Chicago est une très belle ville. Même quand il vente et qu’il ne fait pas chaud, presque froid comme c’est le cas aujourd’hui. Le United Center est un amphithéâtre à l’intérieur duquel évoluent des vedettes comme Jonathan Toews, Patrick Kane, Marian Hossa et Duncan Keith. Des vedettes qui portent le plus bel uniforme tous sports confondus – surtout le blanc – et qui font des Blackhawks l’un des meilleurs clubs de la Ligue nationale.

C’est toutefois à Ottawa, dans le bien ordinaire Centre Canadian Tire, dans le milieu de nulle part au bout du Queensway où je voudrais être présentement.

Daniel Alfredsson y endosse ce soir l’uniforme bien ordinaire des Sénateurs d’Ottawa pour une dernière fois. Pour une dernière fois, il posera les patins sur la patinoire et, à défaut de disputer un dernier match de hockey, il prendra part à un échauffement qui ironiquement servira de conclusion à sa brillante carrière.

Ce matin, entouré du propriétaire Eugene Melnyk et du directeur général Brian Murray, Daniel Alfredsson et les Sénateurs ont corrigé une erreur qui n’aurait jamais dû être commise. En signant un contrat symbolique d’une journée, ces trois hommes ont effacé, au moins partiellement, l’exode vers Detroit où Alfredsson aura endossé l’uniforme des Red Wings pendant une saison.

Après l’avoir vu de près, mais de pas assez près, en 1996, Alfie voulait profiter d’une dernière chance d’y toucher. Il croyait, avec raison, que cette chance serait meilleure avec les Wings qu’avec les Sens.

Mais Alfredsson est un Sénateur depuis toujours. Un Sénateur sur la patinoire, et un Sénateur dans la vie de tous les jours alors qu’il avait fait d’Ottawa, sa deuxième ville. Loin de Göteborg, où il est né et d’où il est parti à l’assaut de la LNH avec sa compagne Bibi qui est devenue la mère de ses quatre enfants, quatre enfants nés à l’ombre du Palladium devenu Centre Corel, puis Place Banque Scotia avant de devenir Centre Canadian Tire, Alfredsson était un gars d’Ottawa. Il l’est redevenu en signant son contrat. Et c’est dans l’uniforme des Sénateurs, dans son uniforme, dans le chandail numéro 11 du capitaine qu’il portait lors de son dernier match il y a deux ans, qu’il effectue ce soir son dernier tour de piste.

Alfredsson a façonné l’avenir

Les Sénateurs évoluent dans un amphithéâtre quelconque. Leur uniforme est quelconque. Plusieurs de leurs joueurs d’aujourd’hui, d’hier et d’avant-hier sont, étaient et seront à jamais quelconques.

Mais le jour où ce petit viking aux cheveux blonds est débarqué à Ottawa, ce club quelconque, un club qui était dans les faits carrément mauvais, est aussitôt devenu meilleur. Pour la première fois de la courte histoire des Sénateurs d’Ottawa, l’avenir semblait meilleur.

Daniel Alfredsson n’a pas tout changé seul. Ça non! Jacques Martin s’est amené comme entraîneur pour montrer à cette équipe à jouer au hockey. Des jeunes Marian Hossa, Mike Fisher, Martin Havlat à l’attaque Wade Redden, Chris Phillips, Erik Karlsson à la défense sont venus chasser des plus vieux sur le déclin pour aider Daniel Alfredsson à faire des Sénateurs un club respecté dans la LNH.

Un club qui a même été par moment redouté alors qu’Alfie, avec la complicité de Jason Spezza et Danny Heatley, complétait l’un des plus redoutables trios de la LNH.

Les exploits de Daniel Alfredsson dépassent ses 444 buts, dont 73 filets gagnants et ses 1157 points récoltés en 1246 matchs.

En plus d’être un excellent joueur de hockey, Daniel Alfredsson était surtout un leader comme il s’en fait peu. Un roc dans le vestiaire d’un club qui a été secoué par des grèves de certains joueurs vedettes, par des ennuis financiers qui ont conduit le club vers une faillite qui menaçait la survie de cette équipe, par des défaites répétées en séries contre les damnés Maple Leafs de Toronto et par une finale de la Coupe Stanley au cours de laquelle les Sénateurs n’ont pu faire le poids face aux gros et puissants Mighty Ducks d’Anaheim.

Daniel Alfredsson a chassé Alexei Yashin du vestiaire alors que le grand Russe au talent fou faisait passer ses intérêts personnels avant ceux de l’équipe. Bon! « Chassé » est un trop grand mot. Car après tout, les Sénateurs ont réalisé une transaction sensationnelle lorsqu’ils se sont débarrassés de Yashin et du boulet qu’il représentait en le larguant aux Islanders de New York qui ont accepté de donner en échange un certain Zdeno Chara et un choix de première ronde qui est devenu Jason Spezza.

Daniel AlfredssonMais avant que cette transaction soit complétée, Alfredsson avait déjà pris le contrôle du vestiaire et s’assurant d’obtenir la complicité de tous les joueurs – sauf Yashin – dans la relance de l’équipe.

C’est à ce leader né que Marian Hossa, aujourd’hui avec les Blackhawks, tenait à rendre hommage lorsqu’on l’a croisé à Chicago, jeudi, dans le vestiaire des Hawks.

« Quand je suis arrivé dans la Ligue à 18 ans, Alfie m’a beaucoup aidé. Il m’a beaucoup appris autant sur la glace qu’à l’extérieur. C’était le capitaine parfait. Et il n’avait pas à faire d’efforts pour être un aussi bon capitaine. C’était en lui. C’était naturel. Ça venait de souche », assurait Hossa.

