Forte de ses 1,3 milliard d’habitants, la République populaire de Chine a chamboulé chaque sport olympique dans lequel elle s’est donné le mandat de dominer le monde. Après le patinage de vitesse et le patinage artistique, le Dragon chinois s’attaque au hockey sur glace. Dans le quatrième texte de cette série de cinq articles, Alexandre Pouliot-Roberge nous parle de l'arrivée d'un club chinois dans la KHL.

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À sa fondation, à l’été 2008, la Ligue continentale de hockey (KHL) produit une vidéo de promotion dans le but de faire connaître ses projets d’expansion. Sur une carte muette, on y voit des flèches partir de la Russie et pointer vers des pays limitrophes. L’une d’entre elles vise le Japon. Ce schéma a provoqué beaucoup de commentaires sarcastiques dans la presse de l’époque. Beaucoup de journalistes ont annoncé la mort de la ligue en deçà de trois ans.

En novembre 2013, la KHL est toujours en vie et ses projets n’ont toujours pas changé. Viatcheslav Fetisov déclare à Hockey le Magazine que la ligue vise une division pacifique où l’on trouverait « deux clubs en Chine, deux autres au Japon, ainsi que deux autres en Corée du Sud ». Fetisov n’est pas seul à s’exprimer ainsi. Alexander Medvedev, présent de la KHL de l’époque, abonde dans le même sens et reçoit souvent des éclats de bois vert à chaque occasion.

Deux ans plus tard, en plein milieu de sa huitième saison, la KHL n’a toujours pas rejoint l’Association mondiale de hockey (WHA) malgré un changement de direction, une chute vertigineuse du rouble, une légion de sanctions économiques contre la Russie et une orgie de déclarations hystériques à propos d’une faillite imminente du circuit. En ce mois de décembre 2015, ce n’est pas l’annonce de la fermeture de la KHL qui a ébranlé le monde du hockey, mais les déclarations du Président de son Conseil d’administration, Gennady Timchenko.

« L’an prochain, un club de la KHL pourrait se retrouver à Pékin. »

Roman Rotenberg

La citation de R-Sports a fait l’effet d’une bombe. Les isolationnistes ont crié au scandale dans les médias. Les hooligans fascisants ont multiplié les propos racistes dans les médias sociaux. Les journalistes ont fait des gorges chaudes dans la presse russe. Lorsque Roman Rotenberg, en décembre dernier, a annoncé, toujours à R-Sports, la tenue du premier match au LeSports Arena de Pékin, les commentaires désobligeants ont continué. En Amérique du Nord, on a annoncé dans la presse que l’édifice n’est pas apte à faire une glace de hockey. Rien à faire. Dans une entrevue accordée à RDS, le vice-président de la ligue persiste et signe.

« Ce programme est piloté par les fédérations de hockey russes et chinoises ainsi que par nos gouvernements respectifs. Les Chinois veulent que nous les aidions à développer le hockey chez eux. Pour la KHL, c’est un marché gigantesque à gagner. Nous devons y implanter un club et une structure complète incluant un club-école dans la ligue asiatique. Nous croyons sincèrement que le hockey peut être populaire comme le basketball ou le patinage artistique en Chine. »

Le débat sur l’aréna

Ces paroles ont convaincu peu de journalistes. Le dépôt des garanties financières de la partie chinoise, annoncée par Rotenberg à TASS le 16 février dernier, a été accueilli avec scepticisme. La candidature officielle du géant chinois de l’énergie CEE Holdings, le 1er mai dernier, a fait ressusciter le débat sur les installations que le quotidien sportif russe Sport Express a qualifiées d’inaptes à produire une glace pour le nouveau club Kunlun Red Stars. Gervais Lavoie, implanté à Pékin depuis 40 ans, tient toutefois un discours plus mitigé.

