Forte de ses 1,3 milliard d’habitants, la République populaire de Chine a chamboulé chaque sport olympique dans lequel elle s’est donné le mandat de dominer le monde. Après le patinage de vitesse et le patinage artistique, le Dragon chinois s’attaque au hockey sur glace. Dans le deuxième texte d'une série de cinq articles, Alexandre Pouliot-Roberge nous explique les difficultés rencontrées dans la réforme du système de hockey chinois.

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En septembre 2008, Claude Lemieux prend le monde du hockey par surprise en annonçant son retour au jeu. Pour convaincre Doug Wilson de le mettre sous contrat avec les Sharks de San Jose, Lemieux n’a pas hésité à faire un détour par la Chine afin de reprendre la forme. Derek Eisler se souvient de cet étrange épisode.

« Ce fut un moment extraordinaire pour la Ligue asiatique (AIHL). La présence d’un tel ambassadeur du hockey a été une source de motivation pour tout le monde. Les joueurs chinois ont été très touchés par son passage à Shanghai. »

Aujourd’hui entraîneur-chef de l’équipe nationale d’Israël, Eisler dirigeait, à l’époque, les Sharks de Shanghai, un club parrainé par les Sharks de San Jose.

« Les Sharks m’ont délégué un second entraîneur et un responsable de l’équipement. Le club nous prêtait aussi cinq joueurs de son système. Lors de la première saison, en 2007-08, nous avons joué nos matchs à Beijing. Le club a par la suite déménagé dans un aréna de 5 000 sièges à Shanghai. »

Dans l’AIHL, le club joue contre des équipes de Corée et du Japon où le hockey est plus développé. Les Sharks font des progrès, mais cela coupera court. À l’été 2009, Eisler a déjà ses papiers en main pour rejoindre Shanghai, mais il n’y retournera pas.Les Sharks de la Chine : Team21

« Les commanditaires chinois ont simplement retiré leurs billes du jour au lendemain et San Jose nous a annoncé que tout était annulé. »

Gervais Lavoie a passé 40 ans en Chine. Aux yeux de l’ex-maoïste montréalais, aujourd’hui homme d’affaires, le dénouement de cette histoire sent le déjà-vu.

« Les divers projets de hockey ont souvent échoué à cause de désaccords entre les Chinois et les étrangers. La partie chinoise a promis mer et monde, mais elle n’a jamais livré la marchandise. »

Des requins aux dragons

Les Sharks de la Chine se sont donc transformées en Dragons en 2009. Ils jouent toujours dans l’AIHL aujourd’hui. Lorsque Brett Parnham rejoint le club, à l’hiver 2014, les Dragons jouent toujours à Shanghai.

« Nous avions un splendide aréna à Shanghai, mais nous n’avions jamais plus d’une centaine de partisans. À ma deuxième saison, le club a déménagé à Qiqihar. »

Brett Parnham est natif d’Orillia en Ontario. Lorsqu’il s’envole pour la Chine, l’ancien joueur de centre des Generals d’Oshawa en est à son deuxième séjour outremer. De l’automne 2011, au printemps 2013, il a joué en Russie et au Kazakhstan. Il n’a que de bons mots pour les Dragons.

« Le club est bien organisé et nous avions beaucoup de personnel à notre disposition. Il avait un interprète apte à parler en anglais et en japonais. Nous avions même un service d’acuponcture! »Brett Parnham

Evan Stoflet est natif de Madison, au Wisconsin. Arrivé en 2015, il corrobore les propos de Parnham.

« Les Japonais étaient fous de l’acuponcture. Chaque fois qu’ils avaient un muscle endolori, ils allaient voir l’acuponcteur. Moi, je me suis tenu loin de cette pratique. Ça ne marche pas et, de toute façon, j’ai peur des aiguilles! »

Les services offerts aux joueurs ne se limitent pas à l’acuponcture. En fait, les Dragons ne manquent pas de personnel. Selon le défenseur américain, ils en ont peut-être même un peu trop.

