Forte de ses 1,3 milliard d’habitants, la République populaire de Chine a chamboulé chaque sport olympique dans lequel elle s’est donné le mandat de dominer le monde. Après le patinage de vitesse et le patinage artistique, le Dragon chinois s’attaque au hockey sur glace. Dans cette série de cinq articles, Alexandre Pouliot-Roberge nous tisse un portrait du grand bond en avant que la nouvelle puissance mondiale devra faire pour renverser les titans du hockey international.
 

****************

La République populaire de Chine est la ruée vers l’or du 21e siècle, mais sa longue marche vers le statut de puissance mondiale n’a pas été de tout repos. Soumise aux dictats des empires occidentaux à la fin du 19e siècle, la Chine redeviendra un joueur important de la politique internationale après la prise du pouvoir par Mao Zedong et le Parti communiste en 1949. Cette même année, le hockey sur glace fera ses débuts au pays comme l’explique Richard Wang de l’Association chinoise de hockey sur glace (CIHA).

« Le hockey sur glace est apparu dans le nord-est de la Chine en 1949, mais le hockey existe depuis des siècles dans notre pays. »

Bei KuoRichard Wang parle du bei kuo, un sport parent au hockey sur gazon. Le bei kuo est le sport sacré des Daurs, une minorité nationale de la Mongolie intérieure de 130 000 âmes. Les Daurs sont tellement fous du hockey, qu’ils ont même un proverbe local à saveur canadienne. « N’est bon à rien celui qui ne sait point jouer au hockey », disent-ils. La passion pour le bei kuo demeure toutefois limitée à leur territoire.

Le hockey sur glace a lui aussi longtemps vécu cloîtré dans le nord-est de la Chine. Fondé en 1953, le championnat national chinois a depuis été remporté presque exclusivement par les villes de Qiqihar et de Harbin. Très proches de la frontière russe, ces villes subissent des hivers aussi froids qu’au Nunavut. Bob Hindmarsh l’a constaté lors de son voyage historique de 1973 avec les Thunderbirds de l’Université de la Colombie-Britannique.

« À Harbin, il faisait -25 degrés Celsius. Nous avons dû jouer quatre périodes sur cette patinoire extérieure, car les organisateurs voulaient vider les estrades à la mi-match et donner la chance à d’autres spectateurs de regarder. On parle de gradins pour 15 000 personnes! Je devais jouer avec un trio sur la glace et un seul sur le banc. Les autres attendaient leur tour au vestiaire. Sans cette rotation, certains seraient certainement morts de froid! »

À l’époque, les Thunderbirds participent à un exercice diplomatique. Après la reconnaissance de la République populaire de Chine par Pierre-Elliott Trudeau, en 1970, les deux États organisent un échange d’équipes sportives. À l’époque, Bob Hindmarsh dirige le programme de développement de la Canadian International Hockey Academy (CIHA). Pédagogue de renom, il est l’homme de la situation pour transformer cette tournée diplomatique en école de hockey itinérante.

« Nous avons affronté sept équipes durant notre voyage. Les Chinois avaient été très clairs, ils ne voulaient pas qu’on leur fasse de cadeau. Ils voulaient connaître leurs réelles forces. Nous avons constaté qu’ils avaient beaucoup de difficulté avec les mises en échec. Ils utilisaient leur bâton et ils recevaient de nombreuses pénalités. Nous avons travaillé avec eux pour améliorer leur technique. »

Les représentants de l’Université de la Colombie-Britannique n’ont négligé aucune des régions de hockey du nord-est de la Chine. En plus de Harbin et Qiqihar, les troupes de Bob Hindmarsh ont visité les villes d’Heilongjiang et de Jilin, où ils ont joué deux joutes. La tournée a toutefois débuté au Palais omnisports de la capitale de Pékin par un match contre l’équipe nationale. L’entraîneur britanno-colombien est encore, aujourd’hui, amusé par le déroulement de ce match.

« L’aréna était plein à craquer et tous les spectateurs étaient venus au match à vélo. Dans le stationnement, il y avait presque 20 000 bicyclettes! La foule de Pékin n’était pas habituée à regarder le hockey. Elle réagissait à des faits anodins comme un travail efficace de protection de la rondelle ou un joueur se jetant sur la glace pour bloquer un tir. C’est comme s’ils n’avaient jamais rien vu d’aussi extraordinaire depuis longtemps! »

La tournée des Thunderbirds a été immortalisée dans un film produit par l’ONF et dirigé par Les Rose. Dans ce documentaire d’une heure, les images des matchs et des entraînements ouverts au public local semblent parfois surréalistes. On voit aussi les joueurs voyager en train et fraterniser avec la population chinoise. Un hockeyeur blessé est aussi soigné grâce à l’acuponcture. Bob Hindmarsh est encore ému lorsqu’il parle de cette aventure.

