La Terre a tremblé. Une petite secousse que tous n’ont pas ressentie – l’épicentre se situant quelque part dans les bureaux du soccer canadien. Mais il s’agit d’un séisme qui a tout de même semé l’émoi dans la communauté footballistique, peu importe qu’on vienne de Mars ou de Vénus. Si vous avez raté la nouvelle, l’entraîneur de la sélection des filles John Herdman prend la place d’Octavio Zambrano à la tête de l’équipe nationale masculine. Il n’y a pas à dire, personne n’avait anticipé un tel alignement des planètes.

 

Déjà vainqueur de deux médailles olympiques, Herdman est un homme qui carbure aux défis. Vous vous direz à juste titre que ça tombe bien, puisqu’il en aura tout un en prenant en charge le onze unifolié canadien. Et même si le ballon demeure rond et que les principes tactiques ne sont pas fondamentalement différents, sa première tâche consistera à convaincre ses joueurs qu’il est tout aussi crédible en tant qu’entraîneur d’une équipe de gars. Jusqu’à preuve du contraire, le Capitaine Bonhomme n’a pas encore parlé : tous les sceptiques ne sont pas confondus.

 

Herdman, le « spécialiste des filles », a-t-il l’étoffe pour faire passer ses idées auprès de joueurs qui ne considèrent pas tous le programme national canadien comme une priorité dans leur cheminement professionnel? Généralement, chez les joueurs du pays, c’est la carrière en club qui passe en premier. Après tout, c’est là qu’on est payé. Coupe du monde, Jeux olympiques, ça existe aussi, mais on est dans une autre réalité dans laquelle on ne parle tout simplement pas d’espoir de médaille... C’est à peine si on rêve de se qualifier. Et même si Herdman parvient à motiver son vestiaire comme il a réussi à le faire chez les femmes, le jugement ne sera pas terminé. Il lui restera encore la quête du Saint Graal du soccer canadien : une route où tous les entraîneurs ont échoué depuis 1986, soit guider le pays à la Coupe du monde du côté masculin.

 

Vendre sa salade

 

Or, ce qu’il ne faut pas sous-estimer, c’est la capacité que possède Herdman à vendre son projet à ceux qui vont l’entourer. Le charisme qu’il avait démontré pour reprendre en main une équipe « brisée » lors de son arrivée à la tête de la sélection féminine en 2011 avait permis à un groupe ayant déçu lors de la Coupe du monde de vite retrouver ses moyens un an plus tard aux Jeux olympiques de Londres. Certes, une certaine Christine Sinclair y était pour beaucoup à tel point qu’on s’est demandé si tout ça n’était qu’un heureux accident de parcours. 

 

Après ce triomphe, Herdman ne s’est donc pas assis sur ses lauriers puisqu’il s’est attelé à restructurer les programmes canadiens de détection et de développement dans le soccer élite féminin. La perspective de l’après-Sinclair avait de quoi effrayer. Gaga du bronze décroché par l’équipe cendrillon, la CSA n’était donc pas du genre à s’y opposer. Mais pour y arriver, encore fallait-il se donner les moyens d’atteindre ses ambitions. Et c’est en se montrant convaincant auprès des responsables du Comité olympique canadien que l’entraineur aura marqué bien des points pour le soccer féminin. Autrement dit, c’est en vendant sa salade qu’il aura décroché le financement de son programme de développement.

 

En dehors des bureaux, Herdman a aussi accompli du bon boulot. Sous sa gouverne, des joueuses comme Kadeisha Buchanan, Jessie Fleming, Ashley Lawrence et Jordyn Huitema auront émergé des échelons inférieurs pour s’établir au plus haut niveau. La confirmation sur le terrain est venue ensuite aux Jeux de Rio. Pendant ce temps du côté masculin, malgré l’apparition de nouveaux visages à la dernière Gold Cup, on ne peut malheureusement pas parler de renouvellement du noyau à partir des équipes U20 et U17.  

 

Certes, on peut demeurer perplexe quant à l’efficacité des méthodes employées au préalable par Herdman sur sa nouvelle équipe. Or, le pouvoir de persuasion de celui que la CSA considère quasiment comme un demi-dieu ne devrait pas nuire à rallier les joueurs qu’il convoquera en sélection nationale. À défaut de cela, même s’il n’a pas l’embarras du choix, Herdman fera tout simplement du ménage. Et comme il l’a fait chez les filles, il ne faudrait pas se surprendre si bien des espoirs de moins de 20 ans font partie intégrante de son équipe senior. 

 

L’envers de la médaille

 

Évidemment, il serait naïf de croire que la recette Herdman marchera tout aussi bien chez les gars parce qu’on voit en lui des dons de magicien. D’ailleurs, la CSA remet en question sa propre crédibilité en congédiant celui qu’elle avait engagé un peu plus tôt cette année pour diriger l’équipe masculine. À ce sujet, Octavio Zambrano n’a pas mal fait avec un quart de finale à la Gold Cup. Mais il semble qu’on ait vite douté de sa capacité à emmener le programme plus loin. 

 

La situation diffère complètement en ce qui concerne Herdman, lequel possède davantage d’atomes crochus avec le Directeur du développement à la CSA, Jason de Vos. Il faut comprendre que le nouvel entraîneur est du genre à vous en mettre plein la vue. Habile présentateur - pensez PowerPoint et Prezi - il n’hésitera pas à recourir aux dernières technologies pour établir une liste exhaustive et quantifiable des aspects à améliorer dans votre équipe. On parle d’utilisation de la vidéo dans le vestiaire à la mi-temps pour renforcer les points-clés et illustrer les correctifs à apporter. Herdman est également du genre à cultiver les relations avec les joueurs même quand ils ne seront pas en camp avec lui. Impossible de savoir pour le moment si cette approche sera du genre à plaire aux joueurs, mais il s’agit d’atouts du genre à faire sourire ses patrons.

 

Enfin, à partir du moment où Herdman émet le désir de passer au soccer masculin – ce qu’il aurait fait il y a un an – la crainte de voir partir l’employé modèle force la CSA à considérer l’idée inusitée de faire passer son sélectionneur d’une équipe à l’autre. Un traitement-choc auquel se résout finalement l’Association, alors que les rumeurs d’offres venant d’ailleurs – tant masculine que féminine – font augmenter la pression sur l’organisation. Est-ce un signe de la faiblesse de la CSA? Assurément. On a du mal à attirer dans nos contrées des candidats de premier ordre, d’où la nécessité de retenir ceux qui ont déjà démontré leurs capacités. Là encore, Herdman aura trouvé le moyen d’obtenir ce qu’il voulait. 

 

Et c’est ce qui crée chez moi le plus d’attentes par rapport à sa nouvelle occupation. Herdman n’aura pas besoin de placer la barre bien haute pour qu’on se remette à douter de lui. Mais c’est un ambitieux, et il a du talent pour permettre aux gens qui l’entourent d’optimiser leur potentiel. Après l’équipe féminine et les dirigeants de la CSA, le gourou du soccer canadien devra maintenant ensorceler la sélection masculine. Si ça comprend un billet pour le Qatar en 2022, je veux bien être le premier à me laisser hypnotiser.