La participation prolongée du Canadien aux séries éliminatoires nous a permis de faire connaissance avec la prochaine vedette de l'équipe, P.K. Subban.

Doté d'une personnalité flamboyante, il est spectaculaire au jeu, imprévisible et super talentueux. Et le jeune, qui est entré dans ses premières séries de la coupe Stanley dans un contexte extrêmement difficile, vient tout juste d'avoir 21 ans.

Il a été appelé à remplacer le meilleur défenseur et quart-arrière de l'équipe, Andrei Markov. Il l'a fait d'une façon étonnante, faisant ressortir au passage une assurance rarement vue chez une recrue lancée sans trop d'avertissements dans une telle bouilloire.

Il a souvent orchestré des attaques. Ses sorties de zone étaient parfois risquées, parfois coûteuses, mais le jeune homme a de l'audace. S'il commet une bévue, il enchaîne avec un prochain jeu sans laisser paraître le moindre malaise. Il se place parfois dans l'embarras en voulant y ajouter de la dentelle, mais c'est cette dentelle qui fait de lui un joueur aussi excitant.

Je retiens la déclaration que Hal Gill, le héros obscur des dernières séries, a faite à son sujet. «J'aimerais pouvoir faire la moitié de ce qu'il accomplit», a-t-il dit.

C'est l'opinion d'un athlète de 35 ans, qui jouit d'une feuille de route de 12 ans dans la Ligue nationale, au sujet d'une recrue qui n'a disputé que 16 matchs avec le Canadien.

Le Canadien, qui a souvent commis au repêchage des erreurs magistrales qui ont retardé son évolution, semble avoir aujourd'hui une petite merveille entre les mains. Le genre de joueur qu'on repêche habituellement parmi les premiers, mais qu'on a eu l'énorme chance de dénicher à mi-chemin en deuxième ronde.

En somme, on peut se péter les bretelles à l'idée de posséder une future étoile au sein de l'organisation, mais Trevor Timmins ne peut certainement pas crier au génie. Il s'agit tout au plus d'un énorme coup de chance quand on regarde cela de plus près.

Subban a été repêché au 43e rang en 2007. Pas moins de 16 défenseurs ont été réclamés avant lui, dont Ryan McDonagh, premier choix du Canadien et 12e de la ligue. Curieusement, 14 de ces 16 défenseurs n'ont pas encore disputé un match dans la Ligue nationale. Les deux autres n'ont joué qu'une vingtaine de parties.

Alors, quand on vous dira que le Canadien a vu juste en repêchant Subban, il faudra toujours se souvenir qu'il n'était même pas le premier défenseur sur la liste prioritaire de Timmins cette année-là. Le recruteur en chef du Canadien lui a également préféré Max Pacioretty, en 22e place, faut-il le rappeler.

Pas moins de 24 formations ont passé leur tour au moins une fois sur lui. Phoenix a eu cinq chances de le réclamer. St. Louis en a eu 4 et Edmonton 3. Les seules organisations qui n'ont bénéficié d'aucune sélection avant le 43e tour à ce repêchage sont Toronto, Tampa Bay, New Jersey, Atlanta, Dallas et les Islanders.

Le goût du risque

J'ai interrogé trois recruteurs amateurs qui ont participé à cet encan afin de savoir comment un athlète offrant de telles promesses avait pu être sélectionné aussi tardivement.

On dira peut-être que le 43e rang n'est pas une position très tardive, mais elle l'est quand autant de défenseurs sont sélectionnés avant lui. Elle l'est aussi quand un jeune, à peine sorti de l'adolescence, devient subito presto l'un des arrières les plus efficaces de son équipe dans le climat très tendu des séries.

L'un de ces recruteurs désire conserver l'anonymat pour des raisons qui lui sont personnelles. Ses explications rejoignent toutefois celles exprimées par deux collègues, eux-mêmes d'anciens défenseurs au niveau professionnel, Guy Lapointe, du Wild du Minnesota, et Luc Gauthier, des Penguins de Pittsburgh.

«Peut-être que ses cinq pieds et 11 pouces ont joué contre lui, ajoute ce vétéran recruteur, l'un des plus crédibles de la ligue. Subban est dynamique, émotif, passionné et doté d'un bon coup de patin. Il a des lacunes défensives qu'il ne craint pas de compenser par des gestes audacieux. Dans les rangs juniors, il était reconnu comme un loose cannon. Il courait partout. Il prenait des risques, mais il n'était pas un mauvais joueur pour tout ça.»

Ce recruteur lui attribue d'ailleurs un atout qu'on a vite noté durant les séries. «La pression n'étouffe pas Subban; elle le stimule. Quand la situation l'exige, il est capable d'élever son jeu d'un cran. C'est un joueur qui veut faire une différence», dit-il.