« Ce fut une expérience extraordinaire. Les Chinois ont été très gentils avec nous. Nous avons appris quelques mots de mandarin pour communiquer avec les habitants du pays. Certains de nos joueurs se sont faits des amis avec lesquels ils sont toujours en contact aujourd’hui. »

En quête d’une reconnaissance internationale

Le voyage des Thunderbirds a lieu une année après l’entrée de la Chine dans les compétitions internationales de l'IIHF avec une défaite à Bucharest contre la Roumanie en 1972. Les Chinois multiplient les rencontres amicales. Un Montréalais en visite en Chine, Roger Rashi, assiste à l’une d’entre elles au Palais omnisports de la capitale de Pékin en décembre 1978.

« Il y avait quatre équipes dans ce tournoi. C’était la Roumanie, la Pologne, le Japon ainsi que la Chine. Nous avons assisté à l’affrontement entre la Chine et le Japon. Je dois avouer que le calibre de jeu n’était pas très élevé. »

Aujourd’hui militant à Québec Solidaire, Roger Rashi est, à l’époque, d’obédience maoïste. Il se trouve en Chine avec la délégation de la Ligue communiste (marxiste-léniniste) du Canada, l’ancêtre du Parti communiste ouvrier (PCO). Avec cinq de ses camarades, il accepte l’invitation à un match au Palais omnisports. Il est encore abasourdi par rapport à ce qu’il a assisté.

« Les gradins étaient pleins à craquer, mais la foule était silencieuse. Aucun des buts n’a reçu d’applaudissements durant le match. Il n’y avait que des militaires dans les estrades. Les officiers avaient leur propre section. La Chine a perdu le match par la marque de 4 à 2 et cette défaite a causé une émeute spontanée. C’était ahurissant. Des centaines de Chinois se battaient entre eux dans les estrades. C’était l’évènement sportif le plus bizarre auquel j’ai assisté dans ma vie et j’en ai vu d’autres. J’ai été souvent au soccer en Europe! »

Cette histoire peut paraître incroyable aux yeux du lecteur, mais elle semble tout à fait plausible aux yeux de Gervais Lavoie.

« Ça ne me surprend pas beaucoup, car les Chinois sont très mauvais perdants. »

Équipe de l'Ambassade du CanadaDans les années 70, Gervais Lavoie est lui aussi maoïste. En 1976, il part en à Pékin pour étudier à l’université et mieux connaître l’expérience chinoise. Durant sa première année en Chine, il joue au hockey avec d’autres étrangers.

« Nous allions jouer à l’ambassade soviétique. Les Russes avaient une délégation de 300 personnes, dont plusieurs joueurs de hockey. Ils avaient donc une glace sur leur terrain. Notre groupe était constitué de quelques Canadiens et d’employés de l’ambassade suisse. »

Après une année en Chine, Gervais Lavoie quitte le pays pour revenir en 1980. Il restera à Pékin durant 35 ans. Il y deviendra entrepreneur et il s’impliquera dans le hockey chinois. Il a été témoin de diverses tentatives de la CIHA d’améliorer son équipe nationale.

« Dans les années 80, il y avait du hockey professionnel dans le nord-est de la Chine. Les clubs étaient liés au bureau des sports local et les joueurs recevaient le salaire minimum. À la fin de leur carrière, on les remerciait avec une bourse d’études. La carrière d’un joueur durait environ trois ou quatre ans. »

Ce système est inefficace et la Chine continue de perdre ses matchs sur la scène internationale. Au milieu des années 90, le système de hockey chinois est très en retard. Cela n’empêche pas les amoureux de ce sport de continuer la lutte. Gervais Lavoie en est la preuve vivante.

« En 1995-1996, j’ai fondé la première école de hockey de Pékin. À notre grande surprise, beaucoup de Chinois ont tenu à y inscrire leurs enfants. La majorité était dépourvue d’équipement. Certains d’entre eux avaient un bâton et d’autres avaient amené des patins dignes des années 40. Les gens étaient curieux et ils voulaient essayer les nouvelles glaces intérieures. »

Malgré certaines initiatives locales, le hockey demeure un sport inaccessible au commun des mortels. Les familles aisées de Pékin ont le luxe d’envoyer leurs enfants goûter au hockey, mais les Pékinois n’ont généralement pas le gabarit des joueurs de hockey d’élite et le bastion traditionnel du hockey chinois n’arrive pas à moderniser son système.

Gervais Lavoie« À Harbin et à Qiqihar, les gens sont beaucoup plus costauds. Ils ont la physionomie typique des joueurs de hockey. Malheureusement, ces régions n’ont pas d’argent et les infrastructures nécessaires pour progresser. Les entraîneurs y utilisent toujours les méthodes qu’ils ont appris des Russes dans les années 60. La classe moyenne n’a pas l’argent nécessaire pour acheter l’équipement. »

Durant plus de 20 ans, le hockey sur glace demeurera, en Chine, un sport marginalisé. Le gouvernement continuera de privilégier les sports individuels où un athlète peut remporter, à lui seul, plusieurs médailles. Comme le dit Gervais Lavoie, « le hockey est l’orphelin des sports d’hiver en Chine ». Le destin de notre sport national changera toutefois en juillet 2015 lorsque Pékin obtiendra les Jeux olympiques d’hiver de 2022.
 

*Mercredi : Quand la Chine s'éveillera... le hockey asiatique tremblera.
Dans le deuxième texte de cette série de cinq, notre chroniqueur abordera le système de hockey mineur chinois.