Jean-Claude Turcotte, lui-même un mordu de hockey, qui a célébré les funérailles.
Le célébrant a révélé avoir été un modeste joueur de hockey durant sa jeune existence. Il était défenseur et son idole était Bouchard. Il a mentionné avoir accepté avec bonheur de participer à cette célébration « parce que Butch a été un vrai de vrai. Un homme vrai dans son sport, dans sa vie familiale et dans sa façon de gérer sa propre vie. »
« En l'observant, les jeunes pouvaient non seulement mieux apprendre à jouer au hockey, mais ils pouvaient aussi apprendre à se comporter en gentlemen », a-t-il dit.
Sept petits-enfants se sont regroupés autour de celle qui avait été mandatée pour parler de leur grand-père. Elle nous a appris que chaque fois que naissait un petit-enfant, leur grand-père plantait un arbre. Ils ont promis de poursuivre cette tradition dans les années futures, ce qui leur a valu des applaudissements nourris.
Jean Bouchard, journaliste à ses heures, a raconté qu'il avait un jour demandé à son père comment il en était arrivé à afficher un tel sang-froid, au jeu d'abord et dans sa vie de tous les jours par la suite. Il lui a expliqué que cette attitude était une conséquence du métier d'apiculteur qu'il avait occupé à ses premières années dans le hockey.
« Quand tu es encerclé par des abeilles, il est préférable de ne pas trop t'exciter », lui a-t-il dit. L'assemblée de fidèles s'est esclaffée.
Après la cérémonie, parents et amis se sont dispersés avec le sentiment d'avoir profité d'un dernier moment intime avec l'illustre défunt. La famille a semblé en paix avec elle-même après avoir vu le patriarche partir avec le sentiment du devoir accompli. Sur le tard, le retrait de son chandail avait confirmé à la planète hockey qu'il avait été l'un des grands joueurs de son époque. Pour lui, c'était important que ses enfants et ses petits-enfants soient témoins de cette reconnaissance de son vivant.
« Il en a ressenti une grande fierté, admet Pierre. Je pense que cet hommage a contribué à prolonger sa vie de quelques années. »
Le retrait de son chandail a fait plus encore. Elle a redonné à Émile Bouchard la place qu'il aurait toujours dû occuper dans nos souvenirs. Si l'événement n'avait jamais eu lieu, il n'y aurait pas eu tous ces gens à l'attendre sous la pluie. L'église n'aurait pas fait salle comble.
« Quand tu as plus de 80 ans, tu tombes dans l'oubli, mentionne l'autre membre de la famille à avoir porté le prestigieux chandail. On apprécie ce que tu as accompli, mais on est depuis longtemps passé à autres choses. »
Monsieur Bouchard, 56 ans après sa retraite, est parti en pleine gloire. Applaudi chaleureusement par des spectateurs qui, pour la plupart, ne l'ont jamais vu jouer. Une dernière ovation qu'il n'a pas volée.
Les yeux de ce gros gaillard, aujourd'hui âgé de 67 ans, se sont embués. Toutes sortes d'images ont probablement défilé dans sa tête. Quand l'épouse du Rocket est décédée, il avait dit à Marie-Claire qu'il l'adoptait comme mère. Elle n'a jamais oublié le compliment.
Les Bouchard et les Richard étaient très liés. Ils étaient des inséparables sur la patinoire et à l'extérieur. Le gros Butch ne ratait jamais une occasion de se porter à la défense de Richard qui lui en a toujours été reconnaissant. Dans le temps, le même esprit d'équipe existait chez les femmes. Le Canadien, c'était plus qu'une équipe de hockey. C'était une famille. Et très souvent, par leur leadership et leur charisme, les chefs de ce groupe très uni étaient Butch et le Rocket.
C'est Marie-Claire, la belle Marie-Claire comme on l'appelle affectueusement depuis tant d'années, qui aurait dû avoir les yeux humides dans les circonstances. Elle a tellement de peine depuis que ce pan de mur de l'histoire du Canadien l'a quittée, il y a une semaine. Dans cinq jours, ils auraient célébré leur 65e anniversaire de mariage.