« Sur la route, nous avions quatre chefs d’équipe et beaucoup de responsables de l’équipement. Nous, les étrangers, nous gérions notre propre équipement. Tous ces gens n’étaient pour nous que des visages souriants. »

Les Dragons ont le plus petit budget de l’AIHL. Ils n’ont pas de problèmes financiers, mais le club peine toutefois à gagner quelques matchs par saison. Cela n’empêche pas, comme l’explique Stoflet, l’Association chinoise de hockey sur glace (CIHA) d’utiliser les Dragons pour promouvoir le hockey à la grandeur du pays.

« Nous sommes basés à Qiqihar, mais certains de nos matchs ont eu lieu à Harbin, Shanghai et Beijing. Les rencontres au Palais omnisports de la capitale de Beijing ont été diffusées à la télévision nationale. Nous avons aussi fait des pratiques publiques dans les villes du nord-est. »

Les deux mondes parallèles de Harbin et Beijing

Le nord-est de la Chine est le berceau du hockey chinois. C’est dans cette région que l’on trouve le championnat national. Le calibre y est très faible et les méthodes d’entraînement datent des années 70. Richard Wang, de la CIHA, confirme que la Chine doit professionnaliser sa Ligue nationale. Une position partagée par Simon Chen.

« Il y a quelques années, je suis allé jouer contre les clubs du nord-est. Nous étions une équipe formée seulement d’expatriés. À Harbin, les arbitres locaux nous ont donné 16 pénalités dans la première période. Nous avons terminé le match avec quatre blessés à cause des coups salauds ignorés par les officiels. »

Né à Beijing, Simon joue au hockey aux États-Unis depuis l’âge de neuf ans et il défend les couleurs de la Chine dans les compétitions internationales. Bien qu’il respecte les joueurs de Harbin et Qiqihar, il est très critique de l’attitude de certains gestionnaires.

« Il y a des problèmes de corruption. Les dirigeants agissent comme s’ils étaient propriétaires des joueurs. Ils peuvent boycotter l’équipe nationale si leurs entraîneurs ne la dirigent pas. »

Malgré les difficultés, des braves tentent de faire avancer les choses. Le club Admiral de Vladivostok a signé des ententes de parrainages avec les clubs de Harbin, de Jilin et de Shenyang, comme l’explique, Kirill Belyakov, l’attaché de presse du club.

« À ce stade, le club s’est engagé à envoyer des spécialistes dans les diverses écoles chinoises de hockey. Nous avons aussi ouvert la porte à la présence de joueurs juniors chinois dans notre club-école de la MHL. »

Il y a aussi de l’espoir du côté de la CIHA. Comme Gervais Lavoie l’explique, les choses changent depuis l’obtention des Olympiques de 2022.

« Ils ont restructuré la fédération de hockey. Avant, elle était dirigée par des bureaucrates nommés arbitrairement par le Parti communiste. Aujourd’hui, les gens en place sont beaucoup plus compétents. D’anciens joueurs de hockey et de bons entraîneurs ont maintenant les coudées franches pour travailler. »

La Fédération de hockey de Beijing, de son côté, est une organisation bien différente de celles du nord-est. Simon Chen assure que les gens responsables, dans sa ville natale, sont plus efficaces et plus honnêtes. Gervais Lavoie explique que la capitale chinoise doit toutefois se débattre avec d’autres problèmes majeurs.

« À Beijing, le nombre de glaces est limité et souvent éloigné. Avec les immondes bouchons de circulation de la ville, les parents doivent sacrifier un temps fou uniquement pour aller porter leurs enfants aux entraînements. Le calendrier scolaire n’aide pas. Les charges d’études au secondaire sont très lourdes. Au niveau pee-wee, il a plus d’une trentaine d’équipes, mais dès le bantam, la majorité des jeunes abandonnent le hockey. »

Les partenaires internationaux travaillent fort pour surmonter ces difficultés. Le Jokerit d’Helsinki, club finlandais de la KHL, est l’un d’entre eux. Les dirigeants du Jokerit sont très impliqués dans le parrainage dans le hockey junior et dans l’optimisation des infrastructures de hockey. Son chef exécutif, Jukka Kohonen, a proposé aux Chinois de développer des programmes de sport-étude.

