Il m’est arrivé quelque chose de bizarre. Mercredi matin, brutalement réveillé par le chien en plein milieu d’un drôle de rêve. C’est le prix à payer d’un mois de misanthropie absolue, à regarder 64 matchs de foot en mangeant des plats encore congelés. Dans le rêve, c’était Brésil contre les Méchants. Les Méchants, comme tous les Méchants, étaient en noir.

Mais c’était un peu tordu, parce que ce n’était pas exactement le même Brésil. Ceux de derrière, ils avaient tous des perruques rigolotes et un gros nez rouge. Et dans leur dos, c’était marqué Harpo, Groucho, Chico. Ou Zippo. Ou Bozo. Alors que tout le monde sait bien qu’il n’y a qu’un seul défenseur au Brésil. Et il s’appelle Thiago. Pas Pipo.

J’aime bien Thiago. Quand le Méchant arrive avec le ballon, il se fâche et il va lui prendre. Et puis son copain avec la perruque fait tomber le Méchant et lui marche sur la tête. C’est drôle.

Mais là, Thiago devait être très, très fâché. Parce qu’il n’est pas venu. C’est un peu dommage, parce que c’était le spectacle où les Méchants, Kloso, Kroso et Müllo, viennent pour leur voler leur cirque.

Et les copains de Thiago, ils ne se sont pas fâchés. Là, ils faisaient semblant de taper à côté du ballon et de tomber par terre et de crier au public « Oh-là-là! J’ai-ra-té-le-ba-llon! ». Mais ça ne faisait pas beaucoup rire. Moi non plus. Parce que je faisais ça déjà quand mon Luke avait trois ans.

J’en marquais un ou deux quand même, pour ne pas lui mettre la puce à l’oreille, mais ça se terminait toujours par un score débile, genre 7-1. Et ça ne faisait même pas rire le Chef du Brésil non plus, qui pédalait sur un minuscule vélo au bord du terrain, coiffé d’un chapeau avec une fleur en plastique. Et qui faisait « tut-tut » avec sa trompette. Le plus drôle, c’est quand celui avec la perruque essayait encore de faire tomber les Méchants. Il les poussait et les poussait, mais ils ne tombaient pas. Alors, il pleurait...

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Après cette performance interprétative (« Le Néant », d’après Sartre), on reste les fesses collées sur son siège. Abasourdi. On imagine la réaction des gens qui ont vu la première apparition de Pete Townsend sur scène. Ou Johnny Rotten.

Après viennent les flashes. Le bombardement. En simultané et technicolor. L’attaque au Napalm et les Valkyries d’Apocalypse Now. Ou le Voyage de Dave à la fin de 2001. Qui laissent au bout du compte des lambeaux d’idées dégoulinant un peu partout sur les murs, et pas moyen de les relier entre eux...

... Kroos a encore été ÉNORME... Déjà contre la France... Le genre de performance qui ne saute pas tout de suite aux yeux. Mais, là, avec deux buts en plus... Il a été partout. Toujours utile, toujours disponible. Le « joueur-lien » parfait, comme l’a été Iniesta à un moment. Sans doute l’un des meilleurs joueurs du tournoi, mais pas le plus « tape-à-l’œil ».

... Le Brésil aurait vraiment, vraiment, dû envisager un milieu protecteur à trois (Luiz Gustavo et Fernandinho plus Paulinho ou Hernanes ou Ramires). Avant le coup d’envoi. Dès le premier but (après une première alerte dans le même sens quelques minutes plus tôt sur une mauvaise montée de Marcelo). Et assurément aussitôt après le 2-0. Cette couverture supplémentaire aurait sans doute évité (ou rattrapé) les erreurs monstrueuses de David Luiz, Marcelo et Fernandinho. Et probablement évité le massacre des minutes suivantes...

... Si vous avez la chance de mettre la main sur ce maillot Noir et Rouge de l’Allemagne, prenez-en soin. C’est d’ores et déjà un une pièce de collection!

... On a, pour le moment, réussi à éviter le Grand Bordel annoncé. Mais, là, ça risque de mal se finir... PATRICK!!! RENTRE À LA MAISON!!! TOUT DE SUITE!!!

... Magnifique geste technique de Schürrle sur le 12e but... ou le 14e... je ne sais plus. L’enchaînement contrôle - demi-volée, ouahhh!...