Ce leadership, Daniel Alfredsson avait bien des façons de l’assumer. C’est lui qui s’est rangé derrière Rod Bryden lorsque ce dernier n’avait plus les moyens de verser le salaire à ses joueurs. Alfredsson aurait pu diriger un putsch. Réclamer un salaire sans quoi ses coéquipiers et lui refuseraient de sauter sur la patinoire. Mais non. Il s’est rendu au bureau de Bryden, il lui a parlé, il a échangé avec lui et une fois de retour dans le vestiaire, il a convaincu ses coéquipiers qu’il valait la peine de lui donner une chance, de maintenir le cap et de gagner pour au moins assurer le retour des partisans dans les gradins.

Alfie parlait avec les directeurs généraux. Il parlait aux entraîneurs-chefs. Il n’hésitait pas à réclamer des congés lorsque des congés devenaient nécessaires. Mais il n’hésitait pas non plus à remettre imputer aux joueurs, lui le premier, les ennuis de l’équipe lorsque ces derniers ne jouaient pas bien. Ou pas assez pour répondre aux attentes élevées fondées en eux pendant quelques années.

Derrière son visage qui se crispait à l’effort tant il se donnait corps et âme à la cause de son équipe, Daniel Alfredsson savait aussi rire et détendre l’atmosphère.

Marian Hossa l’a vu marquer des dizaines de beaux buts, réaliser des tas de beaux jeux, mais c’est une blague faite par Alfredsson à son ami et compatriote Mats Sundin, alors capitaine des Leafs à Toronto, que Hossa raconte lorsqu’on lui demande le fait saillant de ses moments passés aux côtés d’Alfredsson à Ottawa. « Mats Sundin avait fracassé son hockey pendant le match et il avait lancé le manche de son bâton dans les gradins. Daniel s’était retrouvé dans la même situation et avait feint d’imiter Sundin avant de simplement déposer son bâton », s’est rappelé Hossa.

Un joueur complet

Joel Quenneville, qui a dirigé des tas de grands et de très grands joueurs au cours de sa carrière – il en dirige encore d’ailleurs, n’avait que des éloges à défiler sur celui qui prend sa retraite ce soir.

« Quand je pense à Daniel Alfredsson je pense à un gars qui n’avait pas de demi-mesures. Il se donnait à fond à chaque match autant en attaque qu’en défensive, C’était un des joueurs les plus complets de la Ligue. Le genre de joueur qui devait être facile à diriger. Le genre de joueur que tout entraîneur aimerait bien diriger. »

Dans un coin du vestiaire des Hawks, Brad Richards, qui a davantage croisé Alfredsson alors qu’il évoluait à Tampa et New York, tenait à rendre hommage à deux qualités spécifiques d’Alfredsson. Des qualités qui ont toujours fait de lui un joueur exceptionnel.

« Personne ne sait à quel point Alfredsson était dur à contrer dans des batailles à un contre un. Il était toujours bien ancré sur ses patins. Il était très fort physiquement. Une force que tu n’anticipais pas lorsque tu te préparais à livrer une bataille pour la rondelle ou une position avec lui car il n’était pas si gros physiquement. Plus encore, Alfredsson était un des joueurs les plus intelligents que j’ai affrontés sur la patinoire. Son sens du jeu, les lectures qu’il faisait, les jeux qu’il orchestrait. Tout était pensé et bien pensé », expliquait Richards qui est loin d’être démuni sur le plan du sens du hockey.

Tous ses entraîneurs, tous ses coéquipiers, tous ses adversaires pourraient parler des heures en défilant des qualités pour décrire Daniel Alfredsson.

Ça donne une bonne idée de l’envergure du joueur de hockey qu’il a été. À Ottawa, bien sûr, mais à l’échelle de la LNH et sur la scène internationale également alors qu’il a contribué aux nombreux succès de sa Suède natale, la nation dont il a défendu les couleurs à cinq reprises lors des Jeux olympiques.

Dans son point de presse hier, Daniel Alfredsson a reconnu que son corps lui lançait des messages depuis quelques années. Des messages selon lesquels le temps de la retraite approchait.

Alfredsson a finalement compris le message il y a trois semaines lorsqu’il a finalement accepté que le temps était venu de raccrocher.

Il le fait ce soir.

Si ce corps l’avait épargné d’une blessure ici, d’une autre là, si son dos avait été aussi fort que son corps et ses convictions, si la LNH n’avait pas été perturbée par deux longs conflits de travail au cours de sa carrière, Alfredsson aurait facilement atteint le plateau des 500 buts et qui sait combien de points il aurait aussi ajoutés.

Mais tout ça ne compte plus aujourd’hui.

Le petit gars qui est arrivé de nulle part dans le vestiaire des Sénateurs d’Ottawa à l’automne 1995, l’année où j’ai amorcé la couverture quotidienne de cette équipe. Ce petit gars qu’on avait placé au centre du vestiaire dans sur une petite chaise pliante en métal alors qu’on aurait dû lui offrir un trône, et bien ce petit gars est devenu grand, très grand et il est temps de lui dire adieu.

En terminant sa conférence de presse ce midi à Ottawa, Daniel Alfredsson a dit en français « Merci et à bientôt ».

Permettez-moi de lui dire merci à mon tour. Et à bientôt je l’espère, afin de pouvoir partager avec lui quelqu’un des grands moments qu’il a vécus, qu’il a fait vivre aux partisans des Sénateurs et qu’il m’a fait vivre aussi par ricochet.

Il est 19 h, l’échauffement commence. Je ne suis malheureusement pas à Ottawa, mais sur l’écran je vois que l’échauffement commence. Le temps est venu de se taire, d’applaudir et de vivre avec Alfie ce moment un peu triste, un brin nostalgique, mais malgré tout ce grand moment.