« Nos avons eu des hauts et des bas, comme c'est le cas dans tous les couples, mais depuis qu'il n'est plus là, je m'alimente uniquement des bons moments. J'ai souvent entendu des femmes parler de leurs défunts maris d'une façon vraiment élogieuse. Je me disais qu'elles en mettaient sans doute un peu trop. Aujourd'hui, je les comprends. On dirait que nous, les veuves, perdons la mémoire pour certaines choses », raconte-t-elle, un sourire en coin.
Ce qui lui manque le plus d'Émile, ce sont ses yeux. Des yeux d'un bleu éclatant qui, malgré ses 92 ans, lui faisaient encore de l'effet. « Quand il me tenait les mains en me regardant droit dans les yeux, je ne voyais que la couleur de ses yeux », dit-elle.
Marie-Claire Bouchard reçoit les condoléances de Dickie Moore (Photo PC)
Il était quatre heures du matin, samedi dernier, quand Émile Bouchard a sonné pour de l'aide dans la résidence pour personnes en manque d'autonomie qu'il habitait. L'infirmière est arrivée prestement. Il avait du mal à respirer. Il lui a dit simplement : « Je pense que je suis en train de mourir. »
On a fait appel à un médecin qui n'a malheureusement pu étirer l'heure de son départ. Cette force de la nature était arrivée au bout de sa route. On a appelé sa femme qui est arrivée à temps pour recueillir son dernier souffle. Son visage était calme, détendu. Il est parti tout doucement.
« Il n'a pas ouvert les yeux; j'aurais bien aimé qu'il le fasse », souligne-t-elle. Cela explique peut-être pourquoi ses yeux lui manquent tant en ce moment.
Pas porté sur les compliments
Émile Bouchard a été un homme de peu de mots qui, cependant, n'y allait pas par quatre chemins pour refiler des messages. Il était à la fois franc et direct. Par contre, il n'était pas très porté sur les compliments. Il avait l'habitude de dire que si tu complimentes quelqu'un, il va s'endormir.
Un jour, alors qu'il était sur la route avec l'équipe, il s'est risqué à lancer une fleur à Marie-Claire au bout du fil. « Ton absence me manque, lui a-t-il dit.
Elle a rigolé. « Tu veux sans doute dire que ma présence te manque », a-t-elle répliqué.
Bizarrement, elle n'était même pas là quand, dans sa façon particulière de s'exprimer, il y était allé d'un commentaire entre amis qui témoignait du respect et de l'amour qu'il ressentait pour elle. Ça se passait dans une soirée mondaine. Deux très jolies filles étaient passées devant le groupe. Ses amis s'étaient tous levés pour les suivre des yeux. Bouchard n'avait pas bougé.
« Hé Butch, ces belles filles ne t'intéressent pas », lui avait lancé les autres à la blague.
« Dites-moi pourquoi je reluquerais des sandwiches quand un banquet m'attend à la maison », avait-il répliqué.
C'est son fils Pierre qui me raconte cette anecdote. Pierre est le seul des quatre garçons qui ait patiné dans les traces du désormais célèbre numéro 3. Michel s'est intéressé au cinéma. Jean a évolué au centre. Émile junior était défenseur. Les deux auraient pu se tirer d'affaire au hockey, mais Pierre est le seul qui ait persévéré. Il ne l'a pas fait pour imiter son père. Il n'a jamais pensé lui faire plaisir en choisissant le hockey.
Il parle plutôt d'un concours de circonstances. Il était l'aîné. Il dit avoir eu l'occasion de jouer très souvent. Quand il est arrivé avec le Canadien, l'équipe était à la recherche d'un homme fort, comme cela s'était produit dans le cas de son père. « Si cinq ou six joueurs de l'équipe avaient été en mesure d'effectuer le même boulot, je serais probablement passé à côté de ma carrière », précise-t-il.
