C'est cette semaine que s'amorce au cœur de l'île de Montréal un premier Championnat canadien de curling d'envergure en sol québécois depuis 1988. En fait, il n'y a pas eu au Québec de Championnat canadien de curling féminin depuis plus de 35 ans! La dernière fois que l'Association canadienne de curling a osé tenir un tel championnat ici, Scott Paper (Kruger) n'était même pas commanditaire principal, alors qu’il semble y être depuis toujours!

Personnellement, j'ai découvert le curling à l’âge de 23 ans, donc en 1985! Évitez de grâce de faire le calcul, ça me blesse, je suis d'une sensibilité déconcertante! Trêve de plaisanterie, on peut conclure que je suis donc impliqué dans le curling, tout d'abord à titre de joueur récréatif, puis de joueur compétitif, ensuite à titre de promoteur pour l'Association canadienne et finalement comme analyste pour RDS depuis près de 30 ans. Mis à part le Brier de Chicoutimi en 1988, où je n'étais à ce moment qu'un étudiant, sans bagnole et surtout sans moyens, je n'ai jamais eu l'occasion d'assister à un tel championnat dans ma propre province.

Heureusement pour moi, j’ai eu l’occasion d’assister à beaucoup de ces championnats ailleurs et certains même de très, très près. Mais pourquoi même au sommet de mon enthousiasme envers ce sport je n'aurais jamais pensé pouvoir assister à un tel championnat en sol québécois?

La réponse est fort simple : « money talks », comme disent nos amis anglophones. Si vous aviez eu l'occasion comme je l'ai eue de voir l'engouement des gens pour le curling dans certaines provinces de l'ouest et les revenus qu’un tel évènement peut engendrer, vous comprendriez rapidement qu'à une époque pas si lointaine l'Association canadienne de curling n'avait simplement pas les moyens de risquer d'envoyer une de ses deux principales sources de revenus dans un marché incertain.

Le phénomène olympique, avec ses nombreux impacts,  est venu chambarder toute la donne. Depuis que le curling est un sport officiel aux Jeux olympiques d'hiver, l'Association canadienne de curling a réussi à accroître de beaucoup son niveau de visibilité et surtout à diversifier ses sources de revenus. Ce qui a eu pour conséquences que l'on peut se permettre à l'ACC d'utiliser un Championnat canadien d'importance tel que les Scotties comme outil promotionnel ou presque et non plus comme une source de revenus indispensable.

En cette saison de 2013-2014, les revenus de l'Association canadienne de curling devraient être plus qu'intéressants. Non seulement les Jeux de Sotchi devraient déverser dans les coffres de l'ACC de rondelettes sommes comme ce fut le cas lors des derniers Olympiques, mais à l'automne 2013 ont eu lieu les essais olympiques canadiens qui permettaient de déterminer les formations qui représenteraient le Canada à Sotchi. Selon plusieurs amateurs, ces essais représentent le plus haut niveau de curling au monde. Ils ont attiré une foule considérable d'amateurs à Winnipeg en décembre dernier, et ceux-ci sont venus engraisser les coffres de l’ACC.

On peut donc dire que du point de vue financier, le synchronisme ne pouvait être plus favorable pour les amateurs de curling du Québec. La question qui demeure maintenant est de savoir comment réagiront ces amateurs de curling envers ce Championnat canadien féminin de curling. Si les dirigeants de l'ACC sont possiblement prêts à vivre avec un succès mitigé du côté financier avec l’édition 2014 du Tournoi des Cœurs, un faible enthousiasme de la part des amateurs laisserait certainement un goût amer non seulement pour les preneurs de décision de l'ACC mais également envers les promoteurs locaux.

Si l’on prend la peine d’y réfléchir plus profondément,  ce n’est sans doute pas par hasard que l'Association canadienne de curling a choisi ce moment précis pour décider de tester le marché québécois. Au-delà des raisons financières mentionnées ci-dessus, il y a d'autres marchés au Canada qui auraient pu profiter d’un petit coup pouce promotionnel de la sorte. Alors pourquoi nous? Pourquoi nous maintenant?

Deux raisons à mon avis motivent un tel risque. Tout d’abord les résultats plus qu’intéressants en termes de cotes d’écoute du curling aux derniers Olympiques de Vancouver. Avec 6,8 et 6,9 millions d’auditeurs pour les deux finales de curling, dont une surprenante part de cet auditoire au Québec, cette situation a fait du curling un des sports les plus regardés dans la province lors de ces Olympiques de 2010. Ces résultats sont venus indiquer clairement qu’il existait chez les francophones une découverte, une ouverture et un intérêt certain envers un sport que l’on réservait depuis toujours à l’élite anglophone canadienne.

L’autre élément non négligeable qui vient sûrement peser dans la balance est la grande couverture des divers championnats de curling canadiens sur les ondes de RDS et RDS2. Durant de nombreuses années, alors que je m’évertuais à promouvoir le curling au Québec, je me faisais servir cette rengaine, à savoir que si nous avions une couverture aussi grande sur les réseaux francophones de sport que ce dont bénéficiaient les amateurs anglophones avec TSN, tout serait tellement plus facile pour les promoteurs du Québec.

Depuis la saison 2011-2012, leur vœu a été exaucé! Avec une couverture de plus de 90 rencontres par année sur ses ondes, RDS et RDS2 offrent sur un plateau d’argent cet outil promotionnel aux promoteurs de curling du Québec. Combien d’autres sports amateurs peuvent se vanter d’avoir une telle couverture télévisuelle?

Cet avantage médiatique, combiné à l’exposition qu’offrent les Jeux olympiques à notre sport,, est venu démocratiser le curling chez les francophones du Québec et permet aux dirigeants de l’Association canadienne de curling de croire à une progression imminente du curling au Québec. Une croyance si fortement convaincante que Montréal a été choisie pour être l’hôte du Championnat canadien de curling féminin 2014.

La balle, pour ne pas dire la pierre, est maintenant dans le camp des amateurs de curling du Québec. C’est désormais à eux de démontrer que ce choix était justifié et que les interprétations de l’ACC étaient  bel et bien fondées.