MONTRÉAL – Un logo « grotesque » et « détestable ». Un « cliché réducteur et raciste ». Le symbole de « ce qu’il y a de pire dans le sport ». L’idée de gens « qui n’ont aucune sensibilité et aucune vision du monde en dehors de leur aréna ». Au cours de la dernière année, de nombreux messages de contestation à propos du logo des Cataractes de Shawinigan ont été adressés à notre attention.

De telles protestations ne sortent pas de nulle part. L’utilisation par des équipes sportives d’appellations et d’images liées aux cultures autochtones est une réalité répandue qui fait depuis longtemps l’objet de dénonciations à ampleur variable. Le contexte social inflammable des derniers mois, notamment marqué par la montée en puissance de mouvements antiracistes aux États-Unis, a ramené le dossier sur des braises plus ardentes que jamais.

En juillet dernier, sous l’intense pression appliquée par ses principaux commanditaires, le club de la NFL qui tient domicile à Washington a annoncé qu’il se dissociait du nom controversé qui était le sien depuis 87 ans. Dans les jours qui ont suivi, une volonté similaire a été exprimée par l’équipe de baseball de Cleveland, puis par celle de la Ligue canadienne de football basée à Edmonton. La vague a créé un ressac jusqu’en Europe. En septembre, le Frölunda HC, une équipe de la ligue de hockey élite suédoise, a pris la décision d’effacer de son image de marque, à partir de 2021, un logo et un surnom devenus controversés.

Au Québec, les équipes sportives masculines de l’Université McGill se sont détachées de leur identité presque centenaire en 2019 après que l’institution eut été la cible d’une insistant courroux populaire.

Les Cataractes ne sont pas étrangers à la controverse. En 2015, leur campagne publicitaire portée par le slogan « Mon histoire, mes couleurs », dans laquelle étaient mis de l’avant des joueurs maquillés et coiffés de plumes, avait été remise en question autant par les communautés locales qu’ailleurs au Canada. La doyenne des équipes de la Ligue de hockey junior majeur du Québec (LHJMQ) s’identifie par une tête « d’Indien » depuis 1998. L’effigie qui orne actuellement ses uniformes est utilisée depuis 2008. 

Le temps est-il venu de revoir cette pratique? Les Cataractes devraient-ils exposer leur étendard au vent de changement qui balaie le monde du sport et prendre leurs distances d’un symbole qui heurte et divise?

« C’est quand même dur à cerner », prévient d’entrée de jeu Constant Awashish, le Grand chef du Conseil de la nation Atikamekw, qui englobe trois communautés – Manawan, Wemotaci et Opitciwan – sises au nord de Shawinigan.

« Je pense qu’il n’y a pas d’intention malicieuse derrière ça. Mais pourquoi utiliser un tel logo alors que ça fait des années qu’il y a des débats qui existent? Aller de l’avant avec ce logo sans consulter les Premières Nations, sans voir auprès des premiers concernés si ça reflète bien la façon dont ils veulent être représentés ou si ça n’offusque personne, c’est peut-être ça qui est un peu maladroit dans cette histoire-là. »

« C’est un sujet délicat, mais ce n’est pas un sujet que les gens prennent au sérieux parce que ça fait tellement longtemps que le préjugé est là, soutient Jacques Watso, un élu au sein du conseil d’Odanak, l’une des deux communautés abénakises situées au sud de Trois-Rivières. Aujourd’hui, on retire partout les moindres connotations racistes. À chaque jour, il y a quelque chose de nouveau. Ça a commencé aux États-Unis et ça s’en vient ici. Mais l’Indien, on dirait qu’on l’inclut dans la conversation par dépit, juste pour être politically correct. On est comme des citoyens de troisième ordre qu’on se sent obligé d’inclure dans le débat. C’est l’impression que j’ai. »

Le constat est lâché avec un calme qui s’approche de la résignation. On ne retrouve pas dans les propos de Jacques Watso, pas plus que dans ceux de nos autres intervenants, l’indignation et l’esprit revendicateur qui ont fait fléchir de véritables institutions au sud de la frontière et ailleurs.

