MONTRÉAL - Après avoir orchestré le transfert de la présidence de la Fédération internationale de hockey sur glace (IIHF) qu’il occupait depuis 1994 vers le Québécois Luc Tardif, René Fasel a passé un Noël et une période des Fêtes tranquille dans sa Suisse natale.

 

Du moins, c’était le plan.

 

Un plan que le variant Omicron est venu chambarder à défaut de totalement saccager.

 

Quoi que...

 

À l’image de tous les grands amateurs de hockey répartis aux quatre coins d’une planète qui a pris de l’expansion au cours de son règne à la tête de la IIHF, René Fasel a été privé du Championnat mondial de hockey junior.

 

Pour la première fois en 28 ans, c’est du confort de son domicile de Zurich et non dans les loges réservées aux dignitaires et autres commanditaires d’un tournoi qu’il a contribué à rendre plus grand que nature que l’ancien président se préparait à savourer les prouesses des meilleurs hockeyeurs âgés de moins de 20 ans au monde.

 

Comme vous, comme moi, comme tout le monde, René Fasel est resté sur son appétit.

 

La COVID a d’abord forcé l’annulation de quelques matchs avant d’obliger son successeur à prendre une deuxième décision très difficile depuis le début de son mandat en septembre: l’annulation – le report en fait puisque la IIHF entend reprendre le tournoi lorsque l’échec avant de la COVID sera moins étouffant – du championnat mondial junior qui venait de se mettre en branle à Edmonton. Déjà critiqué sur toutes les tribunes pour avoir reporté – toujours en raison du virus – le tournoi qui devait mettre en valeur les meilleures joueuses de hockey au monde âgées de moins de 18 ans, Luc Tardif a essuyé une deuxième vague de critiques.

 

Bien qu’il ait esquivé ces cascades de critiques, René Fasel s’est bien gardé d’abandonner son successeur. Il n’a pas hésité à offrir des conseils lorsqu’on l’a sollicité. Après tout, s’il est possible de sortir assez facilement un homme de hockey de la présidence de la IIHF, il est bien plus difficile de sortir l’amour du hockey d’un ancien président. Surtout quand il vient à peine de ranger des patins qu’il chaussait depuis 27 ans.

Quelques jours après que l’annulation, ou report, du Championnat mondial de hockey junior soit venu briser la magie des Fêtes, une magie déjà ternie en Suisse en raison de l’annulation de la coupe Spengler, René Fasel a dû composer avec une déception plus grande encore : la décision de la LNH et de ses joueurs de tourner le dos aux Jeux olympiques de Pékin.

 

Disons que comme cadeaux de retraite, on a déjà vu plus généreux que les annulations de la coupe Spengler, des championnats du monde junior chez les hommes et des moins de 18 ans chez les femmes sans oublier le retrait des joueurs de la LNH du tournoi olympique de Pékin.

 

On a aussi déjà vu mieux comme cadeau d’anniversaire alors que René Fasel célébrera son 72e le 6 février prochain. À titre de membre du Comité international olympique (CIO), il sera – ou devrait être – alors en Chine pour assister aux Jeux et au tournoi olympique qui n’aura pas le lustre espéré.

 

Cette absence décriée par plusieurs, à commencer par plusieurs joueurs de la LNH, est bien dommage. Dommage pour les joueurs qui rateront l’occasion de défendre les couleurs de leurs pays. Dommage pour les fans qui seront privés du plus haut niveau de hockey qu’il soit possible d’imaginer. Dommage pour les diffuseurs qui paient des sommes astronomiques pour la diffusion des Jeux et qui n’auront pas le hockey qu’il souhaitait à leurs antennes.

