QUÉBEC - Quelques jours après la terrible nouvelle encaissée par Albert Ladouceur, en août dernier, un ex-collègue et moi sommes allés lui payer une petite visite.

Céline Beaudet, sa compagne, qu'il avait demandée en mariage après l'annonce de son cancer, avait le regard soucieux. Nous ne savions trop comment entretenir la conversation. En fait, celui qui jasait sans arrêt était Albert. Il blaguait comme toujours en faisant mine de vouloir dédramatiser sa situation. À un certain moment, il s'est levé, a placé ses bras en croix en donnant l'impression de vouloir s'envoler. « Je me pratique à devenir un ange », a-t-il lancé. Nous avons ri jaune.

Déjoué par le cancer

Il parlait du plan de retraite négocié avec son employeur, de sa situation financière régularisée, de son testament, de sa visite chez l'entrepreneur de pompes funèbres, mais aussi de la Mercedes super propre stationnée dans le garage et dont il ne pourra profiter comme il l'aurait souhaité. Et comme pour nous serrer le coeur encore davantage, il n'en finissait plus de répéter qu'il allait mourir.

On s'attend habituellement à ce qu'une personne atteinte d'un cancer annonce son intention de se battre. Pas lui. Il souffrait d'un cancer du pancréas, l'un des plus virulents qui soit. Il ne ressentait pas l'utilité de s'engager dans cette bataille. Pour lui, c'était peine perdue.

C'était calme dans la maison, ce jour-là. Leur résidence, nouvellement acquise, est somptueuse et décorée avec goût. À l'extérieur, l'aménagement paysager, comprenant deux patios, a été conçu avec soin. Albert et Céline s'y sont installés avec l'intention d'y vivre longtemps. Je regardais tout ça et je me demandais à quel point Albert regrettait de ne pas pouvoir jouir à long terme de ce décor chaleureux dans un quartier tout neuf.

Il nous a semblé fatigué à l'occasion de cette visite. Il n'avait pas sa peau satinée et rosée habituelle. Son visage pâle, un brin cireux, n'annonçait rien de très rassurant. Mon collège et moi avons eu la même réaction en le quittant. On s'est surpris à souhaiter qu'il puisse être encore là pour le mariage, prévu pour le 14 septembre.

Il y était. Malgré la fatigue, il a paru serein, détendu. Du moins en photos puisque la cérémonie n'a permis d'accueillir que des membres de la famille et des amis très proches.

Albert Ladouceur et Céline BeaudetPuis, quelques semaines plus tard, un petit miracle s'est produit. Dans le cadre d'une émission de radio, il a vaguement mentionné son intention d'écrire un livre qui pourrait raconter sa marche sur le chemin sinueux et parfois douloureux de son cancer. Un éditeur a tout de suite manifesté son intérêt pour cet ouvrage d'une teinte particulière. De son côté, Albert y a vu une occasion de retourner à l'écriture, lui qui croyait sa carrière terminée.

Il a cessé de parler de la mort comme unique débouché. Il n'affirmait plus qu'il allait mourir. Il avait plutôt l'intention de vivre le plus longtemps possible afin de mener ce projet à terme et, si possible, d'enchaîner plus tard avec un premier roman.

Déjoué par le cancer, un ouvrage intéressant de 180 pages, a été officiellement lancé devant près de 200 personnes dans un centre culturel de Québec cet après-midi. Pour nous, c'est un bouquin particulier, bien raconté par un vieux chum, qui exprime toute l'angoisse vécue au cours des derniers mois. Pour lui, ça représente peut-être une sorte de bouée de sauvetage qui, certains jours, lui a probablement fait oublier qu'il avait une bataille à livrer. 

Il ne dit plus ouvertement qu'il va mourir. Il est passé à autre chose. La question qu'il se pose dans son livre témoigne de cet agréable changement: « Suis-je un individu parmi tant d'autres qui rendra l'âme dans les délais prévus, ou l'une des exceptions qui confirment la règle de l'espoir d'une guérison ou d'une survie à plus long terme? »

Après avoir couvert des centaines de parties des Nordiques, il nous fait part d'un autre genre de combat. Cette fois, le match dont il est question est le sien. Le match de sa vie. Il en raconte les étapes avec la verve que lui inspiraient ses Nordiques dans le temps. Il peut se permettre d'emprunter un ton possessif en parlant de l'équipe puisque de mémoire, il est l'unique journaliste à avoir vécu l'existence entière de cette concession, du premier au dernier match.

Il nourrissait d'ailleurs une idée secrète. Si la maladie n'avait pas brusquement stoppé sa carrière et si Gary Bettman ne se faisait pas un malin plaisir de garder les Nordiques à distance dans ses éventuels projets d'expansion ou de déménagement, il n'aurait pas détesté s'y greffer dans le secteur des relations publiques. Compte tenu de son éternelle bonne humeur et de son entregent naturel, il aurait été parfait pour le job.

Albert a voulu que Déjoué par le cancer soit une source d'inspiration, mais par ricochet, le livre lui est aussi fort utile. Les milliers de témoignages que cette visibilité lui a value ont fait grand bien à son moral. Il a voulu que ce travail inspire d'autres personnes aux prises avec la même maladie, mais les réactions qu'il a suscitées ont également eu un effet très positif sur lui.

Un coup du destin

Il lui arrive probablement encore de se demander pourquoi lui? Pourquoi, lui, qui ne fumait pas, qui ne prenait un verre que socialement et qui surveillait sa forme physique, a-t-il été rattrapé par une forme de cancer qui ne fait pas de quartiers? Il préfère y voir une explication fort simple. C'est le destin, tout simplement.

« Un billet de loterie a été tiré et mon nom y est apparu en lettres rouges, écrit-il. Les billets de loterie que j'achetais me permettaient de rêver à la fortune et à une vie encore plus confortable et douillette et non à un combat exigeant qui peut m'emporter. On n'achète jamais un billet pour gagner sa mort. »

Le style d'écriture de ce livre est différent des chroniques auxquelles l'auteur nous a habitués durant sa carrière. Les dernières pages suintent l'émotion. Comment pourrait-il en être autrement? Malgré le plaisir qu'il a ressenti à l'écrire et malgré la bonne dose d'adrénaline que lui procure l'apparition de son ouvrage sur les tablettes des libraires, il ne peut pas totalement oublier que l'avenir pourrait lui réserver d'autres mauvaises surprises.

« Même quand la santé me semble satisfaisante, que les bonnes nouvelles se multiplient, je garde en tête que ce cancer remportera sûrement la bataille, écrit-il. Il n'y a pas vraiment de petites et de grandes victoires. Chaque pas de plus dans la bonne direction constitue un gain en soi que je savoure au même titre qu'une journée fort agréable. »

Le ton, on le constate, a radicalement changé depuis les premiers jours qui ont suivi le terrifiant verdict médical. Cet après-midi, en accueillant tous ces gens au lancement de son livre, quelques instants après une chaleureuse réception civique à l'hôtel de ville, Albert Ladouceur, donnait plutôt l'impression de revivre, a mentionné au maire Régis Labeaume son intention bien arrêtée d'être sur place  pour l'ouverture du nouveau Colisée, le 15 septembre 2015.

Souhaitons-lui maintenant le roman dont il rêve. Les grands objectifs ont le don de lui redonner des couleurs.