« On peut faire une glace au LeSports Center. On y a déjà tenu des spectacles sur glace par le passé. Ils manquent seulement d’équipement de hockey. »

Âge de glace à Beijing

Gervais Lavoie ne parle pas sans connaissance de cause. Le blogue de l’amphithéâtre a d’ailleurs fait un compte rendu du spectacle « Âge de glace » tenu du 25 septembre au 4 octobre dans son enceinte de 18 000 sièges. Sur les photos, on y voit les personnages en patin. Le 7 juin, Roman Rotenberg a d’ailleurs annoncé à TASS que le club doit acheter des bandes pour la tenue des matchs le même jour que la nomination de Vladimir Krechin au poste de directeur général du club.

Le club a tenu une conférence de presse le 6 juillet dernier. Vladimir Krechin y a exposé ses plans pour la saison en compagnie de l’entraîneur-chef du club, Vladimir Yurzinov fils. Ce dernier est le fils du mythique entraîneur du Dinamo de Moscou et assistant de Viktor Tikhonov au sein de l’équipe nationale soviétique. Yurzinov a 15 ans d’expérience comme entraîneur-chef en Russie.

En quête de joueurs chinois

La conférence de presse du 6 juillet n’a presque rien appris aux journalistes présents. Viatcheslav Panin, rédacteur en chef de Sovietskiy Sports, s’est désolé, sur Facebook, des sourires narquois de certains collègues durant ce moment historique. Ce commentaire a été accompagné d’une photo de la liste des joueurs mis sous contrat par le club.

Une semaine avant la conférence de presse, Krechin a parlé d’une majorité de joueurs russes au sein de l’équipe. Les plans semblent toutefois avoir changé. La limite de joueurs étrangers au sein des clubs russes, cinq par équipe, cause une flambée artificielle des salaires chez les joueurs de la Fédération de Russie. On retrouve donc sur la liste des Nord-Américains, des Finlandais, des Slovaques, etc. On y trouve même un Français. Ce n’est nul autre que Damien Fleury.

Han Yunhang

« Les dirigeants du club m’ont vu jouer aux Championnats mondiaux derniers. Ça fait un bon bout de temps que je veux jouer dans la KHL. Je me suis préparé à cela en discutant avec Stéphane Da Costa qui entame sa troisième saison dans la ligue. J’ai toutefois été un peu surpris de recevoir l’offre de Beijing, mais je suis certain que ce sera une expérience extraordinaire. »

Deux semaines plus tard, le Québec a vu l’un de ses représentants rejoindre les Kunlun Red Stars. Après quatre saisons en Suisse, Alexandre Picard fait le saut, lui aussi, dans la KHL en passant par Pékin.

« Je voulais demeurer en Suisse, mais le marché était beaucoup trop saturé. La limite de joueurs étrangers est beaucoup trop serrée. La Suisse, c’est plaisant parce qu’on ne fait jamais de longs voyages. Cela dit, jouer dans la KHL, c’est très intéressant. On m’a dit qu’à Beijing, nous allons vivre dans le village olympique. »

La ligue n’impose pas de limite de joueurs étrangers au club de Pékin. Dans une lettre dédiée à RDS, le président de la KHL, Dmitry Chernyshenko, s’est dit serein avec un club chinois sans Chinois dans le circuit.

« Nous sommes conscients que le système de hockey chinois n’est pas encore assez fort pour fournir assez de joueurs pour une équipe. Au début, le club embauchera un nombre important d’étrangers pour s’assurer d’être compétitif. Le Medvescak de Zagreb joue ainsi depuis la saison 2013-2014 et ils ont réussi à fournir un calibre de jeu acceptable pour la ligue. »

L’ancien président de la KHL, Alexander Medvedev, a abondé dans le même sens à plusieurs reprises dans les médias russes. Beaucoup d’analystes demeurent toutefois sceptiques par rapport aux succès commerciaux du club si l’équipe n’est basée que sur des joueurs étrangers. Gervais Lavoie fait partie de ce groupe.