Butch Bouchard n'était pas du genre à faire des passe-droits. Ce n'est pas parce qu'un deuxième Bouchard se destinait vers une carrière de hockeyeur qu'il allait se permettre du favoritisme à son endroit. Un jour, parce qu'il n'était pas satisfait de ses résultats scolaires au Collège de Rigaud, il lui a retiré ses patins. Il a fallu que Pierre emprunte des patins à un ami et qu'il se camoufle sous une cagoule pour pouvoir continuer à jouer.
Les enfants de Marie-Claire et d'Émile semblent tirés d'un même moule. Les parents leur ont transmis leurs valeurs. Ils sont solides, respectueux, affables et polis avec les gens qu'ils côtoient.
« Mon père était un homme strict, mais pas particulièrement sévère, dit Pierre. Il nous laissait libre de nos choix, mais une fois qu'on l'avait fait, il fallait qu'on se grouille. Il insistait aussi pour qu'on soit de retour à la maison avant minuit. Il disait toujours qu'après minuit, il ne pouvait rien nous arriver de bon dans la rue. »
Le moment des adieux
Il faisait un temps maussade, mais ça ne manquait pas de chaleur dans cette belle église à proximité du fleuve, au coeur du vieux Longueuil. Comme c'est souvent le cas quand un grand Glorieux disparaît après avoir contribué à faire du Canadien l'équipe légendaire qu'elle est devenue, c'est monseigneur Jean-Claude Turcotte, lui-même un mordu de hockey, qui a célébré les funérailles.
Le célébrant a révélé avoir été un modeste joueur de hockey durant sa jeune existence. Il était défenseur et son idole était Bouchard. Il a mentionné avoir accepté avec bonheur de participer à cette célébration « parce que Butch a été un vrai de vrai. Un homme vrai dans son sport, dans sa vie familiale et dans sa façon de gérer sa propre vie. »
« En l'observant, les jeunes pouvaient non seulement mieux apprendre à jouer au hockey, mais ils pouvaient aussi apprendre à se comporter en gentlemen », a-t-il dit.
Sept petits-enfants se sont regroupés autour de celle qui avait été mandatée pour parler de leur grand-père. Elle nous a appris que chaque fois que naissait un petit-enfant, leur grand-père plantait un arbre. Ils ont promis de poursuivre cette tradition dans les années futures, ce qui leur a valu des applaudissements nourris.
Jean Bouchard, journaliste à ses heures, a raconté qu'il avait un jour demandé à son père comment il en était arrivé à afficher un tel sang-froid, au jeu d'abord et dans sa vie de tous les jours par la suite. Il lui a expliqué que cette attitude était une conséquence du métier d'apiculteur qu'il avait occupé à ses premières années dans le hockey.
« Quand tu es encerclé par des abeilles, il est préférable de ne pas trop t'exciter », lui a-t-il dit. L'assemblée de fidèles s'est esclaffée.
Après la cérémonie, parents et amis se sont dispersés avec le sentiment d'avoir profité d'un dernier moment intime avec l'illustre défunt. La famille a semblé en paix avec elle-même après avoir vu le patriarche partir avec le sentiment du devoir accompli. Sur le tard, le retrait de son chandail avait confirmé à la planète hockey qu'il avait été l'un des grands joueurs de son époque. Pour lui, c'était important que ses enfants et ses petits-enfants soient témoins de cette reconnaissance de son vivant.
« Il en a ressenti une grande fierté, admet Pierre. Je pense que cet hommage a contribué à prolonger sa vie de quelques années. »
Le retrait de son chandail a fait plus encore. Elle a redonné à Émile Bouchard la place qu'il aurait toujours dû occuper dans nos souvenirs. Si l'événement n'avait jamais eu lieu, il n'y aurait pas eu tous ces gens à l'attendre sous la pluie. L'église n'aurait pas fait salle comble.
« Quand tu as plus de 80 ans, tu tombes dans l'oubli, mentionne l'autre membre de la famille à avoir porté le prestigieux chandail. On apprécie ce que tu as accompli, mais on est depuis longtemps passé à autres choses. »
Monsieur Bouchard, 56 ans après sa retraite, est parti en pleine gloire. Applaudi chaleureusement par des spectateurs qui, pour la plupart, ne l'ont jamais vu jouer. Une dernière ovation qu'il n'a pas volée.