Mario Marchand, qui a consacré plusieurs ouvrages et recherches à la présence autochtone sur le territoire de la Mauricie, nous avait préparés à ce clivage lors d’un premier contact exploratoire. 

« Parmi tout ce beau monde-là, il y a des gens qui sont plus activistes, protestataires, contestataires, je ne sais pas comment tu veux les appeler. Probablement que ces gens-là vont être contre toute forme d’utilisation d’une symbolique blanche des autochtones. Parce que c’est vraiment ça qu’on observe », prévenait cet historien à la retraite. D’autres, avait-il prédit avec justesse, poseront un regard beaucoup plus nuancé sur la question.

« Il y a deux écoles de pensées chez les Premières Nations, confirme Jacques Watso. Il y a ceux qui ne supportent pas la moindre appropriation de leur culture et d’autres qui s’identifient à ça et qui vont, par exemple, porter fièrement le chandail des Blackhawks de Chicago ou des Redskins Washington, parce qu’ils n’ont pas d’autres points de repère dans leur quête identitaire. ».

Sans grimper dans les rideaux, Watso prend clairement position dans le premier clan. « Nous sommes la seule minorité visible qu’on voit sur les chandails des équipes sportives, remarque-t-il. Tu sais, je ne verrais pas un Noir, un Chinois ou un "Polak" sur les gilets d’une équipe de hockey. »

Constant Awashish, qui est Grand chef depuis 2014, laisse pour sa part traîner ses pieds en zone grise.  

 « Personnellement, je ressens un certain sentiment de fierté en voyant une équipe de hockey arborer un guerrier autochtone sur son uniforme. Le problème, c’est la façon dont ce guerrier est dépeint, expose-t-il. [Sur le logo des Cataractes], il a des plumes de toutes sortes de couleurs et ne reflète pas la réalité. C’est une image folklorique qui le rend offusquant aux yeux de beaucoup de gens. »

« Quand tu vois le logo des Cataractes, tu vois l’Indien en panaché, comme s’il venait des Assiniboines de l’Ouest, explique Mario Marchand. Ce n’est pas du tout ça qu’il y avait à Shawinigan. C’était des Indiens de la forêt, pas des Indiens de l’Ouest. Mais la réalité a été renversée complètement à partir du moment où Hollywood a pris le haut de la côte. »

« À la télé, on voit des autochtones plumés, colorés, avec des drôles de coutumes. La réalité, ce n’est pas ça. Il y a comme une image romancée et un peu tordue des Premières Nations, relance M. Awashish. Chez les jeunes comme les moins jeunes, il y a des études qui démontrent que ça peut affecter l’estime de soi, l’image qu’on se fait de sa culture, de son peuple. »

Un hommage?

Francis Verreault-Paul n’a pas oublié ses matchs au vieil aréna Jacques-Plante de Shawinigan quand, après chacun des buts de l’équipe locale, une réplique grandeur nature d’un « Indien », plumage au vent, descendait des hauteurs de l’amphithéâtre en glissant sur un fil d’acier.

« Je m’en souviens certain! Ça fonctionnait une fois sur deux! », atteste en riant l’ancien attaquant des Saguenéens de Chicoutimi.

« Je trouvais ça un peu spécial, mais en même temps je voyais le logo de l’équipe qui était une tête d’Indien, alors je comprenais le lien. Mais j’étais peut-être moins conscientisé par rapport à tout ça à l’époque. »

Verreault-Paul a aujourd’hui 33 ans. Après un passage de quatre ans à l’Université McGill et une carrière de sept ans comme hockeyeur professionnel aux États-Unis et en Europe, le natif de Mashteuiatsh, une communauté innue située sur les rives du Lac St-Jean, est en quelque sorte rentré au bercail. Depuis janvier, il occupe le poste de Chef des relations avec les Premières Nations à l’Université du Québec à Chicoutimi.