« Ça leur prend des joueurs chinois pour rendre le club populaire. Notre ligue amateur en est un bon exemple. Lorsqu’on jouait à Beijing, la présence de Chinois dans l’équipe avait un impact direct sur l’intérêt des passants. Lorsque nous étions seulement des étrangers, les Chinois ne restaient jamais plus que cinq minutes. Il s’agissait d’ajouter deux ou trois Chinois sur la glace pour devenir une beaucoup plus grande force d’attraction. »

Recruter des joueurs chinois du calibre de la KHL est un défi de taille. Gervais Lavoie dit ne pas en connaître. Ils ne sont certainement pas avec les Dragons de Qiqihar, dans la Ligue asiatique. Matt Dalton y joue depuis deux ans et il a passé trois saisons dans la KHL. Il est catégorique. Aucun joueur des Dragons n’est de calibre. Richard Wang, de la CIHA, semble toutefois avoir une solution.

« Nous avons l’intention de recruter des Chinois expatriés pour renforcer notre équipe nationale. »

Sans surprise, la République populaire de Chine est le pays avec la plus grande diaspora du globe. Beaucoup de descendants chinois vivent dans les pays nordiques. Zachary Yuen en est un bon exemple. Les parents du jeune homme de 23 ans sont originaires de Hong Kong et ils ont initié leur fils au hockey sur glace après s’être installés en Colombie-Britannique.

« Ils veulent quelques visages chinois et c’est ce pour quoi ils m’ont donné un coup de fil. J’aimerais obtenir la citoyenneté chinoise et représenter le pays dans les compétitions internationales. La KHL me donne aussi l’opportunité de jouer dans un calibre plus fort que la East Coast League. Je vois déjà, au camp d’entraînement, que la ligue est beaucoup plus forte. »

Rudi YingCe camp d’entraînement a commencé en Finlande. Le club y a joué trois matchs hors concours qu’il a tous perdus. L’équipe a toutefois bien paru et les dirigeants ont aussi pu mettre à l’essai 14 autres joueurs chinois dont la majorité vient de Harbin. Seulement trois de ces joueurs ont été sélectionnés. On trouve un cerbère, Shengrong Xia, qui fera office de troisième gardien. Il y a aussi Guan Wang, né en Ohio, dont les banques de données Internet ne connaissent rien et surtout Rudi Ying, un surdoué de 17 ans. Alexandre Picard avoue avoir été impressionné par ce dernier.

« Il est vraiment bon et il est pas mal grand. J’ai été surpris lorsque j’ai su son âge. Je ne pensais pas qu’il était aussi jeune. »

Rudi Ying est un ami d’enfance d’Andong Song, le sixième choix des Islanders en 2015. Né à Pékin en 1998, Ying a quitté la Chine pour Chicago à l’âge de neuf ans. Il joue pour la Chine avec les moins de 18 ans depuis l’âge de 14 ans. À 17 ans, il mesure déjà 6 pieds 1 pouce. Rudi a pleinement profité de son camp d’entraînement de la KHL.

« Avant de venir ici, je croyais que le hockey, c’était seulement sur la glace. J’ai regardé les joueurs de cette équipe et j’ai compris l’importance de l’entraînement en salle. J’ai aussi compris l’importance d’avoir une alimentation saine. J’essaie de faire mes preuves et d’être le plus utile possible à l’équipe. J’espère pouvoir rester toute la saison avec le club. »

Après la Finlande, c’est au Kazakhstan que la préparation du club chinois se poursuivra. Lorsque le champion de la Coupe du Président kazakh sera connu, le club séjournera à Moscou pour se préparer à son premier match à Pékin contre l’Admiral de Vladivostok en date du 5 septembre 2016. L’histoire se souviendra de cette année comme celle où les ligues majeures se seront implantées dans l’Empire du Milieu.

*Samedi : Quand la Chine s'éveillera... la LNH tremblera.
Dans le dernier texte de cette série de cinq, notre chroniqueur nous parlera de Larry Kwong, le premier Chinois dans la LNH.