 

Cette absence est aussi bien dommage pour René Fasel. Car un retour des joueurs de la LNH après leur absence en Corée du Sud (2018) aurait permis d’auréoler la retraite de l’ancien président qui a été le premier à regrouper les meilleurs joueurs de hockey au monde dans le cadre d’un tournoi de hockey. Un fait marquant de son règne survenu en 1998 à Nagano (Japon). Après de longues négociations avec le commissaire Gary Bettman, René Fasel avait obtenu que la LNH, comme toutes les autres ligues professionnelles en Europe, observe une trêve dans son calendrier afin de permettre à ses meilleurs joueurs de prendre part aux Jeux olympiques.

 

Les joueurs de la LNH ont ensuite rehaussé les tournois olympiques à Salt Lake City (2002), Turin (2006), Vancouver (2010) et Sotchi (2014) avant de rater les rendez-vous de Peyongchang et de Pékin. Peut-être pourront-ils faire revivre le rêve olympique de René Fasel dans quatre ans alors que les Jeux seront présentés en Italie (Milan et Cortina d’Ampezzo).

 

Une pause... et plein de projets

 

Nouvellement retraité, René Fasel reprenait son souffle lorsque je l’ai joint chez lui à Zurich avant les Fêtes.

 

« Je vais bientôt avoir 72 ans. Les dernières années ont été difficiles avec les contrecoups de la COVID ici en Europe et partout dans le monde. Il est peut-être temps de penser à lever le pied un peu vous savez », qu’il m’a répondu lorsque je lui demandé s’il profitait pleinement de ses premières semaines à titre de retraité.

 

Mais attention! L’expression « levez le pied » ne semble pas avoir la même signification dans la bouche de René Fasel qui, malgré ses 71 ans, pourrait faire la barbe à des bien plus jeunes en matière d’énergie déployée à partager sa passion pour le hockey.

 

De fait, Fasel revenait d’une visite en Israël où, avec Vyacheslav Fetisov – ancien grand défenseur de l’équipe nationale de l’Union soviétique et aujourd’hui ministre des Sports de la Russie – il travaille à développer le hockey.

 

« C’est incroyable ce qui se fait là-bas en ce moment. Le sport est en pleine effervescence. C’est fantastique! »

 

Sa complicité avec Fetisov laisse aussi croire que René Fasel pourrait troquer le siège de président de la IIHF qu’il vient de céder à son dauphin Luc Tardif pour celui de président de la KHL. La grande Ligue russe qui se targue d’être la deuxième en importance sur la planète hockey derrière la Ligue nationale.

 

Il semble d’ailleurs que Fasel travaille à apprendre le russe et à camoufler autant que faire se peut le charmant accent de Fribourg, sa ville natale, qui colore toujours aujourd’hui son français malgré les nombreuses années passées à Zurich où il s’est rapproché des bureaux de la IIHF une fois président.

 

« Il faut faire attention à tout ce que vous entendez », lance René Fasel en guise de première esquive.

 

Sur les traces de Garry Bettman ?

 

La suite de la conversation laisse toutefois clairement comprendre que le nouveau retraité n’a pas l’intention de passer ses journées à s’abreuver de souvenirs tout en contemplant les sommets enneigés qui pointent vers le ciel et à s’offrir quelques matchs de hockey pour égayer ses soirées.

 

« J’ai reçu des offres au fil des dernières semaines. C’est vrai. Il y a plein de défis intéressants à relever dans le monde du hockey. Que ce soit en KHL ou ailleurs. Je vous l’ai dit tout à l’heure, je veux m’offrir une pause. Je veux reprendre mon souffle. J’ai passé les derniers mois à préparer la transition vers Luc Tardif. Je serai en Chine pour les prochains Jeux. Ensuite? Allez savoir! J’ai besoin d’un peu de repos, j’en conviens. Mais une fois bien reposé, et malgré mes 72 ans, je sais que je serai encore assez en forme pour relever d’autres défis. Peut-être comme consultant d’abord afin de ne pas être dans le tourbillon des opérations quotidiennes. Je ne sais pas. Le temps le dira. »

 

Pour un gars qui laissait la porte ouverte à plusieurs options, René Fasel donnait l’impression d’avoir un itinéraire bien tracé devant lui.