Avec le recul, il reconnaît que la vieille tradition des Cataractes – elle n’a pas survécu au déménagement de l’équipe dans son nouveau domicile en 2008 – dépassait peut-être les limites de l’acceptable. Mais c’est le plus loin qu’il acceptera de s’aventurer sur le spectre du révisionnisme.

« Avant de vraiment me prononcer sur la chose, j’aimerais entendre leur opinion, leur perspective, savoir le pourquoi », répétera-t-il comme un mantra tout au long de l’entrevue.

Verreault-Paul serait mal placé pour condamner sans considérer le contexte. Durant ses années au hockey junior, les Saguenéens avaient instauré la tradition de célébrer chacun de ses buts en faisant retentir dans les colonnes de son du Centre Georges-Vézina le « tomahawk chop ». Le chant, initié par les partisans des Seminoles de l’Université Florida State dans les années 1980, a depuis été popularisé par les Braves d’Atlanta et les Chiefs de Kansas City. Il a lui aussi passé dans le tordeur de la rectitude au cours des derniers mois.

« Je connaissais l’intention et je ne l’ai jamais pris d’une mauvaise manière. Les gens de ma région non plus. L’organisation m’avait demandé si ça me dérangeait, si ça dérangeait les gens de chez nous. Mais à ma connaissance, en aucun moment la question avait écorché qui que ce soit dans ma communauté. »

Verreault-Paul se souvient toutefois que l’initiative avait provoqué des remous. Ted Nolan, un Ontarien membre de la nation Ojibwé qui dirigeait à l’époque les Wildcats de Moncton, n’avait pas caché son incrédulité face à cette idée lors d’un passage au Saguenay. « Ça l’avait fâché, il ne comprenait pas. Comme quoi il peut y avoir différentes perspectives à une question », réfléchit l’ancien poulain de Richard Martel.

C’est dans ce même esprit d’ouverture vers l’autre qu’il aborde la variante contemporaine de la question.

« Personnellement je pense que c’est beaucoup du cas par cas. Ça dépend des équipes, ça dépend de bien des facteurs. Mais au-delà de ça, souvent ce qu’on entend, c’est que ces logos se veulent des hommages, si on veut, aux Premières Nations. C’est bien beau tout ça, mais ça serait le fun de voir des actions concrètes parfois. Je ne suis pas vraiment au courant des initiatives que prennent les Cataractes dans leur milieu, mais de parler aux Atikamekw et aux Abénakis afin d’établir des partenariats avec ces communautés et d’encourager leur inclusion, ça serait un début. »

Là encore, les meilleures intentions peuvent être sujettes à toutes sortes d’interprétation. Jacques Watso garde en tête une invitation que l’organisation des Cataractes avait envoyée à la troupe de chants traditionnels dont il fait partie. L’anecdote remonte, estime-t-il, à une quinzaine d’années.

« On nous avait demandé de venir faire une démonstration avant une partie ou pendant un entracte. J’avais répondu que je ne trouvais pas ça vraiment approprié. À l’aréna, tout le monde est en boisson, t’es sur une glace, il n’y a pas de protocole. Les gens ne comprenaient pas pourquoi on avait refusé, mais je ne suis pas une pute culturelle. Je ne suis pas un Indien de service et je n’adhère pas à ce mouvement folklorique qui souhaite vendre l’image de l’Indien comme sur les sacs de chips Yum Yum »

Chez les Atikamekw, Constant Awashish rapporte que la relation est harmonieuse entre les communautés de la Mauricie et son voisin de la LHJMQ.

« Il y a de plus en plus de jeunes autochtones qui évoluent dans la LHJMQ. J’avais fait une approche l’année passée pour savoir si c’était possible d’obtenir des billets pour les jeunes des communautés. On m’a simplement répondu que s’il y avait un intérêt de notre côté, il n’y aurait jamais de problème à faire venir les jeunes. Alors l’ouverture est là et la relation est quand même bonne. »

« Mais le logo, c’est un débat qui est quand même très particulier et il n’y a pas eu d’approche pour dialoguer là-dessus de la part des Cataractes », précise le Grand chef.