L'organisation pour laquelle travaille ce recruteur a pourtant fermé les yeux sur Subban à deux occasions. Il préfère attribuer cette réaction aux impondérables du repêchage.

«Aujourd'hui, plusieurs équipes regardent Subban effectuer une entrée remarquée dans la Ligue nationale en se disant : «Mais pourquoi, diable, ne l'avons-nous pas choisi», souligne-t-il.

Guy Lapointe

Qui est mieux placé que Guy Lapointe, un membre du Big Three et un athlète intronisé au Panthéon de la Renommée, peut expliquer pourquoi Subban a été boudé par 24 équipes, dont le Canadien qui lui a préféré deux joueurs?

«Il n'était pas un géant et son jeu était erratique, précise-t-il. Par contre, il jouait avec passion. Peu de formations le considéraient comme un choix de première ronde, mais en deuxième ronde, il représentait une bonne sélection. Aujourd'hui, il joue déjà avec l'aplomb d'un vétéran. Il absorbe bien la pression. Je dirais qu'il se comporte comme un défenseur du passé.»

Selon Lapointe, il n'y a qu'un seul facteur négatif dans le cas de Subban. «Il n'est pas un membre du Wild», lance-t-il en souriant.

Luc Gauthier

Luc Gauthier, qui complète sa douzième année sur le plan du recrutement amateur, affirme que Subban lui rappelle David Wilkie, choix de première ronde du Canadien et 20e de la ligue en 1992. Les plus vieux se souviendront que Wilkie a été un échec lamentable, ne disputant que 91 matchs avec le Canadien avant d'aller éteindre sa carrière dans un quasi-anonymat à Tampa Bay. Mais ce n'est pas le lien que Gauthier cherche à faire entre Wilkie et la petite merveille du Canadien.

«Subban me rappelle Wilkie que j'ai dirigé pendant une saison à Fredericton parce qu'ils étaient deux joueurs unidimensionnels au même âge, souligne-t-il. Wilkie avait des lacunes défensives. Comme Subban, il patinait constamment vers l'avant.»

Les comparaisons s'arrêtent là, cependant. L'entrée en scène de Subban a été nettement mieux réussie que celle de Wilkie. Sa carrière sera assurément plus longue et plus brillante.

«Il a du cran, ça se voit, ajoute-t-il. Il a confiance en ses moyens. Il ne craint pas d'essayer des choses. Parfois, quand on l'observait des gradins au niveau junior et qu'on le voyait se porter dangereusement à l'attaque sans trop se soucier du reste, on se disait intérieurement : Non, non, ne fais pas ça. Il le faisait et ça fonctionnait.»

Selon Gauthier, il n'est pas facile d'expliquer pourquoi on lui a préféré autant de défenseurs à ce repêchage. Son maniement de la rondelle était bon. Son coup de patin lui permettait toutes ses sorties hasardeuses en territoire adverse. Tout était là. Peut-être qu'on hésitait à choisir un cheval fou qui allait dans toutes les directions.

Gauthier reconnaît que Subban a beaucoup changé depuis un an ou deux. Il a gagné en maturité. Au dernier championnat mondial, où il a été choisi le défenseur par excellence du tournoi, c'était assez visible qu'il avait changé.

«À l'époque, sa confiance était si grande qu'il faisait des choses qui confirmaient un manque total de maturité, ajoute-t-il. Il levait les bras au ciel quand ça n'allait pas. Il brisait des bâtons. Ce sont des gestes qu'on ne peut pas faire dans la Ligue nationale.»

L'automne prochain, Subban sera à l'école du Canadien. On va lui enseigner à devenir un défenseur de la Ligue nationale. Pourvu qu'on ne le rende pas hésitant en lui répétant constamment d'éviter les erreurs. On n'érige pas des barrières pour ralentir un pur-sang. On le laisse courir.

Chapeau Marc

Le talent, le sens du professionnalisme et le respect que mon collègue et ami Marc Defoy porte au sport qu'il couvre depuis 28 ans viennent d'être reconnus par le biais d'une entrée au Panthéon du hockey. Il était dû, comme on dit.

Quand j'étais directeur de la section sportive d'un journal dans une autre vie, j'avais ramené dans le métier cet ancien du Montréal-Matin qui avait perdu son boulot à la suite de la disparition de ce quotidien. Nous avions besoin d'un gars appliqué et à son affaire sur le hockey et c'est en plein ce que nous avions obtenu.

Aujourd'hui, je le dis avec beaucoup de modestie, il a été mon meilleur choix de repêchage.

Chapeau Marc!