Inquiétante performance canadienne?

On n'était jamais venu aussi près de voir se répéter le « Miracle de Lake Placid » quand une bande de collégiens américains avaient causé une surprise incroyable en éliminant la puissante machine soviétique, en 1980.

Cette année-là, le gardien de but miraculeux s'appelait Jim Craig. Contre la meilleure machine du monde, il avait réussi 36 arrêts pour devenir un héros sportif instantané dans son pays. Aujourd'hui, face à une formation établie favorite pour remporter la médaille d'or, le gardien qui s'est dressé devant elle s'appelle Kristers Gudlevskis qui a repoussé 55 rondelles comparativement à 15 pour Carey Price.

Il y avait une désagréable odeur d'élimination dans l'air jusqu'à ce que le défenseur Shea Weber permette aux 10 provinces canadiennes de respirer plus à l'aise en inscrivant le but gagnant avec sept minutes à jouer. Le Canada a ressenti une petite frayeur contre des joueurs lettons inconnus, mais inspirés, déterminés et fougueux dont la robustesse a semblé déstabiliser les Canadiens au départ. Ils avaient compris qu'ils n'arriveraient jamais à s'imposer en tentant de jouer de finesse avec leurs illustres rivaux.

Retenez bien son nom: Kristers Gudlevskis. On le verra dans la Ligue nationale éventuellement. Il mesure six pieds et trois pouces. Il n'a que 21 ans et il vient de jouer le match de sa vie. Peut-être ne pourra-t-il plus jamais répéter ce genre de performances durant une carrière qui s'annonce pourtant florissante.

On ne peut pas donner trop de crédit à l'entraîneur Ted Nolan pour l'avoir choisi car le gardien Edgars Masalskis, qui s'était comporté lui aussi en héros pour éliminer la Suisse 24 heures plus tôt, était trop épuisé pour pouvoir disputer un deuxième match consécutif.

J'aurais donné cher pour pouvoir compter les papillons dans l'estomac de Steve Yzerman durant cette partie qui aurait pu signifier la fin du tournoi olympique pour son équipe. D'un côté, il y avait l'équipe qu'il avait façonnée dans le but d'offrir une médaille d'or à son pays. De l'autre, il y avait Gudlevskis qu'il a lui-même repêché pas plus tard que l'été dernier et qui est aujourd'hui l'un des gardiens de la filiale du Lightning de Tampa Bay, le Crunch de Syracuse, dans la Ligue américaine.

À peu près tout le monde s'entendait pour dire que le Canada placerait la victoire hors de portée de la Lettonie très tôt dans la rencontre. Comme l'avait dit lui-même Ted Nolan, ce duel, c'était David contre Goliath. Il y avait tant de facteurs pouvant permettre d'en arriver à cette conclusion.

1- La Lettonie s'était vidée de toute énergie la veille alors que le Canada jouissait d'un congé de trois jours.

2- Le Canada affrontait un gardien de but de la Ligue américaine qui n'avait jamais vu de près des patineurs de la Ligue nationale jusque-là.

3- Dans le camp des Lettons, il n'y avait qu'un seul membre de la Ligue nationale, Zemgus Gingersons, des Sabres de Buffalo.

4- Ne serait-ce que pour exprimer davantage le monde de différence qui séparait les deux adversaires, précisons que le salaire global des joueurs de la Lettonie était de six millions $ comparativement à 149 millions $ pour les Canadiens.

Le Canada a eu chaud

La lutte était vraiment inégale. Sauf que Ted Nolan, qui était derrière le banc de la Lettonie durant les Jeux, avait une meilleure idée que tous les entraîneurs de ce pays réunis du style qu'il fallait préconiser contre les professionnels nord-américains. Nolan, qui dirige les Sabres de Buffalo par intérim, obtiendra fort probablement le poste en permanence à la suite de la très grande surprise causée par son équipe aux Jeux. Dans cette défaite crève-coeur, ses hommes ont joué avec entrain sans se laisser écraser par la pression, eux qui ne s'étaient jamais rendus aussi loin aux Olympiques. Leurs Jeux semblaient parfaitement réussis à la suite de leur triomphe contre la Suisse. On n'avait pas prévu qu'ils en voudraient davantage et qu'ils croyaient un tel renversement possible.

Carey Price solide

Ceux qui n'ont pas vu le match auront du mal à imaginer que Carey Price ait pu jouer un rôle important dans cette victoire cruciale. Il n'a pas été très occupé, ce qui a rendu sa tâche plus difficile. Comme le score de 1-1 n'avait pas changé depuis la période initiale, comme son vis-à-vis repoussait tout ce qu'on lançait dans sa direction et comme le but gagnant marqué par Shea Weber est survenu tard dans la rencontre, Price n'avait pas la moindre marge de manœuvre. Le moindre manque de concentration ou la plus petite hésitation de sa part aurait pu sortir l'équipe du tournoi. Il a effectué quelques beaux arrêts sur des tirs voilés et dangereux.

Malgré que le Canada ait été repoussé dans ses derniers retranchements par un pays négligé qui ne semblait présent aux Jeux que pour y jouer un rôle de figurant, il faut parler d'une victoire d'équipe. C'est rare que cela se produise aux Jeux, mais tous les joueurs ont obtenu au moins un tir sur le gardien de la Lettonie.

Malgré la puissance offensive du Canada, à qui on ne peut rien reprocher dans cette difficile victoire, c'est encore une fois un défenseur qui a sauvé le pays d'un désastre national comparable à celui que vit le peuple russe en ce moment. Dans les premier, troisième et quatrième matchs, Shea Weber et Drew Doughty ont fait toute la différence.

Crosby encore stoppé

Le Canada entrera en demi-finale contre les États-Unis vendredi sans que le premier marqueur de la Ligue nationale, Sidney Crosby, et le meilleur pointeur de l'équipe aux Jeux de Vancouver, Jonathan Toews, n'aient encore touché les cordages. Jusqu'ici, Crosby n'a guère aidé plus le Canada que Alexander Ovechkin l'a fait pour la Russie. Comme quoi les grandes surfaces ne sont pas aussi utiles qu'on le croit aux grandes vedettes de ce sport.

Durant une supériorité numérique au début de la troisième période, Crosby s'est retrouvé avec une ouverture béante devant lui sans pouvoir toucher à la rondelle. Au premier engagement, il s'était présenté complètement seul devant le gardien sans réussir à marquer. Deux situations au cours desquelles il a l'habitude de capitaliser avec les Penguins de Pittsburgh.

Mike Babcock met tout en oeuvre pour lui permettre de débloquer. Dans ce match, Patrice Bergeron et Martin St-Louis ont évolué à sa droite et son inséparable partenaire Chris Kunitz ne l'a pas quitté sur le flanc gauche.

Jusqu'ici, cinq ailiers différents ont joué à ses côtés. À Vancouver, on en avait utilisé six durant toute la compétition.

Crosby commence sans doute à ressentir de la pression alors que tous les regards sont rivés sur lui.

Contre les États-Unis, au moins deux joueurs se retrouveront dans l'obligation de faire une différence: Price, qui devrait connaître sa soirée la plus occupée, et Crosby dont on aura nettement besoin de la contribution offensive. Les Américains sont efficaces dans toutes les facettes du jeu. Leur attaque est bien rodée. On assistera peut-être à la vraie finale en demi-finale.

Le Canada aligne 11 joueurs qui ont déjà mérité la coupe Stanley. Aucune autre formation n'en compte plus que six. On verra si cette expérience des grands matchs disputés sous une très forte pression fera une différence.