Un dossier clos

Par le biais de son directeur des communications et du marketing, Simon Laliberté, l’organisation des Cataractes a fait savoir qu’elle ne souhaitait pas rouvrir ce dossier avec RDS, jugeant qu’elle l’avait déjà suffisamment commenté dans le passé.

« Je sais qu’il se discute des choses aux États-Unis, mais pour nous il n’y a rien de nouveau, avait affirmé le président des Cataractes, Roger Lavergne, au quotidien Le Soleil en juillet. Tout a été dit et on a eu l’approbation des différentes communautés autochtones. D’ailleurs, notre logo représente le côté courageux des autochtones. »

« Pour nous, ce débat s’est fait il y a quelques années et on a fait ce qu’on avait à faire, a poursuivi le président. Les différentes communautés autochtones savent que notre logo a été créé avec respect et tout est passé comme une lettre à la poste. Personne ne m’a parlé de ça récemment. »

Aux bureaux de la LHJMQ, on affirme avoir été satisfait par les réponses fournies par les Cataractes lors d’une discussion informelle sur le sujet au cours de l’été.  

« Les Cataractes ont fait quelques démarches avec les communautés autochtones de leur secteur pour voir ce qu’elles en pensaient et voir si ça leur causait préjudice. Au contraire, on leur aurait répondu que le logo leur faisait honneur, a soutenu Maxime Blouin, le directeur des communications du circuit, dans une brève mise au point téléphonique avec RDS. Une fois qu’on a eu cette discussion, on était content qu’ils aient pris l’initiative de faire le pont avec les communautés. »

D’autres équipes sportives québécoises, qui ne profitent pas de la même visibilité que les Cataractes, exploitent elles aussi des symboles associés aux cultures autochtones dans leur image de marque.

Parmi les 14 équipes de la Ligue de hockey Junior AAA du Québec, les Braves de Valleyfield et l’Inouk de Granby sont respectivement représentés par la tête d’un « Indien » et le cliché d’un guerrier inuit.

Dans la Ligue Nord-Américaine de hockey, les Éperviers de Sorel utilisent une copie du logo des Blackhawks de Chicago. Lors de notre entretien, Jacques Watso a aussi porté à notre attention l’existence des Abénakis de Sherbrooke, un club de rugby dont le maillot est frappé du profil d’un autochtone stéréotypé.

Il existe toutefois des contradictions qui illustrent singulièrement la complexité de la discussion et la diversité des voix qui, parfois bien involontairement, s’y joignent. En 2017, la Ligue de hockey Senior AAA du Québec a intégré dans ses rangs le Formule Fitness de Bécancour. L’équipe avait dévoilé ses couleurs et son logo, la tête d’un « Indien » coiffé d’un imposant arrangement de plumes, en la présence et avec la bénédiction de représentants du Conseil des Abénakis de la communauté voisine de Wôlinak.

« Le logo des Blackhawks passe encore beaucoup chez les Premières Nations, fait remarquer Constant Awashish, le Grand chef atikamekw. Il doit y avoir une équipe des Blackhawks dans chaque communauté dans les tournois autochtones. À la limite, c’est encore acceptable. Je ne te dis pas que dans 10 ans, dans 20 ans, ça le sera encore. Le débat continue, les réflexions avancent. La société est de plus en plus conscientisée. »

« T’as pas besoin de l’image de l’Indien, s’oppose quant à lui Jacques Watso, plus assumé. Je ne trouve pas que c’est pertinent au sport et ça amène juste de la division. Je pense qu’on n’est plus à cette époque-là. »

Les Cataractes « devraient l’apporter, le changement, tranche-t-il. Ils devraient changer pour quelque chose qui serait plus représentatif de la ville de Shawinigan. Je dors bien le soir pareil même s’il y a un Indien sur leur gilet, mais ça serait le temps pour un changement. Il faut aller avec l’air du temps. »