« Nous avons proposé à la CIHA d’implanter ce type de programme dans les écoles secondaires. Au hockey, les enfants doivent s’entraîner en équipe. En Chine, ce sport est souvent enseigné comme les sports individuels. Les joueurs ont donc de la difficulté à jouer en équipe. »

Le Jokerit concentre ses activités à Beijing, mais l’implication de la KHL ne se limite pas à la capitale. Comme mentionné plus haut, l’Admiral de Vladivostok est présent dans le nord-est de la Chine. Il l’est aussi à Beijing, Qingdao, Tianjin, Shanghai, Hangzhou, Shenzhen et Hong Kong.

Hong Kong : une île, une ville et une fédération

L’Association de hockey de Hong Kong (HKIHA) est membre de l’IIHF depuis 1983. Elle est complètement indépendante des structures chinoises comme l’explique Leo Kan de la HKIHA.

« Nos relations avec la CIHA ressemblent à celles que nous avons avec la fédération japonaise. Nous avons notre propre équipe nationale et notre propre ligue. »

Cette ligue est la CIHL, un circuit amateur où la majorité des joueurs sont des hockeyeurs à la retraite. Julien Jorand défend les couleurs des Sharks de la Chine du sud. Le Suisse est fier de faire partie de ce circuit atypique.

« Je suis venu vivre à Hong Kong pour travailler comme horloger. J’ai connu la CIHL en me rendant au centre commercial MegaBox. Il y a une patinoire au dixième étage de l’édifice. J’ai été repêché par les South China Sharks après m’être inscrit dans la ligue. Le calibre est très élevé pour une ligue amateur. Il y a beaucoup d’anciens joueurs professionnels dans les clubs. »

Au sein des équipes, les étrangers sont majoritaires, mais des jeunes joueurs de Hong Kong et de Macao commencent à y faire leur apparition. Justin Cheng est le plus prolifique joueur de l’équipe nationale de Hong Kong. Il évolue aujourd’hui en Ontario dans la GMHL, mais il a joué pour les Sharks dès l’âge de 14 ans.

« J’ai connu le hockey lors d’un passage Megabox. J’ai aimé cela et j’ai décidé d’y jouer. J’ai appris à patiner et j’ai commencé à participer à des entraînements privés. »

Quatre clubs se disputent le championnat de la CIHL. En plus des Sharks du sud de la Chine, on trouve les Warriors de Kowloon, les Aces de Macao et les Tycoons de Hong Kong. Malgré leurs noms, les clubs jouent tous au MegaBox. Gregory Smith, le fondateur de la ligue, explique que c’est dû au manque de glaces.

« MegaBox nous demande 1200 dollars américains de l’heure. C’est très dispendieux, mais nous n’avons pas d’autres options. Nous avons pour projet, à plus long terme, d’implanter nos clubs sur leur territoire d’affiliation, mais il n’y a pas encore de glace pour le faire. »

Gordie Howe à Hong KongGregory Smith vit à Hong Kong depuis 23 ans. Il a s’implique dans le hockey mineur local et il recrute des spécialistes pour tenir des stages. En 1998, Smith a réussi à déplacer Gordie Howe en personne lors d’une de ses activités. Après plusieurs années de travail, il a finalement rallié assez d’entreprises canadiennes, dont la Banque de Montréal, à son projet de ligue de hockey. Malgré les progrès, les jeunes joueurs continuent à s’exiler. Justin Cheng en explique les raisons.

« À Hong Kong, il y a peu de matchs et il faut jouer contre les adultes pour avoir un niveau respectable. En Ontario, je joue contre des gars de mon âge et j’ai plus de temps de glace. J’ai donc quitté Hong Kong pour progresser et poursuivre mes études en même temps. »

À 18 ans, Justin est un des nombreux Asiatiques expatriés en Amérique du Nord pour tenter sa chance d’atteindre la LNH. Hong Kong n’est pas seule à subir ce phénomène. La République Populaire de Chine a aussi sa propre diaspora de hockey.