Section spéciale Coupe du monde

Tout fraîchement réélu à la tête de la FIFA, Gianni Infantino arrive fier et tout sourire au moment de lancer cette 8e Coupe du monde. Il peut nous présenter un football féminin dans une forme éblouissante, plus global que jamais, dans sa pratique comme dans sa reconnaissance. Il peut même nous annoncer que l’avenir s’annonce encore plus beau, plus grand, plus fort et qu’il commence ce vendredi.

Et il a raison.

L’édition 2015 du tournoi a été un formidable succès mondial. Dans ses chiffres, bien sûr (avec le passage à 24 équipes en phase finale), mais surtout dans sa capacité à aller toucher un public bien plus large que par le passé. Le foot féminin s’est résolument ancré dans le paysage sportif. Et pas seulement aux quatre ans.

Depuis 2015, l’évolution a été fulgurante. Avec, en premier lieu, l’accroissement de ligues professionnelles. Elles sont de plus en plus nombreuses, financièrement solides et attirent de plus en plus de monde. Les diffuseurs se sont joints au mouvement, amenant des revenus toujours plus importants et pas seulement sur des « tournois-événements », mais à longueur d’année.

Les clubs et les fédérations ont emboîté le pas. Ainsi, dans plusieurs pays qui prennent part à ce Mondial 2019, les clubs professionnels sont obligés d’avoir et de développer une section féminine. La première conséquence est que les grands clubs offrent dorénavant des infrastructures de premier plan à leurs joueuses : en Europe, la Ligue des Champions voit peu à peu s’établir une hiérarchie ressemblant de près à celle du football masculin (Lyon, Barcelone, Arsenal, Manchester City, Juventus, Bayern, Atletico, PSG...). La deuxième est un bond vers l’avant dans le professionnalisme... à commencer par les salaires. On est encore très, très loin de ce qui se fait chez les gars, mais l’avancée a été marquante ces dernières années. Et devrait continuer de l’être. L’Angleterre a instauré un « salaire minimal » pour toutes les joueuses de la WSL, tandis qu’aux États-Unis ou en Australie, les choses avancent à grands pas.

Ce Mondial s’ouvre donc sur un tableau extrêmement positif. Tout n’est certainement pas rose, mais la progression est telle qu’on peut désormais envisager la suite de l’évolution. En imaginant les générations de joueuses à venir, bénéficiant d’une formation idéale dans les Académies de clubs pros, enfin bien rémunérées et entourées. La qualité sur le terrain ne peut qu’être toujours meilleure, c’est ce qu’on devrait constater dès ce vendredi.

Constater, d’abord, qu’en 2019 il y a probablement près d’une dizaine de prétendantes à atteindre les demi-finales. C’est nettement plus que par le passé. Et des prétendantes sérieuses, qui possèdent toutes des arguments forts.

Au premier rang figurent bien sûr les Américaines. La reconquête, implacable, du titre il y a quatre ans, a été suivie d’une gifle aux Jeux de Rio l’année suivante (éliminées en quart de finale) qui a entraîné une grande remise en question. Dans le personnel et dans la façon de jouer. La transition a duré dix-huit mois, les résultats pas toujours évidents jusqu’au début de cette année. Mais les choses se sont finalement remises en place : on retrouve les Rapinoe, Morgan, Lloyd d’il y a quatre ans, mais avec un soutien bien plus efficace (Pugh, Lavelle, Press), ce qui n’est pas un luxe vu l’évolution tactique imposée par Jill Ellis : 4-3-3 avec un pressing fort, intense, vers l’avant. Capable de briser ses adversaires, mais très taxant physiquement et laissant la porte ouverte à la contre-attaque. C’est dans le secteur défensif, parfois lent et mal protégé, que demeurent quelques interrogations.

En compagnie des Américaines, on retrouve les Françaises, hôtes de ce Mondial. On les attend depuis plusieurs années, mais la sélection n’a jamais réussi à répondre aux attentes. 2019 représente l’opportunité idéale, avec un groupe au coeur duquel on retrouve un « noyau dur » venant de l’Olympique Lyonnais, qui vient de remporter une quatrième Ligue des Champions consécutive, très possiblement la meilleure équipe de club au monde à l’heure actuelle. Renard et Mbock dirigent l’une des meilleures défenses du tournoi, Henry et Bussaglia peuvent contrôler n’importe quel milieu, reste à se montrer efficaces devant. Corinne Diacre possède une belle panoplie (Diani, Thiney, Gauvin), mais c’est Eugénie Le Sommer qui devrait être la clé pour les Françaises. Avec les demi-finales et la finale à Lyon, elles devraient être parfaitement soutenues... encore faudra-t-il y parvenir, car le tableau laisse planer l’ombre d’un terrible France - États-Unis en quart de finale.

Juste derrière ces deux-là, on peut placer Allemagne et Angleterre. Les Allemandes demeurent une force immuable du foot féminin. Même dans une période de reconstruction, elles ont été capables d’aller chercher le titre olympique à Rio. Et si elles ont un peu déçu lors de l’Euro 2017, elles ne peuvent pas être écartées. Les derniers résultats ont été irréguliers, mais la sélectionneuse Martina Voss-Tecklenburg n’est arrivée qu’à l’automne et a dû prendre quelques raccourcis pour arriver au Mondial. Elles aussi clairement offensives, les Allemandes devront compter sur Alexandra Popp (Wolfsburg) devant et la brillante meneuse de jeu Dzsenifer Maroszan (Lyon).

