Dès le premier jour du lock-out, j'avais deux convictions. D'abord, j'étais d'avis que joueurs et propriétaires pouvaient fort bien vivre en se partageant les revenus dans une proportion de 50-50. Ça me semblait juste pour tout le monde. Je croyais aussi que les responsables de cet autre arrêt de travail étaient sans conteste les propriétaires, d'où le préjugé favorable que j'ai eu tout de suite pour les joueurs. Il y avait quand même des limites à leur demander de réparer les pots que les patrons avaient joyeusement cassés durant la convention collective qui venait de prendre fin.

Avec une réduction de salaire de 24 % à la dernière occasion, les joueurs étaient rentrés au travail avec le sentiment de s'être fait faire les poches. Remarquez qu'ils n'étaient pas à plaindre puisqu'ils avaient l'assurance de toucher 57 % des revenus. Par contre, on leur avait arraché, au prix d'une saison gaspillée, le plafond salarial qui allait permettre aux propriétaires de mieux contrôler leurs moments de folies contractuelles.

Le problème, c'est qu'ils exigeaient de ceux qui font les frais du spectacle qu'ils soient l'unique solution à leurs erreurs administratives. Ce qu'ils font encore aujourd'hui, d'ailleurs.

En vertu de l'entente précédente, les proprios étaient convaincus d'avoir établi un système qui allait leur permettre de gérer le hockey d'une façon plus responsable. Ils croyaient tenir les joueurs solidement par les bijoux de famille.

On sait ce qui s'est passé. Les joueurs leur ont arraché des dizaines de millions de dollars de plus que prévu. Ils ont fait danser plusieurs propriétaires au rythme de leurs exigences. Bref, les patrons ont rarement été en contrôle durant la dernière convention collective. En clair, en 2004, on a perdu une saison complète pour accoucher d'une souris.

Durant la présente négociation, un partage 50-50 des revenus est déjà négocié. Les joueurs y ont laissé 1.2 milliard dans l'exercice, mais on ne doute pas qu'ils vont continuer d'empocher des salaires faramineux au cours des prochaines saisons. Des salaires que le hockey ne peut pas se permettre sans risquer la survie de certaines équipes, on le sait.

Pas grave, se disent les propriétaires. On continuera de demander aux partenaires les plus riches de renflouer les plus pauvres, une solution qui ne nécessite pas beaucoup d'imagination, on en conviendra. Certaines équipes en difficulté, qui vivotent dans des marchés où elles n'auraient jamais dû être implantées, ne seront probablement jamais déménagées dans de vraies villes de hockey au Canada, car Gary Bettman a imaginé toutes sortes d'entourloupettes pour pouvoir les laisser là où elles sont. Y compris celle de garder en vie une concession comme les Coyotes de Phoenix qui menace de pousser vers la faillite une ville modeste de 225 000 habitants, à Glendale.

Une ville qui, durant la dernière saison, a dû puiser dans le budget de ses égouts pour garantir la somme de 25 millions qui lui permettait de conserver son équipe de hockey. Les égouts étaient l'un des rares endroits où il restait encore un peu d'argent à dépenser dans cette ville.

C'est l'une des raisons pourquoi j'ai penché du côté des joueurs durant ce conflit. La Ligue nationale avait été gérée d'une façon affreusement malhabile par des hommes d'affaires ambitieux et guidés par une soif de gagner si intense qu'ils ont vite ignoré le système qu'ils avaient conçu pour pouvoir résister à la gloutonnerie des patineurs les plus gourmands.

Quand les premiers contrats de sept ou huit ans ont été accordés, on s'est dit que ça ne faisait pas de sens. Puis, on a été témoin d'ententes de 10, de 12 de 14 et de 15 ans. À Uniondale, un propriétaire d'origine chinoise, qui avait autant d'affinités avec le hockey que Geoff Molson en a avec le boulingrin, a été le premier à accorder un contrat de 15 ans. L'heureux élu a été un gardien de but qui n'a disputé que 47 matchs au cours des quatre dernières saisons. Rick DiPietro aura 40 ans quand le cadeau de Charles Wang arrivera à terme en 2022. Chaque victoire de ce gardien, qu'il aime comme son fils dit-on, lui aura coûté une petite fortune.

Par ailleurs, comme les propriétaires semblent convaincus que le ridicule ne les tuera jamais, ils ont récemment accordé des ententes de 15 ans à Ilya Kovalchuk, de 14 ans à Shea Weber, de 13 ans à Zach Parise et Ryan Sutter et de 10 ans à Jonathan Quick et Jordan Staal.

