Le programme libre de Virtue et Moir
Les commentaires des médaillés d'or

MONTRÉAL - La médaille d'or remportée mardi, aux Jeux olympiques de PyeongChang, par les patineurs artistiques canadiens Tessa Virtue et Scott Moir dérange dans l'Hexagone, particulièrement Didier Gailhaguet.

Le président de la Fédération française des sports de glace (FFSG) a remis en cause la partialité de la juge canadienne, Leanna Caron, qui est aussi la présidente de Patinage Canada.

Virtue et Moir ont devancé Gabriella Papadakis et Guillaume Cizeron, leurs partenaires d'entraînement, par 79 centièmes de point à l'issue du programme libre, au cours duquel les Français ont établi une nouvelle marque mondiale avec une récolte de 123,35 points, pour un total de 205,28.

Le duo canadien a reçu 206,07 points en tout.

Dans un entretien accordé à Le Parisien, Gailhaguet remet en doute la partialité de la juge canadienne, soulignant qu'elle est la seule à ne pas avoir accordé la moindre note de 10 au couple tricolore. Il ajoute plus loin que lors du programme court, « l'ensemble des juges les a mis premiers sur la note artistique », mais que la juge Caron « les met huitièmes ».

« No comment », conclut-il.

Gailhaguet ajoute par ailleurs que la FFSG a fait part de ses doutes au sujet de la présence de Caron dans le panel bien avant les Jeux olympiques.

« Il y a un problème que nous avons mentionné depuis un bon moment, a-t-il indiqué. Les règles permettent à la juge canadienne d'être aussi présidente de la Fédération canadienne en même temps (NDLR : l'Union international de patinage le permet). Si elle peut le faire, elle a le droit de juger. Sur le plan de l'éthique, c'est quelque chose qui n'est pas terrible, ça donne une mauvaise image. »

« Déontologiquement, il n'y a pas faute, souligne Bruno Delorme, professeur de marketing aux Université Concordia et McGill. C'est certain que dans un monde idéal, il y aurait suffisamment de juges pour ne pas que les présidents de fédérations se retrouvent sur ces panels. Par contre, il faut aussi se fier à l'expérience et au professionnalisme des gens en cause. »

Vrai que Caron a réservé ses pires notes aux Français en ce qui a trait aux deux duos de tête, mais Gailhaguet omet de souligner le travail du juge no 6, la Turque Tanay Ozkan Silaoglu, qui a fait exactement le contraire, soit d'accorder ses meilleures notes aux Français pour réserver son pire jugement aux Canadiens.

C'est là où Gailhaguet erre, estime M. Delorme.

« Dans l'exemple donné ici par M. Gailhaguet, même s'il ne tient pas compte de la juge turque, Mme Caron serait ce qu'on appelle une "observatrice aberrante", un cas d'exception. Elle est en marge de ce que les autres ont vu. Mais c'est bon d'avoir ça. Et si elle l'est toujours, elle fait donc preuve de constance. On ne peut pas lui reprocher ça. Il faudrait aussi regarder l'ensemble du travail de Mme Caron. Si elle juge toujours sévèrement les Français, elle fait donc preuve de constance. Quand on a la constance, on ne peut rien demander de plus. »

M. Delorme fait le parallèle avec les arbitres au baseball, qui peuvent être sévèrement critiqués un match donné pour leur zone de prises. C'est sur une saison complète que le travail sera toutefois évalué afin de déterminer ceux qui participeront aux séries éliminatoires ou qui devront retourner dans les ligues mineures.

Le système de pointage utilisé en patinage artistique, comme dans plusieurs autres sports jugés, fait toutefois en sorte que le plus haut pointage et le plus bas sont éliminés du calcul final. Cizeron a d'ailleurs lui-même tempéré.

« Dans le règlement, la meilleure note et la plus mauvaise sont de toute façon effacées lors de notre passage, donc ça ne rentre pas dans la ligne de compte », a rappelé le Français sur BFM TV.

« Ce n'est pas parfait, mais ça évite certains dérapages », estime Bruno Delorme.

Charité bien ordonnée commence par soi-même

Si Gailhaguet s'emporte au sujet de cette médaille d'argent, M. Delorme estime qu'il aurait peut-être dû prendre un pas de recul avant de livrer ses états d'âmes. Surtout qu'il n'est pas blanc comme neige.

Le Parisien rapporte avec justesse qu'il avait été suspendu trois ans, en avril 2002, pour avoir fait pression sur la juge française Marie-Reine Le Gougne aux Jeux d'hiver de Salt Lake City.

Il avait alors demandé à Le Gougne de favoriser les Russes Elena Berezhnaya et Anton Sikharulidze, qui ont remporté le titre en couple au détriment des Canadiens Jamie Salé et David Pelletier. En échange, le juge russe devait favoriser le couple français Gwendal Peizerat et Marina Anissina, sacré en danse lors de ces Jeux.

Le Comité international olympique avait néanmoins décidé de décerner une autre médaille d'or au couple canadien. L'ISU avait quant à elle suspendu Le Gougne et Gailhaguet pendant trois ans et les avait bannis des Jeux de Turin, en 2006.

« Si je veux me mettre à juger les autres, je dois être irréprochable », affirme M. Delorme.

« C'est émotif les Jeux olympiques. Ce n'est jamais bon de commenter à chaud avec toutes nos émotions encore impliquées. Je serais curieux d'avoir son opinion quand la poussière aura un peu retombé », nuance-t-il par contre.