SCARBOROUGH (AFP) - Le Samoa, fort du respect conquis en deux quarts de finale de Mondial, lance un cri d'alarme pour sauver son rugby, celui des îles. Avec à sa tête l'emblématique Michael Jones qui, comme jadis sous le maillot All Black, voit loin, et joue juste.

"Le rugby est-il le jeu pratiqué au paradis ?", demande un fascicule chrétien, plein d'extraits de l'Evangile selon Saint Marc et de témoignages de joueurs pieux (Jason Robinson, Michael Jones, Nick Farr-Jones), disponible dans la salle commune des Samoans à leur hôtel de Scarborough, près de Perth (ouest).

Au paradis des îles en tout cas, ce jeu est bien le rugby. L'archipel de Samoa, anciennes Samoa occidentales, est sans doute l'un des plus fertiles terreaux de la planète. Près de 15.000 pratiquants seniors et juniors, pour moins de 180.000 habitants, au total environ une personne sur dix joue au rugby.

"Mais le monde a vraiment laissé tomber le rugby samoan", se désole Jones, l'ex-All Black aux 55 sélections, adjoint depuis trois ans de John Boe, l'entraîneur de Manu Samoa.

L'immigration économique naturelle vers la proche Nouvelle-Zélande et les fortes communautés îliennes d'Auckland ou Wellington ont toujours produit une filière de All Blacks samoans, tonguiens ou fidjiens.

Pillage

Jones en est l'exemple, né et élevé à Auckland par une mère samoane, sélectionné All Black malgré un match (1986) avec Manu Samoa - "Ils n'avaient pas ces règles exclusives à l'époque" - et vivant, avec un "sentiment de privilège et de fierté", ce double héritage.

"C'est en revenant, comme chaque année, dans mon village de Moata'a et en y jouant devant des ex-gloires samoanes que j'ai en fait vraiment pris conscience de mes moyens", se souvient celui que beaucoup considèrent comme un des meilleurs flankers de l'histoire, combinaison de flair, de vision du jeu, et d'omniprésence athlétique.

Mais la filière est devenue pillage, systématique et organisé, souligne Philip Muller, président de la Fédération samoane.

Les bourses universitaires attirent les jeunes rugbymen des îles en Nouvelle-Zélande où ils sont ensuite prisonniers de contrats draconiens et/ou délibérément retenus en équipes de jeunes ou de rugby à VII pour ne plus être ensuite sélectionnables sous un autre maillot que celui des Blacks.

Pas juste

Quand, en plus, des clubs d'Europe forcent des joueurs - le talonneur Trevor Leota, par exemple - à renoncer au Mondial, la mort dans l'âme, pour assurer le revenu familial, c'est tout le rugby samoan qui sent "qu'il se passe quelque chose en ce moment qui n'est clairement pas juste", dit Jones.

Jones n'est pas vindicatif. Il demande juste le droit - et les moyens - pour chaque rugby national à exister et rester au niveau.

"Mon coeur est samoan mais c'est un honneur d'avoir joué pour les All Blacks. Nous sommes tous fiers de nos Samoans All Blacks, des Umaga, Collins, Muliaina. Nous demandons juste qu'on nous rende les autres, ceux qui n'arrivent pas au sommet, qui passent à travers les mailles du filet".

"Prenez 99% de nos joueurs si vous voulez mais au moins laissez-nous les autres", se désespère Philip Muller.

Equipe Pacifique au Super-12, sélection des Iles sur le mode de celle des Lions britanniques, clauses libératoires pour les jeunes: les Samoans sont prêts à tout examiner. Ils ne demandent aux instances du rugby international que d'agir. Mais vite.

"Quand on ne voit rien venir, c'est quelquefois tentant de perdre la foi", sourit tristement Jones.

Si l'homme qui renonça à deux demi-finales de Mondial parce qu'elles se jouaient le Jour du Seigneur en est à ce degré de doute...