L'un d'eux, Ed Snider, à la tête des Flyers de Philadelphie depuis toujours, a fait une offre hostile de 14 ans et de 110 millions à Weber dans le but de le sortir de Nashville. Pour garder dans une ville country l'un des défenseurs les plus talentueux de la ligue, les Prédateurs se sont vus obligés d'égaler cette proposition, car leur clientèle fragile menaçait de perdre le chemin de l'aréna. Malheureusement, la lourdeur de ce contrat risque de leur causer des problèmes financiers majeurs avant longtemps.

Il y a une question qui me chicote en ce moment. Quand avez-vous entendu les plus récents multimillionnaires Weber, Staal, Parise, Suter et Quick se prononcer sur le lock-out? Les avez-vous aperçus autour de leur négociateur en chef durant les conférences de presse? Pleins comme du boudin et pas tellement intéressés par l'intérêt de la collectivité, comme la plupart de nos grandes stars qui se font les jambes en Europe, ils reviendront uniquement quand on leur dira que tout est réglé. Ils ont touché leurs gros bonis au moment de la signature de leur contrat de sorte qu'ils sont à la maison, les deux pieds sur le pouf, à attendre que les autres se battent à leur place.

En fait, les seuls joueurs touchant des bonis importants cette année et qui ont participé aux négos sont Brad Richards (8 millions $) et Martin Saint-Louis (2 millions $).

Regardez ceux qui se démènent comme des diables dans l'eau bénite depuis trois mois et qu'on voit sur toutes les tribunes : un défenseur marginal, Ron Hainsey, et deux joueurs sans contrat, Mathieu Darche et Chris Campoli. Si ces trois-là osaient mentionner à Donald Fehr que la dernière proposition de Bettman est acceptable, il les écouterait d'une oreille polie avant de leur préciser que c'est lui qui est rémunéré trois millions de dollars par année pour prendre les décisions.

Les joueurs exagèrent

Mon préjugé favorable pour les joueurs s'est éteint jeudi dernier quand ils ont dit non au contrat collectif de 10 ans et aux ententes individuelles d'un maximum de cinq ans, deux conditions exigées par la ligue. C'était un refus pas très futé, injustifiable et insensé de leur part.

Par la même occasion, on a eu la désagréable impression que Fehr n'en a rien à cirer de l'avenir du hockey. Il lui faut avant tout sauver sa propre face. Quand cette convention sera ratifiée, il n'aura pas assez du reste de sa vie pour écouler tous les millions que lui a rapportés son rôle de négociateur syndical au fils des ans. Pendant ce temps, un nombre important de joueurs de quatrième trio et de sixième ou septième défenseurs auront, soit raccourci leur carrière d'un an, soit perdu leur emploi à la suite de cette négociation. Ça ne devrait pas empêcher Fehr, un gars de baseball, de dormir.

Quelle est l'urgence pour les joueurs de s'opposer à des contrats de cinq ans, dites-moi? Pourquoi est-ce devenu subitement un enjeu aussi important? Un joueur étoile qui obtiendra un contrat de cinq ans sur la base de son exceptionnel talent pourra facilement en obtenir un autre de même durée la prochaine fois.

Quant à la possibilité d'une convention collective de 10 ans, les joueurs, qui disent tous en avoir assez des arrêts de travail répétés de Bettman, devraient se sentir soulagés d'être à l'abri d'un autre lock-out avant la fin de leur carrière.

Durant une négociation de convention collective, il est toujours délicat pour les membres de se mêler de la stratégie de leur négociateur syndical. Toutefois, il est parfois possible d'agir en catimini pour lui faire comprendre qu'on est satisfait de la proposition qui repose sur la table. Mais pour y arriver, il faut de gros joueurs, avec des couilles toutes aussi grosses, pour aller lui parler dans le blanc des yeux.

Si des athlètes influents, qui sont aussi les meilleurs vendeurs de billets de leur sport, les Crosby, les Saint-Louis, les Giroux, les Staal, les Stamkos, les Lecavalier, les Parise et les Iginla prenaient le temps de s'asseoir avec Fehr pour lui dire avec fermeté que le temps est venu de retourner sur la patinoire, je ne connais pas un négociateur qui pourrait résister à pareille pression provenant d'athlètes qui lui ont voté le généreux salaire qu'il touche.

Mais pour ce faire, il faut du cran. Il faut que les joueurs soient animés d'une intention ferme de sauver la saison, des emplois et des millions de dollars en salaires. Il faut qu'ils soient déterminés à mettre fin au bain de sang financier qui est le leur.