LAVAL – Le but en soi n’avait rien d’exceptionnel. Ce n’est pas comme si Jérémy Grégoire était parti de sa propre ligne bleue, s’était faufilé entre deux adversaires, en avait déjoué un autre en pivotant sur lui-même et s’était moqué du gardien en gardant une seule main sur son bâton, à la Peter Forsberg.

 

« Il était devant le filet, la rondelle lui a frappé la jambe et elle est rentrée », s’est remémoré Sylvain Lefebvre sur un ton empreint de réalisme.

 

« En plein mon genre, s’esclaffe Grégoire quand on lui demande de décrire la scène. Mais un but c’est un but! Ce n’est pas comment, c’est combien! »

 

Ce qu’il y avait de particulier à propos du quatrième but de la saison de Grégoire, c’est le contexte dans lequel il venait d’être marqué. Cinq minutes plus tôt, les Phantoms de Lehigh Valley s’étaient donné une avance de deux buts. Le Rocket était rapidement parvenu à réduire cet écart, mais tout semblait indiquer qu’il allait manquer de temps pour compléter sa remontée. Il restait dix secondes à faire au match. Le temps d’une poussée ultime, d’une charge offensive inespérée.

 

Pas exactement le genre de scénario pour lequel Grégoire a eu l’habitude d’être sollicité depuis son passage chez les professionnels. Mais au cours des dernières semaines, l’exil des principaux ténors offensifs du Rocket a mis à l’épreuve la créativité de son entraîneur. Parmi toutes les expériences qui ont été tentées pour garder à flot l’attaque de l’équipe, celle d’accroître les responsabilités du choix de sixième ronde du Canadien en 2013 a été l’une des plus concluantes.

 

Grégoire a récolté six points à ses sept derniers matchs. Rien pour que les dirigeants de la Ligue américaine fassent entrer un employé à temps double pour réécrire son livre des records. Mais pour mettre le tout en perspective, prenez en considération les récents problèmes de production du Rocket, qui a été limité à deux buts ou moins dans dix de ses onze dernières parties. Dites-vous aussi qu’avant cette année, Grégoire n’avait jamais inscrit plus de douze points dans une saison complète chez les pros.

 

Avec la présence de Daniel Carr dans la Ligue nationale et le départ de Peter Holland, qui a été échangé à l’organisation des Rangers de New York, Grégoire est présentement le troisième meilleur marqueur du Rocket avec 14 points en 21 parties.

 

« Je pense que ça faisait longtemps qu’il attendait son tour, reconnaît Lefebvre. Ce que je reprochais à certains joueurs, de ne pas avoir pris l’opportunité qui était devant eux... Jérémy l’a pris, lui, son opportunité. »

 

« La Ligue américaine, c’est une ligue d’opportunités, a répété le joueur de centre de 22 ans. Quand tu en obtiens une, il faut que tu la saisisses. Avec les nombreux rappels, j’ai eu la mienne et ça a été plaisant d’être placé dans un rôle un peu plus offensif que dans les dernières années. »

 

Un déclic grâce à Cracknell

 

Grégoire n’est pas non plus un manchot. À 18 ans, il a connu une saison de 35 buts avec le Drakkar de Baie-Comeau. L’année suivante, il en a marqué 20 en seulement 32 matchs. L’attaquant originaire de Sherbrooke a toujours possédé une certaine touche offensive. Ce n’est qu’à son passage chez les professionnels, à 20 ans, qu’on a commencé à le confiner à des missions défensives.

« C’est sa troisième année avec nous, on le connaît, affirme Lefebvre. Pas comme si on l’avait tricoté, mais pas loin! On savait qu’il était capable de nous donner des minutes dans différentes situations. Évidemment, pendant les deux premières années qu’il a passées avec nous, son rôle était surtout défensif. On voulait qu’il tue des punitions, qu’il soit une petite peste sur la glace. Le rôle, dans le fond, que l’organisation croyait qu’il pouvait peut-être remplir dans la Ligue nationale. »

 

« J’aurais pu...  sans dire "casser", j’aurais pu m’effondrer et devenir uniquement un joueur défensif », réalise Grégoire, qui a toutefois su s’acquitter de ses nouvelles responsabilités sans jamais renier le marqueur qui sommeillait en lui. Sans dire que la transition a été aussi aisée qu’une flexion du doigt permettant d’activer un interrupteur, disons que le naturel n’a pas mis trop de temps à revenir au galop.

 

« Le plus compliqué, c’est de rester soi-même. J’ai eu du succès en pratiquant un certain style de jeu. Je bataille fort dans les coins, je vais chercher les rondelles libres... Je dois maintenant faire la même chose, mais entouré de joueurs un peu plus offensifs. La clé, c’est de savoir les repérer, mais en restant fidèle à ma nature. S’ils marquent grâce à mes efforts, c’est là que je vais me faire voir. »Jérémy Grégoire

 

Lors de la remontée à Lehigh Valley, Grégoire a fait le gros du boulot en compagnie d’Adam Cracknell. Le vétéran de 32 ans venait tout juste d’être acquis dans la transaction qui avait impliqué Holland. Dès ses premiers coups de patin à ses côtés, Grégoire a compris qu’il était possible de marcher et de mâcher de la gomme en même temps.

 

« Au début, je me mettais beaucoup de pression pour faire produire les gars. Qu’on le veuille ou non, je voulais qu’ils aiment jouer avec moi. Mais je me suis remis à jouer ma game en regardant Adam. Il est un spécialiste défensif en haut dans la Ligue nationale, mais avec nous autres, il est capable de garder le même style tout en créant de l’offensive. Je me suis dit "crime, si je reste fidèle à ma game, ça ne changera pas au niveau offensif ". À date, j’ai des résultats. »

 

Pour reprendre une image populaire dans les cercles du hockey, Grégoire devrait retrouver une chaise qui lui convient davantage avec les retours attendus de Nikita Scherbak et Michael McCarron. Les deux anciens choix de première ronde sont remis de leur blessure respective et devraient réintégrer la formation du Rocket en fin de semaine contre les Checkers de Charlotte.

 

Le temps de jeu qui leur sera accordé grugera inévitablement celui qui était réservé au combatif Québécois, mais Lefebvre entend continuer de miser sur le flair offensif sous-estimé de son plombier de luxe. Cette semaine, Grégoire s’est notamment entraîné sur la deuxième vague de l’avantage numérique.

 

« Peu importe, répond le principal intéressé quand on le place devant ce scénario. [Scherbak et McCarron] sont des purs marqueurs. Ce sera à eux de produire en revenant. Moi, ça m’enlève un peu de pression sur les épaules. Je vais marquer un peu moins de buts, mais de toute façon, je commençais à être un peu tanné d’entendre parler de ça! »