 

Mais bon. Le temps le dira.

 

Cela dit, il serait un brin ironique de voir Fasel à la tête de la Ligue qui offre le plus de compétition à la LNH. Une rivalité normale diront plusieurs considérant les nombreux coude à coude que l’ancien président de la IIHF a livrés au commissaire de la LNH au fil des ans.

 

René Fasel ricane à l’autre bout du fils lorsque je lui suggère un éventuel face à face avec Bettman à titre de président de la KHL.

 

« Quand tu regardes la croissance qu’a connue la LNH depuis son arrivée, on doit tous reconnaître que Gary a effectué du très bon travail à la tête de sa Ligue. J’ai accédé à la présidence de la IIHF un an après son arrivée. Nos carrières se sont déroulées en parallèle et il est vrai que nous n’avons pas toujours partagé les mêmes points de vue. Mais il a toujours défendu sa Ligue », reconnaît Fasel qui pourrait maintenant suivre de quelques années son « adversaire » au Temple de la renommée du hockey où l’ancien président de la IIHF a une place qui l’attend à n’en pas douter.

 

Vers une LNH européenne

 

Bien que la KHL et ses 24 équipes forment une grande ligue de hockey et que l’idée d’en être le président ou commissaire représente un objectif de carrière susceptible de faire saliver n’importe qui, René Fasel se permet de rêver à une Ligue européenne qui pourrait davantage ressembler à la LNH.

 

« Nous avons une centaine de clubs professionnels répartis dans toutes nos ligues en Europe. On a des équipes en Russie, dans les pays scandinaves, en Suisse, en Allemagne, en Tchéquie, en Slovaquie, en France, en Italie. C’est beaucoup. C’est trop pour le nombre de joueurs de haut calibre à la disposition de tous ces clubs. Il en faudrait 2500 par années. Nous ne les avons pas. Les équipes doivent payer de gros salaires et offrir des conditions de vie de premier ordre pour attirer les meilleurs joueurs. La LNH partage ses revenus à 50-50 avec ses joueurs. Ici, c’est 100 % des revenus qui sont versés aux joueurs. Cela cause beaucoup de soucis aux équipes dont plusieurs opèrent à perte. Il est peut-être temps de revoir nos paramètres », lance René Fasel.

 

« La LNH a étendu à 32 son nombre d’équipes. Si nous en avions, 28, 30 ou 32 dans une grande ligue en Europe. Si nous avions des grands clubs dans les grandes villes et grandes capitales, nous pourrions rehausser le niveau de compétition sur la patinoire et offrir une concurrence plus saine à la Ligue nationale. À la grande époque du hockey en Union soviétique, on comptait 12 clubs répartis dans 15 républiques. Aujourd’hui, la KHL compte sur 24 clubs séparés par des milliers de kilomètres et qui évoluent dans neuf fuseaux horaires différents. Ça complique les opérations. Il y a peut-être moyen de structurer les choses pour faciliter les opérations et les rendre plus rentables. »

 

René Fasel parle de cette ligue dont il rêve à voix haute sans jamais indiquer qu’il aimerait en être le commissaire ou le président.

 

C’est normal.

 

La création d’une telle ligue, avec toutes les négociations à mener avec les gouvernements et les fédérations des pays concernés, sans oublier la IIHF, représente un défi colossal.

 

Un défi trop gros pour un président tout juste retraité qui aura bientôt 72 ans et dont la carrière est déjà auréolée de nombreux exploits et fait saillants l’assurant d’un héritage solide et d’une place bien en vue dans l’histoire du hockey ?

 

René Fasel n’a pas répondu.

 

Mais derrière ce silence qui a mené aux salutations d’usages à la fin de notre entretien, j’ai cru entendre le : « allez savoir! » qu’il m’avait offert une trentaine de minutes plus tôt lorsque je lui ai dit qu’il aurait de la difficulté à garder ses patins bien rangés.