QUÉBEC - Le maire Régis Labeaume a réclamé une loi spéciale afin d'éviter d'être destitué de sa charge, a affirmé jeudi un ancien directeur général de la Ville de Québec.

Denis De Belleval a soutenu que M. Labeaume a ignoré la Loi sur les cités et villes en procédant sans appel d'offres pour octroyer un contrat de gestion d'un futur amphithéâtre et dépassé le cadre de ses compétences.

Cette loi prévoit qu'en cas d'infraction, les élus peuvent être déclarés inhabiles à exercer leur fonction pendant deux ans.

L'ancien haut commis de la Ville de Québec a enjoint les députés à voter contre l'adoption d'une loi spéciale, réclamée d'urgence par M. Labeaume afin de protéger une entente conclue avec le conglomérat Quebecor contre tout recours judiciaire.

« C'est une loi pour amnistier un maire qui, sciemment, a violé loi, pas dans un petit dossier d'un petit contrat municipal, a-t-il dit aux députés. Pour un dossier de 400 millions $ et un contrat de 25 ans qui donne une subvention de 40 millions $ par année à un entrepreneur privé », a affirmé M. De Belleval aux députés.

M. De Belleval a déposé cette semaine, conjointement avec Alain Miville-De Chêne, une requête pour demander à la Cour supérieure d'annuler l'entente par laquelle Quebecor s'engage à verser à la Ville entre 110 millions $ et 200 millions $ sur 25 ans pour obtenir la gestion de l'édifice ainsi que son exploitation.

Aux côtés de M. De Belleval, M. Miville-De Chêne a exposé aux députés que le loyer de 4,5 millions $ que s'engage à verser l'entreprise, dans le cas où elle obtient une concession de la Ligue nationale de hockey (LNH), est dérisoire, compte-tenu de la valeur de l'édifice dont elle jouira, qui est estimée à 400 millions $.

Pour illustrer son propos, M. Miville-De Chêne a établi une comparaison entre l'amphithéâtre et une maison dont la valeur serait de 400 000 $. Selon lui, le loyer de 4,5 millions $ de Quebecor correspond est l'équivalent de réclamer un loyer de 375 $ pour la maison.

« Moi, le premier, je prends toute maison de 400 000 $ pour 375 $ par mois, n'importe quand, j'en prends 10, j'en prends 20 et je fais fortune avec ça », a-t-il dit.

Plus tôt, le président et chef de la direction du conglomérat Quebecor, Pierre Karl Péladeau, a déclaré qu'il était urgent de mettre à l'abri des poursuites l'entente qu'il a conclue.

M. Péladeau a fait valoir que toute contestation judiciaire, avec les délais que ça implique, nuirait à des discussions avec la Ligue nationale de hockey (LNH), pour l'obtention d'une concession à Québec, un élément central du plan d'affaires de l'entreprise.

« Toute incertitude juridique est très problématique et a tendance à disqualifier la candidature », a-t-il dit.

Le chef d'entreprise, qui n'a pas révélé le montant des revenus qu'il s'attend à recevoir grâce à l'amphithéâtre, n'a eu que de bons mots sur le processus utilisé par M. Labeaume pour conclure l'entente de principe, dont la version finale doit être entérinée avant le 7 septembre prochain.

M. Péladeau a certifié que son entreprise avait fait une offre bonifiée grâce au travail d'un homme d'affaires, Yvon Charest, mandaté par M. Labeaume pour diriger le processus.

« L'offre est la meilleure, la mise en concurrence, l'esprit de la loi est respecté, a-t-il dit. Est-ce qu'on va se priver d'une équipe de hockey et de la construction d'un amphithéâtre à cause d'une formalité? Ça m'apparaîtrait être un grand échec collectif. »

Avant lui, M. Labeaume avait soutenu qu'il aurait été impossible d'exiger, dans un appel d'offres, qu'une entreprise obtenant la gestion d'un futur amphithéâtre ramène à Québec une équipe de hockey professionnel.

M. Labeaume a affirmé qu'il existait « un trou » entre la Charte de la Ville de Québec et la Loi sur les cités et villes, par lequel il a cru bon de procéder sans faire appel à des soumissionnaires par la forme habituelle.

Selon M. Labeaume, il aurait été impossible d'ajouter un critère pour mesurer « la capacité ou du désir intense d'amener un club de la LNH ».

« C'est impossible d'encadrer ça, a-t-il dit aux députés. Ça veut dire que vous recevez des enveloppes, vous les ouvrez et c'est terminé. Vous prenez le plus haut soumissionnaire. Que ce soumissionnaire-là ait le goût ou pas d'amener un club à Québec, c'est terminé. »

Le premier ministre Jean Charest a promis 200 millions $ pour la construction de l'édifice et la Ville doit assumer le reste de la facture tout en étant responsable de confier la gestion.

Le député de Québec solidaire Amir Khadir, qui participait à la commission parlementaire, a répété jeudi qu'il n'avait pas l'intention de consentir au vote sur le projet de loi spécial.

Lors d'un point de presse qui a suivi l'audition de M. Labeaume, M. Khadir a taillé en pièces les arguments de M. Labeaume, soutenant qu'il aurait pu procéder par appel d'offres.

« Dans un appel d'offres c'est la Ville qui détermine c'est quoi les conditions, ce qu'elle recherche, a-t-il dit. Si c'est vrai, et je le crois, que toute l'opération c'est pour avoir les Nordiques à Québec, ça aurait pu être la première exigence. »

La controverse autour du projet de loi spécial a poussé sa marraine, la députée péquiste Agnès Maltais, à défendre sa réputation d'intégrité en lançant les travaux de la commission parlementaire.

« J'ai la réputation d'être une femme intègre et entière, a-t-elle dit. Si cette entente ne respectait pas la loi, je ne m'y associerais pas. »

La députée adéquiste Sylvie Roy a pour sa part claqué la porte de la commission parlementaire, jugeant son temps de parole insuffisant.

Lors d'un point de presse, M. De Belleval a répété que le processus du maire était toujours entouré d'un voile mystérieux qu'il a insuffisamment dissipé par sa présentation.

« C'est encore le mystère, on ne sait pas qui a soumissionné, qui était enregistré au registre des lobbyistes, etc. On ne sait rien de plus », a-t-il dit.