Les Anglaises se sont révélées il y a quatre ans, avec la médaille de bronze. Elles se sont bonifiées depuis. La Womens Super League est non seulement une formidable vitrine, mais un championnat de plus en plus relevé. On l’a dit, les meilleures équipes du pays (Arsenal, Manchester City, Chelsea) bénéficient maintenant de conditions de travail exceptionnelles et leur progression a été fulgurante. Phil Neville est à la tête de l’équipe et tente de lui donner une allure plus technique que sous Mark Sampson. Il possède une génération d’exception avec Fran Kirby, Lucy Bronze, Steph Houghton ou Toni Duggan. La récente défaite face au Canada en amical a fait hausser quelques sourcils, mais c’est une sélection en pleine confiance qui s’amène avec le potentiel pour être championnes.

Voilà le quatuor des favorites de premier plan. Les prétendantes ne s’arrêtent pas là. Il y a, bien entendu, le Japon. Championnes en 2011, finalistes en 2015, elles ont aussi connu quelques moments difficiles avec les départs de quelques joueuses - vedettes. Mais la relève arrive (championne du monde U-20 en 2018). Les bases restent les mêmes depuis une dizaine d’années, les Japonaises ayant surpris et séduit par leur jeu de passes et possession, fortement inspiré du FC Barcelone du début de la décennie.

Les Australiennes sont régulièrement présentes dans le tournoi, mais sans doute jamais aussi bien placées que cette année. Elles bénéficient aussi d’une Ligue professionnelle forte et d’un groupe qui se trouve enfin un peu de profondeur derrière les vedettes que sont Sam Kerr, Elise Kellond-Knight ou Emily van Egmond. Pour la première fois, elles partent ouvertement de gagner ce Mondial. Elles sont remarquablement équipées pour.

Les championnes d’Europe en titre, les Pays-Bas sont aussi dans la liste. Elles arrivent tard dans le gotha international, mais comme plusieurs sélections ont progressé à grande vitesse depuis quatre ans. Les meilleures joueuses du pays sont presque toutes à l’étranger, en Angleterre ou en Espagne. Ainsi, les championnes d’Angleterre, Arsenal, comptent plus de joueuses à la Coupe du monde avec les Pyas-Bas qu’avec l’Angleterre... Vivianne Miedema est l’une des meilleures attaquantes au monde et forme l’une des meilleures lignes d’attaque du tournoi avec van de Sanden et Martens, juste devant l’organisatrice Daniëlle van de Donk. Devancées par les Norvégiennes en qualifications, les Néerlandaises ne se sont qualifiées qu’à travers les barrages (face au Danemark et à la Suisse) et ont laissé l’impression d’une équipe qui peinait à assumer son nouveau statut de favorite.

Pour compléter le tableau, on peut aussi mentionner l’Italie, elle aussi en plein renouveau, tout comme l’Espagne, où les deux clubs phares, Barcelone et Atletico, entraînent une excellente génération, qui vient de connaître d’excellents résultats dans les sélections de jeunes. On retrouvera aussi, bien entendu, le Brésil de Marta - pour son dernier Mondial (elle devrait prendre sa retraite après les JO de 2020)  - et du phénomène Formiga qui, à 41 ans, disputera sa septième Coupe du monde.

Sur une première analyse rapide, les Canadiennes peuvent prétendre se retrouver dans ce même groupe. Pas mal, mais pas vraiment dans les favorites. Bien entendu, on va parler de Christine Sinclair dans ce tournoi. Tout le monde va parler de Sinclair. Et il est certain que le parcours de la sélection se fera sur le rythme de sa capitaine. Les Canadiennes vivent aussi leur transition. L’équipe qui a connu un « âge d’or » de 2012 à 2016 laisse peu à peu sa place. Sinclair, Scott, Schmidt sont les dernières. Et tranquillement, une autre génération arrive : le Canada de 2019 s’est renouvelé de plus de 50 % par rapport à 2015. Une différence assez importante. Mais de nouveaux piliers apparaissent, Buchanan, Lawrence, Fleming, Beckie et la toute jeune Huytema. Difficile de leur mettre un seuil de performance, débutant dans un groupe qui pourrait se révéler embêtant si les Canadiennes restent aussi peu efficaces qu’il y a quatre ans (quatre buts en cinq matchs). Elles semblent posséder cependant une solide assise défensive. Et dans ce Mondial qui devrait être orienté vers l’attaque, c’est la qualité des défenses qui fera la différence.

Encore plus fort, encore plus rapide, encore plus percutant, encore plus pointu tactiquement. Ce Mondial veut être l’avènement du Nouvel Âge du foot féminin. Et quelle que soit la championne, toute nouvelle ou vieille connaissance, elle s’apprête à prendre un flambeau fort de symboles pour les quatre ans à venir.