... Julio Cesar n’a sans doute pas été complètement irréprochable, mais en deuxième mi-temps il en sauve tout de même trois ou quatre qui évitent au Brésil... bof, il n’évite pas grand-chose en fait...

... David Luiz...

... Dans la liste des 10 meilleurs buteurs de l’histoire de la Coupe du monde, on a maintenant : Klose (16), Gerd Müller (13), Klinsmann (11) et désormais Petit Müller (10). Cinquante buts à eux quatre. Dans cette liste n’apparaissent pas Ballack, Matthaüs, Rummenigge, Littbarski, Allofs, Völler, Walter... et Schürrle est déjà à trois sans jamais avoir été titulaire (cinq fois entré en jeu).

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Après ce petit moment de Schadenfreude quasi-planétaire, il était temps de retomber sur terre. Un grand merci, donc, aux Pays-Bas et à l’Argentine de nous avoir rappelé que, quand même, le foot c’est quelque chose de sérieux. On ne peut pas tout le temps rigoler!

Franchement, ce fut sérieux. Carré. Remarquablement bien préparé des deux côtés. Ce qui, au bout de dix minutes, nous a amenés à la conclusion suivante : d’accord, c’est parti pour se jouer comme ça, basculer sur la première erreur et comme les deux sont bien décidés à n’en commettre aucune, on est bons pour deux heures.

On rêvait un peu de voir une sorte de duel à distance Robben - Messi, les deux allumant la rencontre à chaque bout. En fait, on a surtout eu droit à De Jong et Mascherano, ce qui est somme toute pas mal plus logique. L’Argentin est sans doute le joueur de la rencontre (d’accord, avec Vlaar). Messi est le génie, la vedette, le capitaine, mais le « patron », c’est « Masch’ ». C’est lui qui a provoqué la « révolte » lors de sa causerie à l’équipe avant le quart contre la Belgique. C’est lui qui a dirigé les choses face aux Pays-Bas.

Pratiquement à l’origine de toutes les bonnes attaques argentines, par sa capacité à tenir le ballon juste le temps suffisant pour voir le « bon coup ». C’est lui qui a régulièrement pilonné la gauche de la défense néerlandaise par ses ouvertures, dans le dos de Blind, forçant Martins Indi à sortir régulièrement de sa position dans une zone où Messi peut en outre être aussitôt en premier soutien du joueur lancé (généralement Lavezzi).

C’est d’ailleurs juste à la demi-heure de jeu que survient l’un des moments essentiels de cette demi-finale. Quand l’Argentin se fait sonner dans un duel aérien (involontaire) et donne ensuite l’impression d’être K.-O. debout. Pendant quelques minutes, on pense même qu’il ne reprendra pas. Et les premiers ballons qu’il touche ensuite renforcent l’impression : il arrose coup sur coup trois ou quatre passes n’importe où... Heureusement qu’il revient, parce que qui - qui d’autre? - aurait osé et surtout réussi ce tacle sur Robben à la 90e?

Robben - Van Persie? Quasiment rien. Les latéraux argentins, généralement plus offensifs, ne sont presque jamais montés, empêchant les prises d’espace des deux attaquants. Ce qui fait que les Pays-Bas n’ont jamais réussi à faire aboutir une action dangereuse. Côté argentin, tout juste un peu mieux. Et le possible retour de Di Maria pour la finale leur ferait le plus grand bien, d’autant que ni lui ni Gago n’auront eu à disputer ce match épuisant.

L’Argentine aura terminé ce match (à partir de la 80e) dans un 4-2-1-3 très offensif et remarquablement risqué dans ces conditions, avec Messi en meneur de jeu derrière Palacio, Lavezzi et Agüero. C’est osé et il faut lui en donner tout le crédit.

Avec De Jong à peine revenu de blessure et Van Persie amoindri par un virus, les Pays-Bas avaient déjà deux joueurs certainement pas capables d’aller au bout de 120 minutes. Avec Martins Indi sérieusement perturbé (hors position, en retard, averti pour répétition de fautes et remplacé dès la mi-temps), Van Gaal aura fait ses trois changements et ne peut refaire le « Tour de Krul » pour les tirs au but. En plus, Vlaar manque le premier (Van Gaal a insisté sur l’importance du premier tireur dans une série et la plupart des analyses semblent lui donner raison). Et l’Argentine retrouvera l’Allemagne pour une « Finale de Fer ».